Africa-Press – Mali. Peut-on imaginer un jour des générations entières sans fumeurs? L’objectif de voir réduite à 5% une population de fumeurs, et de « bâtir la première génération sans tabac à l’horizon 2032 » comme le mentionne le dernier plan de lutte contre le tabac 2023-2027 est-il à notre portée?
Interdiction générationnelle du tabac: c’est dans l’air du temps?
L’idée infuse depuis une petite décennie à peine en Europe et dans le monde. Après des hésitations en Nouvelle-Zélande et des débats en Malaisie ou au Danemark, la Grande-Bretagne s’est engagée clairement dans une interdiction de la vente de produits de tabac qui touchera progressivement toutes les générations nées après le 1er janvier 2009. A leurs 18 ans, les citoyens nés après cette date ne pourront jamais se voir proposer de cigarettes, cigarillos ou tabac à rouler dans le courant de leur vie.
Le but? Eloigner ces classes d’âge plus sensibles à l’addiction. A la veille de la Journée mondiale sans Tabac, et dans un contexte français et international plus favorable, députés, Santé publique France et l’Alliance contre le Tabac (ACT, un collectif d’associations anti-tabac) font une proposition de loi pour instaurer une interdiction générationnelle du tabac. Les arguments ont été développés lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale le 27 mai. Le chemin de cette nouvelle mesure très forte sur le plan symbolique pourrait être semé d’embûches !
La cigarette en passe de devenir ringarde chez les jeunes?
Les programmes de lutte anti-tabac portent leurs fruits: la consommation quotidienne de « produits fumés du tabac » (cigarettes manufacturées, cigarettes roulées, cigares, cigarillos et chicha) chez les adultes en France n’a jamais été aussi faible depuis les années 1990. L’analyse de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en partenariat avec Santé publique France indique une proportion de 31,1 % de fumeurs occasionnels ou quotidiens (23,1 % sont des fumeurs quotidiens) dans la population des 18-75 ans.
Chez les plus jeunes, la cigarette est – peut-être – en passe de devenir ringarde. Les adolescents d’il y a quelques années qui s’en désintéressaient appartiennent aujourd’hui à la tranche des jeunes adultes (18-24 ans) chez qui l’OFDT et Santé publique France notent un niveau de tabagisme quotidien « désormais plus faible » que celui des 25-34 ans. Il y a encore peu de temps le tabac était la seule drogue à être fumée quotidiennement par un grand nombre de mineurs dès le lycée, et les niveaux de consommation des jeunes Français étaient supérieurs aux moyennes observées chez les adolescents européens.
Cependant les politiques publiques semblent encore un peu trop « timorées » aux dires du Pr Christian Ben Lakhdar, économiste de l’Université de Lille, malgré « une opinion publique favorable à voir la fin du tabac ».
Une génération sans tabac, concrètement, cela veut dire quoi?
Il s’agirait d’interdire la vente de produits du tabac chez les buralistes, commerces et lieux publics à des personnes nées après le 1er janvier 2014. Le commerçant aura l’obligation de demander à son client de fournir une preuve de sa date de naissance. Tout comme ce même commerçant doit aujourd’hui vérifier que ses clients sont majeurs, ainsi qu’il est exigé depuis 2009.
Ces personnes nées en 2014 et après, âgées aujourd’hui (2025) de 11 ans et moins, ne pourront pas acheter légalement de produits du tabac quand elles atteindront leur 18 ans, l’âge légal en France. La première génération à expérimenter cette « dé-commercialisation » le ferait en 2032. Et d’année en année, cette génération, ainsi que les suivantes, ne se verront jamais proposer ces produits à la vente au cours de leur vie. L’objectif à long terme est de construire une société débarrassée du tabac.
Une proportion de jeunes continue de tomber dans l’addiction au tabac fumé et vient grossir les effectifs de fumeurs. Les mesures déjà prises en matière de lutte contre le tabagisme ont concerné jusqu’ici l’interdiction de la publicité, de la vente aux mineurs, la généralisation du paquet neutre et l’interdiction des cigarettes électroniques jetables (puffs). Toutes ces décisions visaient à « dénormaliser » le tabac auprès de tous et surtout des plus jeunes. Si une interdiction générationnelle du tabac se mettait en place dans le pays, elle aurait plus d’effets encore que les impacts cumulés des interdictions évoquées plus haut. La directrice Marion Catellin d’ACT rappelle que « 7 Français sur 10 se disent favorables à l’idée d’une génération sans tabac, et 9 adolescents sur 10 déclarent vouloir vivre dans un monde sans tabac ».
Le coût social du tabagisme
Même avec des proportions de fumeurs en baisse, la consommation de tabac reste au regard de l’ACT et de Santé publique France un problème de santé publique. En France, on compte 75.000 décès par an, soit un décès sur 8. Un fumeur régulier sur deux décèdera de son tabagisme. Il faut aussi prendre en compte le tabagisme maternel, qui impacte la santé des enfants, et les pollutions environnementales liées aux 30 milliards de mégots jetés en France.
La cigarette et ses déclinaisons ont un coût social et économique dont la société française pourrait bien se passer. La dernière estimation de ce coût social du tabagisme remonte à 2023 mais porte sur l’année 2019. D’un côté, sont alignées les dépenses engendrées par ce tabagisme: les années de vie en bonne santé perdues, le coût des soins pour les maladies occasionnées par le tabac, les pertes de production et de travailleurs aptes. De l’autre, les gains entrants, générés par les taxes gouvernementales sur les produits commercialisés, et les économies réalisées sur les retraites des individus décédés prématurément. Le tabac représente 156 milliards d’euros de dépenses par an en France. Ce qui est clairement déséquilibré par rapport aux 13 milliards d’euros rapportés par les taxes perçues sur le tabac, remarque la directrice de l’ACT, Marion Catellin.
La mise en œuvre d’un arrêt progressif de vente de produits du tabac aux jeunes générations demandera l’assentiment et la collaboration de plusieurs acteurs. Les buralistes joueront probablement un rôle-clé. L’industrie du tabac, très active et innovante, a déjà anticipé la perte de ses bénéfices. Elle met en avant des produits de tabac chauffés, qui n’émettraient pas de fumées nocives comme les cigarettes et leurs différentes formes mais oublie volontiers l’effet addictif de la nicotine présente. L’ACT se propose d’inclure ces produits de tabac chauffé dans sa proposition de loi. Les produits de vapes n’y seront pas inclus.
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