Africa-Press – Mali. Oubliez les lunettes de vision nocturne des films d’espionnage… Place aux lentilles de contact pour voir l’invisible ! Des scientifiques de l’Université des sciences et technologies de Chine (USTC) ont mis au point des lentilles de contact capables de capter la lumière infrarouge – imperceptible pour l’œil humain – et de la convertir en lumière du spectre visible. Une fois portées, elles permettent de percevoir des photons de grandes longueurs d’ondes, même les yeux fermés. « On les croirait sorties d’un film de science-fiction. Elles ouvrent de nouvelles possibilités pour comprendre le monde qui nous entoure », s’enthousiasme Xiaomin Li, chimiste à l’université Fudan de Shanghai. Ces travaux ont été publiés dans la revue Cell.
Voir, même les yeux fermés
« Ce que nous appelons ‘voir’ aujourd’hui est terriblement limité », écrit le chirurgien ophtalmologue Romain Nicolau dans une tribune, suite à la parution de cette étude. « Ces lentilles changent la donne ». En effet, le spectre du visible est assez restreint. L’œil humain ne perçoit ni les ultraviolets, contrairement aux abeilles, ni les infrarouges, contrairement aux moustiques par exemple. Mais pourquoi? Notre rétine est recouverte de protéines, notamment les opsines. Ces dernières changent de conformation quand elles absorbent un photon, une particule émise par la lumière. Mais cette réaction requiert une certaine quantité d’énergie, que les photons infrarouges ne possèdent pas car leur longueur d’onde est trop grande.
Les scientifiques de l’Université des sciences et technologies de Chine travaillent à pallier cette lacune visuelle. En 2019 d’abord, ils confèrent la vision infrarouge à des souris en injectant directement dans leur rétine des particules bien spécifiques. Efficace, mais invasif ! Dans l’objectif de passer sur un sujet humain, l’équipe de Yuqian Ma, co-auteur de l’étude, a conçu des lentilles de contact pour héberger ces nanoparticules. Ils ont ensuite appliqué ces dispositifs aux souris et testé leur vision en observant leur choix de cachette. L’une des boîtes était éclairée par une lumière infrarouge, l’autre non. Les abris les plus sombres étant considérés comme plus sûrs, qu’ont préféré les souris? Systématiquement, les individus dotés d’une vision augmentée optaient pour le repaire plongé dans le noir alors que les souris témoin sélectionnaient l’un ou l’autre sans distinction. Les rongeurs équipés de lentilles pouvaient effectivement percevoir la lumière infrarouge.
Les chercheurs ont ensuite proposé à des volontaires de porter ces lentilles. Leurs résultats ont montré que les individus étaient alors capables de percevoir la lumière vacillante d’une ampoule LED à infrarouge assez clairement pour capter des signaux de code Morse. « Les performances des lentilles s’amélioraient même lorsque les participants fermaient les yeux, car la lumière proche de l’infrarouge pénètre facilement les paupières, alors que la lumière visible, qui aurait pu interférer avec la formation de l’image, le fait dans une moindre mesure », indiquent les scientifiques.
L’infrarouge en couleurs
Mais comment sont fabriquées ces lentilles innovantes? Les scientifiques ont ajouté des nanoparticules provenant de terres rares, dont l’ytterbium et l’erbium, à une matrice de polymères couramment utilisés pour apporter de la souplesse aux lentilles de contact. « Le principal défi consistait à introduire suffisamment de nanoparticules dans les lentilles pour convertir la lumière infrarouge en lumière visible détectable, sans pour autant altérer les propriétés optiques des lentilles, notamment leur transparence », se souvient Yuqian Ma. Ils ont ainsi abouti à des lentilles transparentes à 90%.
Pour convertir les infrarouges en lumière visible, et même colorée, trois étapes se succèdent. D’abord, certaines nanoparticules absorbent les photons infrarouges, grâce aux ions qu’elles contiennent. Puis il y a transfert d’énergie vers d’autres ions émetteurs, qui engendrent alors un photon de plus haute énergie, perceptible par la rétine. Mieux, trois longueurs d’onde infrarouges sont converties en trois couleurs visibles: vert, bleu et rouge. « Ce n’est plus seulement l’œil qui voit, c’est la science qui ouvre la paupière », écrit le Dr Nicolau, conquis. D’après le communiqué de l’Université des sciences et technologies de Chine, le coût de fabrication de ces dispositifs avoisinerait 175 euros pour une paire.
Quelles applications?
Pour les chercheurs, les lentilles pourraient un jour remplacer les lunettes de vision nocturne « qui sont encombrantes et nécessitent une source d’énergie », indiquent-ils. Les lentilles permettraient ainsi de repérer des signes anti-contrefaçon qui utilisent des marquages infrarouges, et pourraient même être utiles en santé ! Certaines interventions chirurgicales nécessitent la fluorescence dans le proche infrarouge. Équipés de lentilles, les médecins pourraient détecter directement les lésions cancéreuses, sans utiliser de caméra spéciale.
Elles présentent toutefois quelques inconvénients que les scientifiques tentent de corriger. Comme les nanoparticules intégrées diffusent la lumière, les images créées par les lentilles sont floues, et ne permettent pour l’instant que la perception de lumière infrarouge intense. L’équipe essaie donc à présent de développer des particules capables de convertir la lumière de manière plus efficace, afin d’améliorer la sensibilité de leur technologie.
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