Africa-Press – Mali. Réunis à Kingston (Jamaïque), les négociateurs œuvrant à la création d’un cadre réglementaire d’une exploitation des ressources minières présentes sur les fonds hors des juridictions nationales n’ont pas décidé d’un moratoire portant sur toute activité extractive dans ces zones considérées comme « bien commun » par l’ONU. Depuis 1994, l’autorité internationale des fonds marins (AIFM) a pour mission de créer une sorte de code minier devant encadrer ces pratiques dès qu’elles seront techniquement possibles et financièrement rentables, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas.
Cette année, le sujet s’est nettement radicalisé. Lors de la troisième conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) à Nice début juin 2025, 37 Etats (dont la France, la Croatie ayant rejoint la coalition à Kingston) ont déclaré vouloir un moratoire d’au moins dix ans sur tout projet d’extraction minière dans les océans. Une réaction à la décision de l’administration américaine de Donald Trump d’autoriser par décret le 24 avril 2025 l’exploitation des fonds marins. A ce jour, une société canadienne basée à Vancouver, The Metals Company (TMC) a sollicité des permis d’exploiter. Nombre d’ONG et de diplomates ont donc été déçus que l’AIFM ne prenne aucune décision. Le débat continuera lors de la prochaine session de négociation l’an prochain.
Des recherches encore trop peu nombreuses sur un écosystème difficile d’accès
Les scientifiques européens ont profité de la réunion de Kingston pour faire un point sur les recherches menées sur les fonds marins et diffuser une dizaine de recommandations. L’initiative en revient à la quinzaine d’universités et d’organismes européens travaillant sur ces écosystèmes très difficiles d’accès. La France y est représentée par l’Ifremer. Ces laboratoires possédant des moyens d’explorations tels que des navires océanographiques, des véhicules sous-marins téléguidés (ROV) et des sous-marins de poche comme le Nautile exploité par l’Ifremer, ont commencé depuis près d’une décennie des programmes spécifiquement dédiés aux impacts possibles d’une exploitation minière sur le benthos. L’Union européenne a décidé de financer ces travaux au sein du programme DEEP-REST débuté en mai 2022. « Mais toute exploration des fonds marins doit également avoir l’autorisation de l’AIFM », précise Jozée Sarrazin, chercheuse en écologie benthique du milieu profond à l’Ifremer et coordinatrice de DEEP-REST.
Aujourd’hui, l’AIFM a délivré 31 contrats de recherche pour 21 organismes de 20 pays. Les zones investiguées se situent principalement dans l’Océan Indien, sur la zone de Clarion-Clipperton dans le centre de l’océan Pacifique et sur la dorsale médio-Atlantique. « Trois types de gisements potentiels situés pour la grande majorité entre 1700 et 3600 mètres de profondeur sont étudiés, poursuit Jozée Sarrazin. Les nodules polymétalliques sont présents en surface du sol et pourraient être aspirés, tandis que les encroûtements cobaltiques et les sulfures polymétalliques devront être forés ».
L’histoire géologique de ces endroits susceptibles de contenir du cobalt, du cuivre, du nickel et du manganèse tient à l’activité magmatique de la planète. Ces encroûtements proviennent de l’extinction de « fumeurs noirs », ces monts hydrothermaux qui évacuent la chaleur du noyau terrestre. « Or, si nous étudions depuis des années l’environnement de ces espaces actifs qui recèlent une biodiversité remarquable de mollusques, de crustacés, de vers, on ne s’était pas intéressé jusqu’à présent aux zones éteintes », reconnaît Jozée Sarrazin.
Des impacts inconnus qui méritent d’appliquer le « principe de précaution »
Ce n’est que depuis trois ans que ces explorations ont débuté en utilisant notamment la technique de l’ADN environnemental. En analysant des échantillons d’eau de ces profondeurs, les chercheurs peuvent ainsi déterminer des traces d’organismes vivants sans cependant pouvoir affirmer si leur présence est actuelle ou ancienne. Il faut donc croiser ces données avec des extractions d’échantillons. Les premiers résultats sont déjà surprenants. Le 15 octobre 2024, une équipe internationale (dont des chercheurs de l’observatoire océanologique de Banyuls-sur-mer) révélait dans la revue Nature Communications l’existence de vers et de crustacés sous les quelques centimètres d’encroûtement des fonds marins. « On connaissait déjà l’existence d’animaux vivant sous plusieurs mètres de sédiments, mais leur présence ici a été une réelle surprise », précise Jozée Sarrazin.
C’est sur la base de ces premiers constats qu’ont été rédigées les dix recommandations diffusées à Kingston en ce mois de juillet. Les découvertes d’une biodiversité spécifique au benthos incitent les chercheurs à préconiser une protection qui ne s’intéresse pas seulement au sol marin mais aussi à la colonne d’eau jusqu’à la surface. La diffusion probable de particules minérales dans l’océan affectera en effet les vies présentes dans le sol, mais aussi tous les habitants de l’océan à ses différentes profondeurs. Sans qu’on sache aujourd’hui de quelle manière, sur quelle distance et selon quels mécanismes ces impacts se produiront.
Les chercheurs vont même jusqu’à recommander dès à présent des mesures de restauration du milieu. « DEEP-REST s’est ainsi intéressé à l’après minier, détaille Jozée Sarrazin. Nous avons enlevé la croûte océanique sur des espaces restreints et nous avons remplacé le substrat naturel par des matériaux organiques comme le bois ou des os de vaches, mais aussi des supports neutres comme l’ardoise, afin de voir quels animaux revenaient s’implanter et à quelle vitesse ». Les premiers résultats montrent que la recolonisation est très lente, du fait des conditions de vie à ces profondeurs. Si des hectares de benthos devaient être raclés, il faudrait vraisemblablement des décennies pour que la vie revienne. Les constats portent cependant sur moins de trois ans, aussi il faudra encore plus de temps pour mieux appréhender les capacités de restauration de ces écosystèmes.
Du temps, c’est ce que réclament les scientifiques de DEEP-REST. Il faudra encore des années d’observation pour mieux comprendre la biodiversité qui serait impactée par l’activité minière et sa capacité à se reconstituer. Aussi, la décision d’exploiter ces milieux ne peut, selon les scientifiques, dépendre uniquement de permis accordé à des industriels mais regarde la communauté humaine toute entière. Leurs recommandations comportent ainsi un chapitre « gouvernance ». « Les citoyens doivent être pleinement informés des conséquences de l’exploitation minière marine pour décider de ce qu’il convient de faire ou pas », conclut Jozée Sarrazin.
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