Microplastiques, Mégapollution

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Microplastiques, Mégapollution
Microplastiques, Mégapollution

Africa-Press – Mali. Un continent de plastique, six fois plus grand que la France, dans le Pacifique Nord ; des marées noires dues à des explosions de plateformes, des naufrages de pétroliers ou des dégazages sauvages ; des efflorescences d’algues vertes toxiques sur les plages à cause des rejets massifs d’engrais azotés… Ces phénomènes spectaculaires illustrent de manière alarmante la pollution des océans. Pourtant, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Car une pollution plus discrète mais très persistante est à l’œuvre. Émanant notamment du plastique – qui se fragmente tôt ou tard en microparticules – et du mercure, elle s’installe jusqu’au plancher océanique. Difficile à quantifier, elle menace non seulement tous les écosystèmes marins, mais aussi la santé humaine via la chaîne alimentaire: plus de 3 milliards de personnes dépendent des produits de la mer pour leur alimentation.

Prenons les microplastiques, en croissance exponentielle depuis vingt ans. Actuellement, que ce soit via les fleuves, les réseaux d’eaux usées et pluviales ou les activités du littoral, les océans reçoivent entre 10 et 20 millions de tonnes de plastique par an – l’équivalent d’un camion poubelle par minute. « Ce flux annuel pourrait atteindre les 43 millions de tonnes en 2060 si l’on ne limite pas la production ni la pollution », alerte Jeroen Sonke, chercheur en géosciences de l’environnement au CNRS.

« Nous avons trouvé des microplastiques partout »

Depuis les années 1950, plus de 200 millions de tonnes auraient été ainsi larguées dans les océans. Pourtant, la fraction qui flotte à la surface, notamment dans les cinq gyres – ces gigantesques tourbillons résultant de la convergence de courants marins – ne représente que 2 % de ce total. Que deviennent les 98 % restants?

Une partie d’entre eux, non quantifiée, retourne à la côte. Des marées de plastiques envahissent ainsi des plages de Bali après la mousson ; certains, transformés en aérosols par des vagues déferlantes, finissent dans les neiges, les glaciers et les lacs de montagne. Le reste du flux des déchets, fragmenté sous l’effet des UV et des vagues en microparticules plus denses que l’eau, plonge dans les profondeurs où il est difficile à suivre, car il est entraîné par les courants océaniques.

Une fraction sans doute non négligeable est ingérée par les animaux marins: du plancton aux tortues, on en a trouvé dans de nombreuses espèces. Une autre, colonisée par des organismes vivants, sédimente au fond ou dans les zones côtières. Les microplastiques finissent par se fragmenter à leur tour en nanoparticules (moins de 0,001 millimètre) encore plus difficiles à quantifier.

Publiés en avril dernier, les résultats de la mission Tara Microplastiques, menée en 2019 sur neuf grands fleuves européens, apporte un éclairage inédit et inquiétant. « Nous avons trouvé des microplastiques partout », indique Jean-François Ghiglione, spécialiste d’écotoxicologie marine au CNRS et directeur scientifique de la mission. Or, comme chacun sait, les fleuves se jettent dans… la mer. Les chercheurs ont analysé deux catégories de microplastiques: les grands (de 5 à 0,5 mm), les plus étudiés jusqu’à présent, et les petits, invisibles (0,5 à 0,025 mm), dont la masse a été mesurée pour la première fois grâce à une nouvelle méthode combinant la pyrolyse (chauffage à 600 °C), la chromatographie gazeuse (technique permettant de séparer les molécules) et la spectrométrie de masse (qui analyse la masse des substances chimiques afin de les caractériser).

« La concentration des petits microplastiques est en moyenne 35 fois supérieure à celle des grands. Elle peut atteindre 100 microgrammes par litre, du jamais vu pour aucun autre polluant dans les fleuves », note la physico-chimiste Alexandra Ter Halle, chercheuse CNRS à l’université de Toulouse, qui apporte une explication: « La fragmentation en microparticules ne se produit pas seulement dans l’océan, mais aussi en amont, en raison de l’usure quotidienne des objets contenant du plastique: frottement des pneus ou des bouchons de bouteille, lavage des vêtements, paillage agricole, etc. »

Les microplastiques peuvent servir de « radeaux à contaminants »: une bactérie pathogène – susceptible de provoquer des infections de type otite ou péritonite – a ainsi été pour la première fois identifiée sur l’un d’eux par la mission Tara. Ils véhiculent aussi une considérable diversité de produits chimiques potentiellement toxiques (additifs, métaux lourds, colorants…): plus de 16.000 de ces molécules entrent dans la fabrication des plastiques. Or la toxicité des particules s’avère inversement proportionnelle à leur taille: plus elles sont petites, plus elles pénètrent facilement dans le sang et les organes.

La pollution au mercure touche toute la chaîne alimentaire

Quantifier les plus petites d’entre elles, les nanoparticules, dans l’eau de mer devient donc une priorité. Une méthode mise au point par une équipe chinoise semble prometteuse. Elle a permis d’identifier des nanoparticules de nylon, de polystyrène et de PET (polyéthylène téréphtalate, le plastique des bouteilles d’eau), dans deux sites océaniques. In fine, devant l’étendue du problème, alors qu’un traité mondial contre la pollution plastique pourrait enfin être signé cet été, de nombreux scientifiques plaident pour réduire la production et interdire d’y incorporer des produits chimiques toxiques.

Autre pollution marine invisible et menaçante pour la chaîne alimentaire, qui a fait parler d’elle récemment: celle au mercure. Ou, plutôt, à l’une de ses formes dégradées, le méthylmercure. Car ce dernier est neurotoxique. Ingéré sur de longues périodes et à doses élevées, il provoque des déficits cognitifs, notamment chez les enfants.

Des taux élevés de méthylmercure ont été retrouvés dans certaines boîtes de thon vendues en France et testées par l’association pour la protection des océans Bloom à l’automne 2024: 3,9 mg / kg pour le produit le plus contaminé, alors que le maximum autorisé pour les gros poissons (thon, espadon, requin) est de 1 mg / kg. En outre, plus de 50 % des conserves testées présentaient un taux supérieur à 0,3 mg / kg, qui est le seuil fixé pour les petits poissons (sardines) et les crustacés. « Or il n’y a aucune raison scientifique pour augmenter le seuil avec la taille du poisson », assure l’océanographe chimiste du CNRS Lars-Eric Heimbürger-Boavida, spécialiste du mercure.

Est-ce à dire qu’il faut impérativement s’abstenir de manger du thon en conserve? « Non, tempère-t-il, car l’étude de Bloom n’a porté que sur 148 boîtes, alors qu’il faudrait en tester un bien plus grand nombre pour en tirer une conclusion objective. Reste qu’il faut privilégier la consommation de petits poissons riches en oméga-3 dont la teneur en méthylmercure est plus réduite. » L’important est donc de comprendre d’où vient cette contamination afin de savoir si l’on peut la réduire… Ce qui n’est pas une mince affaire.

Le mercure, sous sa forme gazeuse, est émis à la fois naturellement par le volcanisme terrestre et sous-marin, et artificiellement par la combustion des énergies fossiles, principalement dans les centrales à charbon. « Les émissions de mercure dans l’atmosphère dues à cette combustion sont évaluées à 2.500 tonnes par an. Elles sont susceptibles de gagner toutes les régions du globe, y compris les plus reculées, donc de polluer tous les océans. S’y ajoutent 600 tonnes de mercure véhiculées par les cours d’eau et provenant d’eaux usées et de l’orpaillage », précise Lars-Eric Heimbürger-Boavida.

Mais le problème la part de ce mercure anthropique absorbée par les océans n’est pas quantifiée avec précision. Pas plus que ne l’est le mercure naturel émanant des fluides hydrothermaux issus des volcans sous-marins. Or, quelle que soit sa source, le mercure océanique peut être transformé par des bactéries en ce redoutable méthylmercure, qui contamine toute la chaîne trophique.

Il est amplifié d’une espèce à l’autre au long de cette chaîne alimentaire, jusqu’à des millions de fois pour un gros prédateur comme le thon. Dernier sujet d’inquiétude: le réchauffement climatique – les bactéries aiment la chaleur – favorise sa production. En Arctique, la fonte progressive du pergélisol, où sont enfouies environ 600.000 tonnes de mercure, fait donc redouter une forte contamination des animaux marins à l’avenir. Une raison de plus de lutter contre le réchauffement climatique.

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