Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Mali. Nous revenons aujourd’hui sur une situation « brûlante » qui sévit dans le Nord du Mali depuis de longues années, pour évoquer avec plus de détails les combats acharnés qui se sont déroulés durant trois jours, dans la ville de Tin Zaouatine, au nord du pays.
Il s’agit d’une commune de la wilaya d’In Guezzam depuis 2019 (qui était rattachée avant à la wilaya de Tamanrasset), située à la frontière algéro-malienne, à environ à 550 km au sud-ouest de Tamanrasset, et qui est reliée à Kidal par une piste qui représente un cordon vital entre le nord du Mali et l’Algérie
A noter qu’après environ 24 heures de ces combats, les séparatistes du Mali ont annoncé, le dimanche 28 juillet 2024, avoir remporté une « victoire majeure » sur l’armée et ses alliés russes, tandis que lundi, une chaîne liée à Wagner a admis, sur le site Telegram, que le groupe militaire russe a subi des pertes dans ses rangs, et qu’un de ses dirigeants a été tué.
Dans le même contexte, le représentant du Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple « Azawadien », M. Ben Bella, a affirmé que les « combats acharnés » sont survenus après une attaque soudaine lancée par des forces du groupe russe Wagner, avec l’aide de l’armée malienne, dans l’objectif de mettre la main sur une mine d’or, située au sud de la commune de Tin Zaouatine.
Pour rappel, le cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad est une alliance de groupes séparatistes dominés par les Touaregs, considérés comme l’un des groupes ethniques qui habitent la région du Sahara, y compris certaines parties du nord du Mali, où nombre d’entre eux se sentent marginalisés par le gouvernement malien, et exigent depuis longtemps de Bamako, l’indépendance de la région de l’Azawad.
• Que s’est-il réellement passé du 22 au 27 juillet 2024 ?
Selon les observateurs, les informations recueillies d’ici et de là, les combats auraient commencé dans les premières heures du jeudi 22 juillet, lorsque les forces du groupe russe Wagner, ainsi que des unités de l’armée malienne, ont attaqué une carrière d’or au sud de la ville de Tin Zaouatine, située dans la zone où vit le peuple « Azawad »,dans des camps de déplacés installés dans la région après avoir été victimes d’attaques lancées par les forces maliennes et leurs alliés russes, aux côtés de Daech.
Tout laisse à croire que dès les premières heures de la bataille, toute la situation a rapidement tourné en faveur des « forces azawadiennes », alors qu’une très violente tempête de sable s’est produite et qui a fortement perturbé les soldats maliens et leurs alliés russes, sachant que les séparatistes azawadiens, qui maîtrisent bien la situation lors des tempêtes de sable et sur des terrains difficiles, ont continué à repousser l’attaque jusqu’à ce que la victoire soit obtenue, après avoir réussi à abattre un hélicoptère venu en renfort et en appui, tandis qu’un deuxième hélicoptère a été pris pour cible alors qu’il tentait de récupérer les corps et les blessés russes et maliens.
Durant la période du 22 au 27 juillet 2024, des soldats des Forces armées maliennes et des combattants du 13e groupe d’assaut de Wagner, ont mené de violents combats avec les militants de la Coordination des mouvements de l’Azawad, soutenu par le groupe terroriste d’Al-Qaïda au Sahel.
A noter que les combattants de Wagner étaient dirigés par le capitaine Sergueï Chevtchenko, commandant du 13e détachement d’assaut, et selon le texte d’un communiqué publié à l’occasion, la tempête de sable qui s’est produite aurait permis aux extrémistes de se regrouper et d’augmenter leur nombre à 1 000 personnes, entraînant ainsi des pertes dans les rangs de Wagner et des forces armées maliennes.
Les forces azawadiennes ont réussi à tuer le chef du groupe Wagner, le capitaine Sergueï Chevtchenko, ainsi que d’autres soldats et éléments wagnériens, et à capturer également de nombreux membres.
De son côté, le porte-parole de la coalition des groupes séparatistes à dominante Touarègue, Mohamed Elmaouloud Ramadan, a déclaré que les forces séparatistes ont complètement détruit les forces de l’armée malienne, saisi ou détruit des véhicules et des armes, et ont également capturé certains survivants des rangs du groupe russe Wagner.
Il a indiqué que les Touaregs ont perdu 7 de leurs combattants, tandis que 12 autres ont été blessés.
D’ailleurs, plusieurs blogueurs militaires russes ont rapporté qu’au moins 20 membres du groupe Wagner avaient été tués dans une embuscade près de la frontière algérienne. Quant à l’éminent blogueur militaire russe Semyon Pegov, qui utilise le nom de War Gonzo, a déclaré: « Des employés du groupe Wagner qui se déplaçaient en convoi avec les forces gouvernementales ont été tués au Mali et certains d’entre eux ont été capturés. »
Par ailleurs, le groupe Wagner a déclaré, dans une rare déclaration faite le lundi 29 juillet dernier, que ses membres ont combattu aux côtés des soldats maliens du 22 au 27 juillet près de Tin Zaouatine et ont subi de lourdes pertes, notamment la mort de leur commandant, Sergueï Chevtchenko.
De même, un groupe affilié à Al-Qaïda a déclaré avoir tué 50 mercenaires du groupe russe Wagner et 10 soldats maliens dans une embuscade ayant eu lieu dans la région de Kidal, au nord du Mali, près de la frontière avec l’Algérie.
Pour ainsi dire, le déploiement de Wagner au Mali, à la demande des autorités de transition, est vu par certains observateurs comme un moyen pour la Russie d’accroître son influence dans la région, au détriment des intérêts occidentaux.
Cette annonce semble vouloir démontrer l’implication active de Wagner dans les opérations antiterroristes au Mali, malgré les controverses autour de son rôle. Cela s’inscrit dans la stratégie de communication du groupe pour justifier sa présence militaire dans ce pays.
Il importe de rappeler que les groupes séparatistes armés avaient perdu le contrôle de plusieurs régions du nord du Mali fin 2023, après une attaque lancée par l’armée, qui a abouti à la prise de contrôle par les forces de Bamako de la ville de Kidal, fief séparatiste.
• Sommes-nous face à une mobilisation de l’armée algérienne aux frontières avec le Mali ?
On peut présager que suite au risque d’une escalade dont l’ampleur se confirme de plus en plus à l’horizon au niveau des frontières malo-algériennes, l’Algérie ne permettrait certainement pas qu’un nouveau conflit puisse échapper à son contrôle dans cette région stratégique.
A ce propos, les Touaregs continuent d’affirmer qu’ils ne sont pas responsables de la rupture de l’accord d’Alger de 2015 et qu’ils fuient un gouvernement qui les pourchasse et cherche à les éliminer.
Dans ce contexte, une mobilisation particulière de l’armée algérienne est à prévoir, et la région pourrait alors connaître une montée des tensions, surtout si les forces maliennes, soutenues par les unités du groupe russe de Wagner, se sentent en droit de poursuivre les rebelles au-delà des frontières. Ce qui pourrait entraîner des incidents avec les gardes-frontières algérien.
Néanmoins, depuis plusieurs mois, Alger tente toujours de calme le jeu, surtout que la tension entre les deux pays voisins s’est accrue, notamment après la visite à Alger du prédicateur Mahmoud Dicko en décembre dernier. Le ministère des Affaires étrangères du Mali accuse les autorités algériennes, « d’ingérence et d’actes inamicaux ». En face, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS) dénonce « une cabale orchestrée contre son parrain, l’imam Mahmoud Dicko, en lien avec son voyage en Algérie ».
Avec ces nouveaux affrontements, les autorités à Alger se préparent à toute éventualité car, comme la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) n’a pas renoncé aux accords d’Alger, il est possible que, si l’avancée des troupes maliennes les force à se replier, les combattants de la CMA chercheraient refuge en Algérie avec l’autorisation d’Alger. Dans ce cas, des escarmouches directes avec l’armée algérienne ne sont pas à exclure.
Jusqu’à présent, les autorités algériennes se montrent rassurantes, laissant entendre qu’il n’est pas question d’une intervention militaire au Mali.
A ce propos, selon le Chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf: « L’Algérie ne peut pas tourner le dos à ce qui se passe dans la région du Sahel, parce que la sécurité et la stabilité de la région, c’est notre sécurité et notre stabilité à nous aussi ».
Il a poursuivi en ajoutant: « Tout ce que nous redoutions est devenu maintenant une caractéristique de la région du Sahel, c’est-à-dire le retour de la guerre civile contre laquelle nous avons mis en garde », tout en assurant que « l’Algérie demeure concernée, attentive et préoccupée par ce qui se passe au Sahel ».
Ahmed Attaf a affirmé entre-autres: « Nous avons suffisamment de bonnes intentions, de disposition politique et de volonté politique qui nous rend forts et qui nous incite à toujours contribuer à tout ce qui sert la sécurité, la stabilité et la paix dans la région ».
Il importe de rappeler qu’il y a des années, le gouvernement central du Mali était d’accord avec les Touareg, après avoir signé en 2015, sous la médiation de l’Algérie, un accord qui comprenait 68 points, dont le plus important était la reconnaissance par Bamako de la spécificité de la région du nord dans le cadre de l’État unifié.
Mais en janvier 2024, le conseil militaire, arrivé au pouvoir après deux coups d’État en 2020 et 2021, a annoncé la rupture de l’accord d’Alger, après des affrontements entre l’armée et des militants séparatistes, et en a attribué la raison à « un changement de position de certains des militants séparatistes » des groupes signataires de l’accord, et aux « actions hostiles » de la part du médiateur: « l’Algérie ».
L’offensive dans le nord du pays a toujours donné lieu à de nombreuses allégations d’exactions commises à l’encontre de la population civile par les forces maliennes et leurs alliés russes, depuis 2022, que les autorités maliennes démentent.
Le Mali est aussi en proie depuis 2012 aux agissements des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation Daech, et aux violences des groupes communautaires et qualifiés de « crapuleux ». La junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a depuis 2022 multiplié les actes de rupture. Ils ont rompu l’alliance ancienne avec la France et ses partenaires européens pour se tourner militairement et politiquement vers la Russie.
• La France soutient-elle vraiment les mouvements armés au nord du Mali contre l’autorité militaire ?
Dans ce contexte, aucune information fiable ou affirmation n’a exfiltré ou n’a été évoquée par les médias locaux ou internationaux, pour mettre la France dans le box des accusations.
Par contre, en revenant à janvier 2013, nous constatons que la France a lancé l’opération « Serval » dans le but de stopper l’avancée des groupes extrémistes armés vers le sud du Mali, et Paris avait déclaré à l’époque que l’opération visait à soutenir le gouvernement malien et qu’elle avait réussi à expulser une grande partie des groupes armés du nord du Mali après leur occupation de la région en 2012.
Plus d’un an et demi après, soit en août 2014, Paris avait annoncé l’opération « Barkhane » pour lutter contre les « extrémistes », en coopération avec 5 pays de la région sahélo-saharienne: la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, sachant que la France a déployé jusqu’à 5 000 soldats dans le nord du Mali.
Néanmoins, l’ancienne puissance coloniale du pays est devenue une entité indésirable au Mali après que l’armée ait renversé le gouvernement de Bamako, en août 2020, ce qui a incité Paris à retirer, en août 2022, ses derniers soldats.
Ceci dit, on ne peut pas affirmer que la France soutienne ou pas les groupes armés dans la région du Nord malien.
• Recommandations des spécialistes de la région
La meilleure façon de résoudre la crise actuelle au Nord-Mali serait de créer une « zone tampon » autour de celles où opèrent les groupes armés extrémistes. Cette zone limiterait l’entrée par voie aérienne ou terrestre de marchandises illégales dans la région. Sur une plus grande échelle, une approche régionale systématique visant le trafic illicite de stupéfiants, de tabac et d’armes devrait être appliquée pour restreindre les sources de financement de ces groupes armés. La réduction des flux de trésorerie conduira à un assèchement des fonds nécessaires au recrutement et au développement.
Même si la communauté internationale n’envisageait probablement jamais l’indépendance de l’Azawad, il est nécessaire de faire des efforts pour soutenir le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et les Touaregs qui s’opposent aux groupes armés dans la région, y compris ceux d’al-Qaïda. Les Touaregs sont les maîtres de leur environnement, et ils peuvent jouer un rôle clé dans la stabilisation du Sahel en expulsant les groupes extrémistes violents, et ils sont prêts à le faire, mais ils ne peuvent le faire sans aide.
Malheureusement, les choses se présentent actuellement plutôt mal dans la région. Le temps n’est pas du côté des Touaregs et le Nord-Mali devient un aimant pour les combattants armés étrangers qui aident maintenant à entraîner les recrues. En outre, les extrémistes violents bénéficient d’un environnement idéal dans lequel transporter des armes, faire entrer des renforts de combattants étrangers et s’enrichir du trafic de stupéfiants et d’autres formes de contrebande, en profitant des grandes quantités d’armes ayant appartenu à l’arsenal de Kadhafi en leur possession et de leur contrôle de pistes d’atterrissage près des villes de Gao, Tombouctou, Tessalit et Kidal.
Il importe de rappeler que cette région est en train de devenir un cauchemar stratégique pour les États-Unis et leurs alliés européens.
Le mot de la fin
Concernant « l’indépendance autoproclamée de l’Azawad », au mois d’avril 2012, celle-ci n’a jamais réussi à trouver le moindre soutien en dehors du cercle restreint des sympathisants du MNLA.
C’est ainsi qu’au nom de l’Union africaine (UA), dont il présidait la Commission, le gabonais Jean Ping, avait alors évoqué « une plaisanterie » et déclaré que l’organisation continentale rejetait « totalement la prétendue déclaration d’indépendance » et « condamnait fermement cette annonce qui est sans aucune valeur ».
Quant aux Etats-Unis, ils avaient rejeté, eux aussi, la déclaration d’indépendance en réagissant sur ces mots prononcés à l’époque par Patrick Ventrell, un porte-parole du département d’Etat américain: « Nous répétons notre appel à préserver l’intégrité territoriale du Mali ».
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