Africa-Press – Mali. Faites-vous partie de ces hypertendus qui s’ignorent (huit millions de personnes en France) ou bien connaissez-vous précisément vos chiffres de tension artérielle (TA)? 12/7, 13/9 ou 15/10… Exprimés en millimètres de mercure (soit 120/70 mmHg, mais on dit 12/7), ils reflètent les mesures de pression dites systolique et diastolique qui s’exercent sur les parois des artères, à chaque battement du cœur.
Avant l’automne 2024, tout était simple (ou presque). Soit on avait 120/70 et l’on était « normo-tendu », soit on avait plus, 140/90 et au-delà, et l’on était « hypertendu » – comme 17 millions de personnes en France, soit un adulte sur trois. Désormais, selon les dernières recommandations, la Société européenne de cardiologie a associé la zone grise des chiffres intermédiaires, ceux compris entre 120 et 139, à la notion de « pression artérielle élevée ».
Par conséquent, vous êtes peut-être désormais un pré-hypertendu qui s’ignore. « On ne devient pas hypertendu du jour au lendemain, assure la Pr Béatrice Duly-Bouhanick, endocrinologue au CHU de Toulouse et ancienne présidente de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA). C’est justement le message de ce concept de pré-hypertension pour faire mieux comprendre que le risque cardio-vasculaire est continu et s’élève précocement. »
On connaît bien aujourd’hui les facteurs de risque de l’hypertension artérielle (HTA): poids, alcool, alimentation trop salée. Sans compter les antécédents familiaux, le sexe, mais aussi l’environnement. On sait aussi que l’élévation progressive des chiffres de tension artérielle s’explique par la diminution de la souplesse des parois des artères qui, avec le temps, se rigidifient. C’est la raison pour laquelle, à terme, l’hypertension est responsable d’accidents vasculaires cérébraux, de démence, d’infarctus, d’insuffisances cardiaque, rénale…
Bref, l’HTA est un fléau que l’Organisation mondiale de la santé a justement nommé « le tueur silencieux «. Le premier qualificatif n’est pas du tout usurpé car « chaque année en France, l’hypertension est responsable de 55.000 morts, soit 8,5 % de l’ensemble des décès, et de 500.000 hospitalisations « , pose le Dr Clémence Grave, de Santé Publique France. Quant au silence, il est lié à cette particularité de la maladie à avancer longtemps « masquée », sans symptôme hormis des crises hypertensives quand les chiffres s’envolent à plus de 200 mmHg. Mais aujourd’hui, entre des patients traités de façon non optimale, un dépistage très insuffisant et des mesures pas toujours fiables, la prise en charge de l’hypertension en France tend à se dégrader, déploraient unanimes les spécialistes lors de leur dernier congrès.
« Cette affection chronique, la plus fréquente de toutes, est une véritable maladie et non un simple facteur de risque, analyse le Dr Marilucy Lopez-Sublet, de l’hôpital Avicenne à Bobigny, aux manettes de l’organisation scientifique des dernières journées de la SFHTA. Or, personne ne prend vraiment le temps ni de la dépister, ni de bien la traiter, ni de l’expliquer aux patients. Résultat: tout le monde la banalise. »
Au fil du temps, les spécialistes ont appris à décrypter les mécanismes de régulation de la tension artérielle. Ceux-ci sont sous l’emprise d’un complexe système dit rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), dont l’objectif est de préserver l’équilibre dans l’organisme entre le sel et l’eau. En résumé, une cascade d’enzymes et d’hormones qui agit par l’intermédiaire du foie sur le rein, le cœur et les artères. Quand, pour des raisons multiples, il se met à dysfonctionner, les chiffres s’élèvent et il faut agir.
D’abord en suivant les mesures hygiéno-diététiques. Perdre du poids, manger moins salé, bouger… Autant d’actions qui, combinées, permettent d’aider à perdre les millimètres de mercure en excès. Moins un kilo sur la balance, c’est en moyenne moins un mmHg. Moins un gramme de sel par jour égale moins 5 mmHg. Très efficaces, elles permettent parfois un retour à la normale. Mais si au bout de six mois les chiffres sont toujours élevés, le recours aux médicaments s’impose.
« Développés depuis les années 1960, les antihypertenseurs se répartissent aujourd’hui en plus d’une centaine de molécules appartenant à plusieurs classes thérapeutiques comme les diurétiques, les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les inhibiteurs calciques et les antagonistes de l’angiotensine 2 « , détaille le Pr Jean-Jacques Mourad de l’Hôpital franco-britannique, à Levallois-Perret. Sans oublier les associations fixes, comme dans le cas du sida et de la tuberculose, et d’autres médicaments à venir, qui s’administreront non plus oralement comme aujourd’hui mais par voie injectable. « Mais toutes les molécules ne se valent pas en efficacité, insiste Jean-Jacques Mourad. Or, les médecins utilisent encore trop souvent par habitude des molécules anciennes, moins efficaces. »
Cinq conseils pour faire baisser la tension
Être actif: Il est recommandé de pratiquer au moins 2 heures 30 minutes d’activité physique modérée par semaine ou 1 heure 15 minutes d’activité physique vigoureuse répartie sur trois jours, l’important étant de bouger.
Manger moins salé: La consommation moyenne de sel est supérieure à 7 g par jour, quand elle devrait être de moins de 5 g. Elle provient à 80 % du sel caché (pain, plats préparés) et à 20 % du sel ajouté (cuisson, assiettes).
Plus de fruits et légumes: C’est l’un des piliers du régime dit Dash (Dietary approaches to stop hypertension) mis au point et promu par les Instituts nationaux de la santé aux États-Unis (National Institutes of Health).
Arrêter le tabac: Chaque cigarette entraîne une élévation de la tension artérielle durant une période de 20 à 40 minutes, ainsi qu’une augmentation du rythme cardiaque d’environ 40 %.
Limiter l’alcool: De nombreuses études ont démontré l’augmentation de la pression artérielle due à l’alcool, même avec des niveaux de consommation standard.
Seul un hypertendu sur quatre est contrôlé
« C’est tout le problème de l’inertie thérapeutique due à une grande méconnaissance des traitements, martèle le Pr Jean-Marc Boivin, à Nancy, responsable de l’un des 20 pôles d’excellence en France de l’HTA. Certains médecins se contentent ainsi de renouveler de trois mois en trois mois, voire tous les mois, des traitements souvent inadaptés, prescrits à des posologies très faibles et peu actifs. » Le spécialiste poursuit: « De plus, face à des chiffres élevés trouvés en consultation et attribués à l’effet ‘blouse blanche’, aucun contrôle n’est demandé ultérieurement avec une automesure ou une mesure ambulatoire pendant 24 heures [dite Holter ou Mapa]. »
Résultat: comme l’a établi en 2023 l’étude Esteban, menée par Valérie Olié de Santé Publique France, seul un hypertendu sur quatre est contrôlé. Ce vaste travail, estimant également que seuls 40 % des patients étaient observants, révèle que dans 60 % des cas, le traitement prescrit ne repose que sur une seule molécule, une monothérapie. Or, de multiples études cliniques, toutes publiées dans des revues internationales de référence, ont démontré depuis dix ans que l’efficacité est meilleure avec des associations de deux, trois ou même quatre molécules, comme dans les cas d’hypertension sévère et résistante. En outre, « l’adhésion thérapeutique est alors bien meilleure, le nombre de comprimés étant réduit « , note Béatrice Duly-Bouhanick.
Chez les femmes, des périodes charnières à surveiller
La prévalence de l’hypertension diffère selon les sexes. Protégées par leurs hormones sexuelles pendant leur vie reproductive (avant 50 ans), les femmes sont moins touchées que les hommes, mais après la ménopause (après 55 ans), le risque s’élève chez elles et devient supérieur au leur. Avec l’âge, les HTA des femmes sont aussi plus résistantes. On ne sait pas encore s’il s’agit de formes plus sévères ou d’une moindre efficacité des traitements. En attendant, il faut au moins se faire dépister à trois étapes de la vie: la mise en route d’une contraception, la grossesse et la ménopause. Malheureusement, « la prise en charge des femmes entre 44 et 75 ans se dégrade », insiste le Pr Jacques Blacher, de l’Hôtel-Dieu, à Paris. D’où l’importance d’initiatives comme celle des Bus du Cœur des femmes.
Des mécanismes complexes et intriqués
Cette vision actuelle – bien différente de la conception des années 1970, qui a pu un temps laisser croire qu’une seule molécule permettrait de traiter l’HTA -semble avoir du mal à passer dans la communauté médicale. Pourtant, les recommandations de la Haute Autorité de santé, datant de 2016, précisent bien que si « une monothérapie peut suffire à contrôler la tension, la plupart des HTA nécessitent sur le long terme une plurithérapie «. Idem avec les recommandations européennes et internationales les plus récentes.
« Évidemment, il ne s’agit pas de traiter médicalement tout le monde, précise Jean-Marc Boivin , mais si on combinait mieux les classes thérapeutiques, 90 % des patients seraient contrôlés. » « Il faut bien comprendre que les mécanismes de l’HTA sont complexes, intriqués et que chaque classe thérapeutique n’agit que sur l’un d’entre eux, détaille Jean-Jacques Mourad. Or, on ne sait jamais à l’avance chez tel ou tel patient quel système est responsable de l’élévation de la tension. Comme, de surcroît, les mécanismes évoluent avec le temps de manière sournoise, le médicament initialement choisi peut perdre en efficacité. Il faudrait alors revoir sa prescription, la modifier et savoir trouver la combinaison qui agira sur plusieurs systèmes de régulation de manière efficace et pérenne. »
Malheureusement, « l’enseignement de l’HTA en France au cours des études médicales, c’est moins de trois heures au total ! « , déplore le Pr Sébastien Rubin du CHU de Bordeaux, secrétaire général du Comité de lutte contre l’hypertension artérielle. De plus, « il ne faut pas oublier les campagnes de désinformation sur la non-efficacité des antihypertenseurs, l’absence de soutien des pouvoirs publics qui ont supprimé en 2011 l’HTA de la liste des affections dites de longue durée (ALD) et le manque d’intérêt général pour la prévention « , détaille le spécialiste.
Face à cet état des lieux un peu désespérant, si vous croyez que tout va bien se passer avec un « petit 13/8 » pris entre deux portes chez votre médecin, vous avez tout faux. S’il est une certitude en 2025, c’est que rien ne vaut l’automesure. Les nouvelles recommandations sont à cet égard très claires: « Pas de prise de tension au cabinet médical pour le diagnostic et le suivi de la tension «. À cela deux raisons: éviter d’une part le classique effet « blouse blanche », ce stress de l’examen induit par la présence du médecin, qui peut majorer les chiffres de plusieurs millimètres de mercure (jusqu’à plus 40 mmHg), d’autre part les mesures peu fiables réalisées à la va-vite, avec des équipements dits anéroïdes, quand le médecin glisse son stéthoscope sous le brassard. « Notre étude menée auprès de 500 généralistes a montré que 78 % d’entre eux utilisaient encore ces appareils jugés obsolètes depuis vingt ans « , détaille Jean-Marc Boivin.
Quant à l’automesure, là encore certains médecins hésitent à la proposer. Une enquête conduite par l’équipe nancéenne de Jean-Marc Boivin, parue dans Plos One en 2019, s’est ainsi intéressée aux arguments rapportés (anonymement) par une cinquantaine de médecins: « Les patients n’ont pas besoin de connaître leurs chiffres « , « cela va les stresser « , « calculer la moyenne, c’est fastidieux « , « je n’ai pas confiance dans les brassards automatisés «. Dès lors, comment parvenir à bouger les lignes?
« En élargissant le dépistage aux pharmaciens, aux infirmiers de pratique avancée et en nous inspirant de l’expérience québécoise, où la mobilisation très efficace de tous les soignants permet à chacun, dans des lieux dédiés et aisément accessibles, de connaître très facilement ses chiffres de tension artérielle « , propose Jean-Marc Boivin. « Nous avons besoin des pouvoirs publics pour le lancement de campagnes d’information nationale, comme ‘Know your numbers’ menée outre-Manche, et que chacun connaisse enfin ses chiffres de tension, son taux sanguin de sucre et de cholestérol « , renchérit le Pr Jacques Blacher de l’hôpital Hôtel-Dieu, à Paris.
Sans oublier d’inciter les médecins à actualiser leurs connaissances, tout en améliorant l’enseignement des futurs soignants. « Mais nous soignons encore l’HTA comme si tous les patients étaient identiques, pointe Sébastien Rubin. Or, grâce aux avancées de l’intelligence artificielle, du big data, de la génétique et des technologiesomiques, on pourra à l’avenir personnaliser nos approches et donner à chaque hypertendu des informations adaptées à son profil, soit le bon conseil et le bon traitement au bon moment. »
La promesse de seulement deux doses sous-cutanées par an
Révolution en vue dans le traitement de l’hypertension. Des essais prometteurs en cours de phase 2 avec de nouvelles molécules (zilebesiran, laboratoires Alnylam, ION 904, Ionis) prévoient un changement radical de stratégie thérapeutique: passer à un traitement semestriel avec simplement deux injections sous la peau par an !
Cette avancée n’aurait pas vu le jour sans les travaux de deux Américains, Craig Mello et Andrew Fire, menés dans les années 1990 et récompensés par le prix Nobel de médecine en 2006. Ils ont révélé un mécanisme qui a permis le développement d’une technologie reposant sur les ARN dits interférents, capables d’agir en bloquant en amont la production d’une protéine. Ici, c’est une protéine synthétisée par le foie, l’angiotensinogène, qui est inactivée. Or, celle-ci intervient de manière incontournable dans le système majeur de régulation de la pression artérielle appelé système rénine-angiotensine-aldostérone, une cascade complexe agissant sur le rein. En bloquant ainsi le système à sa source, l’action antihypertensive s’avère puissante et durable, jusqu’à 24 semaines avec une seule injection !
Les travaux à ce jour les plus avancés ont été menés avec le zilebesiran. Après une première publication en 2023 dans la revue New England Journal of Medicine, les essais cliniques se poursuivent aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En avril 2024, les résultats présentés lors du prestigieux congrès de l’American College of Cardiology ont enthousiasmé les cardiologues, même s’il n’est pas encore assuré que deux injections annuelles permettent aux patients de s’affranchir totalement de la prise d’autres médicaments. Quant aux essais de toxicité, ils sont toujours en cours.
Les hypertendus seront-ils tentés par la technologie ARN? Quel sera le prix de ces médicaments? Autant de questions pour l’instant sans réponses. Mais certains prévoient déjà que, dans le futur, ces molécules soient associées à d’autres traitements injectables, destinés, eux, à faire baisser le cholestérol.
Une campagne de dépistage dans des lieux publics
Sébastien Rubin entame ce printemps, avec le soutien de la Fondation de recherche sur l’hypertension artérielle, l’analyse de dix études dites Flahs (French League Against Hypertension Survey), soit des données concernant au total 40.000 personnes. En attendant les résultats, voici venir le mois de mai, un temps classiquement dévolu au dépistage dans la population avec la campagne MMM (May Measurement Month). Lancée en 2017 dans plus de 100 pays par la Société internationale d’hypertension, elle a permis de sensibiliser près de 5 millions de personnes.
En pratique, il s’agit de prises de tension proposées par des bénévoles dans des lieux aussi variés que des pharmacies, des supermarchés, des parkings… Démarrée en France en 2019, elle n’a pour l’instant concerné que 5000 personnes, faute de personnels motivés. Selon les premiers résultats, plus de 30 % d’entre elles avaient des chiffres élevés et 7 % n’avaient même jamais eu de prise de tension ! Cette année, l’opération se poursuivra jusqu’en juillet dans différents lieux en France: il suffi ra de tendre le bras pour connaître ses propres chiffres.
Comment bien effectuer l’automesure
« Aujourd’hui, la pierre angulaire d’une bonne prise en charge de la tension artérielle repose sur l’automesure, la prise de la tension par le patient lui-même, à son domicile », insiste le Pr Jean-Marc Boivin, à Nancy. Dans ce cas, le protocole à respecter est le suivant: s’asseoir sur une chaise au calme pendant cinq minutes, dos calé et jambes non croisées, ne pas parler, ni fumer, ni bouger, et poser un bras à l’horizontale devant soi, sur une table. Puis se munir d’un tensiomètre « moderne », c’est-à-dire automatisé, adapté à sa corpulence, avec un brassard en accord avec la circonférence de son bras. Et enfin suivre la recommandation de « la règle dite des 3 », trois mesures le matin, trois autres le soir pendant trois jours minimum. Il ne reste plus qu’à reporter les mesures sur une fiche remise par le médecin ou recourir à des applications comme Hy-Result, un algorithme de mesure de pression artérielle scientifiquement validé sur le plan international par une équipe française qui croise les mesures avec les données personnelles.
Avant l’acquisition du matériel (environ 40 euros), et pour tenter de s’orienter dans la jungle des modèles disponibles à ce jour et qui ne sont pas tous validés, il sera utile de consulter le site Stride BP* (en anglais). Cette organisation sans but lucratif, créée en 2019 par des spécialistes de l’hypertension artérielle, travaille en lien avec différentes sociétés savantes internationales et recommande les appareils après validation par son comité scientifique. Mais tout va très vite dans le monde de la tension artérielle. Si la méthode auscultatoire (celle où le médecin glisse son stéthoscope sous le brassard) – peu fiable – a été détrônée il y a déjà plus de vingt ans par celle dite oscillométrique (les brassards autogonflables), une autre approche se profile. Il s’agit de la photopléthysmographie, une technique de lecture optique qui détecte les variations de flux sanguin sous la peau grâce à des capteurs infrarouges.
Différents modèles (bracelets, bagues, patchs…) permettront d’ici peu des prises sans limites, en mouvement, la nuit… bref, dans la vraie vie. Patience, néanmoins, car ils ne sont pas encore validés à ce jour, leurs algorithmes n’étant pas considérés comme suffisamment fiables par les sociétés savantes.
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