Virus : pourquoi ils détraquent l’immunité

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Virus : pourquoi ils détraquent l’immunité
Virus : pourquoi ils détraquent l’immunité

Africa-Press – Madagascar. Et si une simple vaccination contre des virus communs suffisait à empêcher le déclenchement d’un “diabète de l’enfant” (type 1) ou d’une sclérose en plaques chez le jeune adulte ? C’est l’espoir – pas si fou – nourri par les récentes découvertes sur le rôle des infections virales dans la survenue de maladies auto-immunes : il existe un événement déclencheur, un point zéro identifiable à certaines de ces pathologies, caractérisées par un retournement soudain du système immunitaire contre l’organisme qu’il est censé défendre. Les soupçons qui pesaient en particulier sur deux virus depuis vingt ans sont quasiment confirmés : les Coxsackie B sont impliqués dans le diabète de type 1 ; et l’infection par le virus Epstein-Barr déclenche la sclérose en plaques. Bien sûr, l’infection fatidique intervient toujours sur un terrain de prédisposition génétique ou immunologique propice à l’auto-immunité. Dans le cas du diabète de type 1, ce sont les cellules bêta-pancréatiques chargées de produire l’insuline dans le corps qui, dès l’enfance, sont soudainement prises pour cible et détruites. La sclérose en plaques, elle, se déclare dans le système nerveux central : des cellules immuni-taires s’attaquent à la myéline, une gaine de protéines entourant les neurones et favorisant l’influx nerveux.

“Pour le diabète de type 1, il ne fait plus guère de doute que l’infection par un virus Coxsackie B chez des sujets prédisposés génétiquement soit l’événement déclencheur de l’auto-immunité contre les cellules du pancréas productrices d’insuline “, explique le Pr Roberto Mallone. À l’institut Cochin, à Paris, son équipe explore les réactions immunitaires à cette infection pouvant conduire à l’auto-immunité diabétique.

Un premier candidat-vaccin pour le diabète de type 1

Touchant plus de 95 % de la population mondiale, l’infection est le plus souvent bénigne voire asymptomatique, mais elle peut aussi dégénérer dans de rares cas en encéphalites, myocardites ou méningites, en particulier chez les enfants et les personnes immunodéprimées. Quoi qu’il en soit, “nous avons désormais beaucoup de données épidémiologiques qui établissent ce lien avec le diabète de type 1, en particulier sur des infections prolongées, poursuit Roberto Mallone. Elles sont renforcées par les études histopathologiques [analyse des tissus au microscope] sur le pancréas de personnes diabétiques de type 1. On y voit les marqueurs de l’infection virale avec une infiltration de cellules immunitaires dans le pancréas, où se trouvent les cellules bêta fabriquant l’insuline. ” C’est sur cette base qu’une biotech américaine créée en 2016, Provention Bio, a développé le premier candidat-vaccin contre les souches de Coxsackie B impliquées dans le diabète de type 1.

“Le PRV-101 pourrait être le premier vaccin à prévenir jusqu’à 50 % l’incidence du diabète de type 1 “, déclarait la société après l’annonce en 2022 des résultats convaincants de son essai de phase 1. Sur six mois de tests, le vaccin était à la fois très bien toléré et induisait de forts taux d’anticorps neutralisants. Provention Bio ayant déjà atteint la phase de commercialisation d’un autre produit d’importance contre le diabète, ces résultats ont été pris très au sérieux. En mars dernier, le géant pharmaceutique français Sanofia racheté la société pour un montant total de 2,9 milliards de dollars.

“Le test d’un vaccin est une bonne chose, car c’est la seule façon d’obtenir la preuve formelle du lien de cause à effet entre l’infection et l’auto-immunité “, estime Roberto Mallone. Mais son équipe, elle, cherche toujours à expliquer comment se produit le retournement de situation immunitaire. Dans une étude en cours de publication, menée sur des cellules humaines in vitro, trois scénarios pouvant expliquer le déclenchement de l’auto-immunité par l’infection sont testés.

Le mimétisme moléculaire à la loupe
Comprendre le comportement du virus dans l’organisme

Le premier scénario est celui d’un effet direct du virus : les Coxsackie B infectent les cellules bêta-pancréatiques, les détruisent et larguent des antigènes dans un contexte inflammatoire propice à la réaction auto-immune. Deuxième scénario : un effet indirect de la réponse immunitaire vis-à-vis du virus lui-même qui s’emballe jusqu’à se tromper de cible. Enfin, le scénario du mimétisme moléculaire (voir l’infographie) : des motifs moléculaires à la surface du virus sont tellement similaires à ceux d’autres cellules, saines, de l’organisme (myéline dans le cas de la sclérose en plaques, cellules bêta dans le diabète) que le système immunitaire, en s’attaquant aux premières, va se mettre à attaquer aussi les secondes.

“Savoir précisément ce qui se passe est essentiel pour évaluer la pertinence d’un vaccin, précise Roberto Mallone. Si c’est un effet direct du virus, une vaccination neutralisante serait probablement une très bonne option. À l’inverse, si l’auto-immunité est due à un effet indirect de la réponse immunitaire au virus, un vaccin risquerait d’accélérer le déclenchement de la maladie… Et dans le cas du mimétisme moléculaire, il faudra neutraliser les séquences d’antigènes viraux trop similaires à ceux qu’on veut protéger. ” La réponse est dans l’étude que son équipe à soumis pour relecture. “Je ne peux pas vous donner le coupable ! Mais nos conclusions ne remettent pas en cause la pertinence potentielle d’un vaccin. ”

Le virus Epstein-Barr impliqué dans 7 maladies auto-immunes

Un espoir similaire d’empêcher la sclérose en plaques (SEP) est né en 2022 après la publication dans Science d’une étude épidémiologique d’ampleur colossale (lire ci-contre) démontrant pour la première fois le rôle déterminant du virus Epstein-Barr (EBV) dans le développement de cette maladie du système nerveux central. Le lien suspecté depuis 2003 est aujourd’hui difficile à ignorer, même si, à l’instar des Coxsac-kie B pour le diabète, il reste à éclaircir les mécanismes intimes à l’origine de l’auto-immunité. “La grande majorité des personnes infectées par l’EBV ne développent pas de sclérose en plaques, ce qui indique que l’infection, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante “, rappelle Évelyne Manet, directrice de recherche au Centre international de recherche en infectiologie de Lyon. Plus de 90 % de la population est, à un moment ou à un autre, touchée par l’EBV, généralement sans conséquence. La première infection a lieu le plus souvent pendant la petite enfance de manière asymptomatique. Mais lorsqu’elle survient plus tard, dès l’adolescence, elle peut provoquer une mononucléose infectieuse voire des lésions précancéreuses dans l’estomac. Une étude parue dans Nature Genetics en 2018 évoquait même la possibilité que le virus soit à l’origine de pas moins de sept maladies auto-immunes différentes : outre la sclérose en plaques, les chercheurs américains listaient la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systémique, l’arthrite juvénile, le syndrome de l’intestin irritable, la maladie cœliaque et… le diabète de type 1, aussi.

De quoi sérieusement raviver l’intérêt des laboratoires pour un vaccin contre ce virus. Dès janvier 2022, c’est Moderna qui a dégainé le premier candidat-vaccin, aujourd’hui testé en essai clinique de phase 2 sur 270 adultes. Cinq mois plus tard ce sont les Instituts nationaux de la santé américains (National Institutes of Health) qui se lançaient par la voix de leur désormais ex-directeur Anthony Fauci : “Un vaccin prévenant l’infection par le virus Epstein-Barr pourrait réduire l’incidence de la mononucléose infectieuse mais aussi l’incidence des tumeurs malignes associées et certaines maladies auto-immunes “. En mars dernier, le géant américain Merck (MSD) a passé un accord avec la biotech ModeX Therapeutics pour accompagner le développement du candidat-vaccin MDX 2201, encore en phase préclinique lui. Enfin, en avril, c’est une société allemande, EBViously, issue du centre de recherche Helmholtz de Munich qui présentait son candidat-vaccin non encore testé cliniquement.

Prophylaxie : le succès de la lutte contre les virus oncogènes

Le fait que des maladies auto-immunes puissent débuter par une infection virale n’est pas sans rappeler l’estimation établie à environ 15 % du nombre de cancers dans le monde dus à des virus oncogènes. Un modèle alléchant, puisque, là où elle est massivement déployée, la vaccination contre les papillomavirus, par exemple, a conduit à un effondrement des cas de cancers. Élève modèle avec des taux de vaccination supérieur à 70 % chez les jeunes, l’Australie estime ainsi que le cancer du col de l’utérus devrait être éliminé de l’île-continent d’ici à 2035. Outre ces papillomavirus, six grandes familles virales sont susceptibles d’occasionner des lésions précancéreuses dans les tissus infectés. Et, ironie de l’histoire, le virus Epstein-Barr, aujourd’hui mis en cause dans la sclérose en plaques, fut le premier à accréditer, dès 1978, l’idée qu’un cancer humain pouvait être d’origine virale.

Le mimétisme moléculaire incite à rester prudent

“La mise au point d’un vaccin ciblant les jeunes adultes non encore infectés par l’EBV pourrait être déterminante dans la prévention de la sclérose en plaques “, juge Évelyne Manet. Mais attention : comme pour les Coxsackies B et le diabète, intervenir sur le système immunitaire fragi-lisé de patients prédisposés n’est pas sans risque. Administrés durant la prime enfance, “ces vaccins pourraient en théorie retarder les infections à EBV jusqu’à l’adolescence, lorsqu’elles sont plus sus-ceptibles de provoquer une mononucléose infectieuse ou de contribuer à la SEP “, avertit Peter Calabresi, professeur de neurologie à l’université Johns-Hop-kins (États-Unis). Par ailleurs, “si c’est la réponse du système immunitaire contre l’EBV qui déclenche la SEP, une attention particulière serait nécessaire à la conception de ces vaccins, pour s’assurer qu’ils ne favorisent pas précisément le type de réponse immune à l’origine de la maladie qu’on souhaite empêcher. ” C’est à nouveau le principe de mimétisme moléculaire auquel il faut être particulièrement vigilant. D’autant que dans le cas de la sclérose en plaques, ce mécanisme déclencheur de l’auto-immunité a été récemment mis en lumière par une étude dans Nature . À partir du liquide cérébrospinal de patients atteints de SEP, les chercheurs ont isolé un clone de lymphocytes B, des cellules immunitaires, produisant un anticorps monoclonal qui reconnaît une partie spécifique d’une protéine de l’EBV. Or celui-ci réagit de manière croisée avec la molécule d’adhérence cellulaire gliale (GlialCAM) exprimée par la myéline dans le système nerveux central. Autrement dit, le même anticorps est programmé pour s’attaquer aussi bien au virus qu’à la gaine de myéline entourant les neurones.

Jusqu’ici toutefois, “aucun des essais précliniques ou cliniques menés sur les vaccins n’a fait apparaître ce type de réactions “, rassure Roberto Mallone. Quoi qu’il en soit, il faudrait donc des vaccins particulièrement efficaces, suffisamment neutralisants pour empêcher l’entrée du virus dans les tissus les plus à risques de voir l’immunité détraquée par l’infection. Au vu des premiers essais, l’espoir de voir la fréquence de ces maladies diminuer grâce à une vaccination est encore permis.

“L’infection précède toujours la sclérose en plaques”

“Le lien entre l’infection très courante par le virus Epstein-Barr (EPV) et la survenue d’une sclérose en plaques (SEP) était suspecté depuis plus de vingt ans. Pourtant, l’idée dominait que cette association n’impliquait pas de lien de causalité. Probablement parce qu’il est très difficile d’établir une telle relation de cause à effet avec un virus qui infecte à peu près tout le monde sur la planète. Or, c’est précisément le cas. C’est ce que nous sommes parvenus à montrer grâce à une étude épidémiologique sans précédent. Celle-ci a consisté à suivre sur vingt ans, de 1993 à 2013, plus de 10 millions de jeunes adultes engagés dans l’armée américaine.

Nous disposions d’échantillons sanguins prélevés au moment de leur intégration, puis tous les deux ans. Parmi eux, 801 ont développé une sclérose en plaques au cours de la période de suivi. Tous, sauf un, avaient été infectés par l’EBV dans ce laps de temps, mais pas avant. Nous avons ainsi calculé que le risque de SEP était 32 fois supérieur après avoir croisé le virus. De fait, la recherche d’un biomarqueur précoce de la SEP – des neurofilaments dans le sang – dont l’augmentation peut précéder jusqu’à six ans l’apparition de la maladie, indique que l’infection par l’EBV précède toujours l’apparition de ce premier indicateur biologique de la maladie. L’analyse fine des résultats nous a permis d’estimer à cinq ans en moyenne le délai entre cette infection et les premiers symptômes de la SEP. Surtout, nous avons pu montrer que ce lien n’existe pas avec d’autres virus. Il est spécifique à l’EBV. Je suis ainsi convaincu qu’un vaccin efficace, qui empêcherait l’infection, permettrait d’éviter la grande majorité des cas de sclérose en plaques.”

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