Africa-Press – Mali. Dans la pénombre d’une grotte de Dien Bien au Vietnam, tout près de la frontière sud de la Chine, une chauve-souris échoue à éviter un rideau de fils tendus sur un cadre. Empêtrée, elle glisse au fond d’un sac. La main gantée qui la récupère est celle d’Alexandre Hassanin, phylogénéticien (l’étude des liens de parenté entre espèces) et spécialiste des mammifères à la Sorbonne Université. Il prélève des fèces et réalise une biopsie de l’aile de l’animal avant de le relâcher. Ce dernier s’avèrera porteur d’un coronavirus extrêmement proche du virus du Covid-19 (le SARS-CoV-2) au niveau de la protéine Spike qui lui sert de clé d’entrée dans les cellules humaines. Depuis la pandémie de Covid-19, impossible pour les scientifiques étrangers d’étudier les chauves-souris du Yunnan, tout au sud de la Chine, où les experts s’accordent à localiser l’ancêtre du SARS-CoV-2 qui dévasta le monde. « La chauve-souris est le réservoir du ou des ancêtres du SARS-CoV-2, il n’y a pas de doute », affirme Alexandre Hassanin.
Dans l’affaire des origines du Covid-19 où les certitudes sont rares, le mystère commence à la sortie de la grotte. Comment le virus est-il arrivé jusqu’à Wuhan, à 1500 kilomètres de là? De plus en plus d’éléments pointent vers une sortie accidentelle du laboratoire de l’Institut de Virologie de Wuhan (WIV) réputé mondialement pour son expertise des coronavirus. Mais l’hypothèse d’une émergence zoonotique (transmission de l’animal vers l’humain) est loin d’être écartée. Malheureusement, cinq ans après le début de l’épidémie, la piste a eu le temps de refroidir et les chances de trouver des preuves indiscutables d’une zoonose sont très minces.
Le pangolin, hôte intermédiaire idéal mais recalé
Dans la ville de Wuhan, les symptômes des 174 premiers cas débutent dès décembre 2019 jusqu’à déclencher l’alerte de l’Organisation Mondiale de la Santé le 30 décembre. Parmi eux, 96 (55,4%) avaient été exposés à un marché, dont la moitié au marché de Huanan où se vendaient illégalement des animaux sauvages vivants. Les experts du monde entier font immédiatement le lien: un coronavirus lié à un endroit où humains et animaux sauvages se côtoient, cela ne peut que signer une zoonose – une épidémie transmise par l’animal. « C’est le premier réflexe, qui fait référence à l’histoire naturelle des maladies émergentes similaires comme le SARS de 2003, transmis par la civette, et le MERS de 2011 transmis par le chameau », explique Marc Eloit, directeur du laboratoire « Découverte des Pathogènes » à l’Institut Pasteur.
Mais voilà, là où quelques mois ont suffi à identifier les deux espèces à l’origine de ces anciennes épidémies, cinq ans après, rien n’a été trouvé pour le Covid-19. « Le pangolin était un hôte idéal car il côtoie de près les chauves-souris, puisqu’il niche avec elles dans les arbres creux, et aurait pu être importé en Chine par le trafic », explique Alexandre Hassanin. Mais la séquence d’ARN du virus du Covid-19, composé de quelque 30.000 bases – ces briques composant le matériel génétique – ne mentent pas. « Les pangolins et les chauves-souris ont des compositions en bases différentes, c’est une sorte de signature. Or, les premiers virus du Covid-19 avaient une composition typique de la chauve-souris, ce qui signifie qu’ils n’ont pas transité par le pangolin », révèle le phylogénéticien.
Des échantillons de virus retrouvés au marché pointent vers d’autres animaux
Les nouveaux suspects sont le chien viverrin, canidé sud-asiatique semblable à un raton laveur, la civette autrefois impliquée dans l’épidémie de SARS-CoV-1 et le rat des bambous. « Nous savons qu’ils étaient présents sur le marché de Huanan jusqu’à la pandémie. Les étals (du marché de Huanan, ndlr) hébergeant ces animaux étaient positifs à la fois pour les animaux et pour le virus lui-même », explique à Sciences et Avenir le biologiste de l’Evolution Kristian Andersen, défenseur de la thèse de l’émergence du Covid-19 par zoonose. Mais cette colocalisation du matériel génétique du virus et des animaux ne signifie pas qu’ils étaient infectés, d’autant que des personnes infectées étaient déjà en circulation au moment des prélèvements en janvier 2020 – les scientifiques estiment que le virus aurait émergé au plus tard en novembre 2019. « On n’a jamais trouvé le SARS-CoV-2 chez des animaux autrement que par une contamination par l’humain, ce qui est très en défaveur d’une zoonose », résume l’épidémiologiste Renaud Piarroux, chef de service à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP) et auteur du livre Sapiens et les microbes – les épidémies d’autrefois (CNRS éditions).
Aucune preuve de zoonose découverte cinq ans après
L’absence de preuve n’étant pas la preuve de l’absence, l’hypothèse d’une émergence par zoonose reste sur la table. Mais il y a peu de chances, des années plus tard, que des preuves formelles émergent en sa faveur. « À ce stade, malheureusement, je ne pense pas qu’il existe de données permettant de confirmer l’origine zoonotique », avouait déjà Kristian Andersen auprès du congrès américain en juin 2023, considérant malgré tout que les données disponibles pointaient toutes vers cette thèse. Outre l’absence d’hôte intermédiaire avéré, en cinq ans aucun virus précurseur (ancêtre direct) du SARS-CoV-2 n’a été identifié. Seuls des proches cousins ont été révélés, comme le RaTG13, identifié en 2013 dans des puits de mine de la province de Yunnan, suite à des contaminations sans flambée épidémique de mineurs chinois travaillant au contact de chauves-souris. C’est maintenant trop tard. « (Même si un virus précurseur) était découvert, les gens prétendraient probablement que l’animal a été infecté par l’Homme ou qu’il s’agit en fait du virus qui se trouve à l’Institut de virologie de Wuhan », remarque Kristian Andersen.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché, si on en croit le gouvernement chinois. D’après le livre blanc publié le 30 avril 2025, « des tests systématiques sur plus de 80.000 échantillons prélevés sur des chauves-souris, des pangolins, des oiseaux sauvages, des sangliers, des chiens viverrins et d’autres animaux sauvages », ainsi que sur « du bétail et de la volaille » ont déjà été réalisés en Chine entre 2017 à 2021. « Les analyses n’ont détecté aucun signe de circulation du SARS-CoV-2 dans ces populations animales. »
La recherche de virus proches du SARS-CoV-2 à Wuhan et ses alentours a aussi fait chou blanc. « C’est l’argument qui me fait le plus douter de l’hypothèse zoonotique », soupire Etienne Decroly. « Cette épidémie apparait dans une ville hypermoderne avec trois centres de recherche en virologie experts des coronavirus avec toutes les capacités nécessaires pour tracer les origines des épidémies, et cinq ans après on n’a pas trace de résultats. » Pour comparaison, dans le cas des épidémies de SARS-CoV-1 (2003) et de MERS (2012), quelques mois avaient suffi pour identifier respectivement la civette et le chameau.
Un virus immédiatement efficace chez l’humain
« Avec le MERS d’ailleurs, on voit régulièrement de petites épidémies dans les élevages de chameaux et qui contaminent les gens qui y travaillent », pointe Etienne Decroly. Pas de trace de ce genre de résurgence animale chez le Covid-19, ni avant ni après la pandémie, ce qui semble disqualifier l’hypothèse d’une zoonose par un animal d’élevage. Un animal sauvage issu du trafic illégal pourrait-il faire l’affaire? Un réservoir lié à des animaux sauvages et non d’élevage pose cependant la question de la stabilité de ce réservoir, théoriquement nécessaire à ce que le virus du Covid-19 circule assez longtemps à bas bruit pour acquérir son étonnante capacité de transmission lors de son passage chez l’humain.
« Chez le SARS-CoV-2 on n’a pas trace des premières tentatives de passage de barrière d’espèces du virus, ces premières infections humaines qui n’engendrent pas ou peu d’infections secondaires ni de foyer épidémique, et ça c’est très inhabituel », remarque Etienne Decroly. Le virus du Covid-19 a ainsi directement montré un R0 – le nombre de personnes qu’un malade peut contaminer – au-dessus de 2 à 3,8, là où les précédentes émergences virales passaient d’abord par un R0 un peu en dessous puis au-dessus de 1, seuil au-delà duquel il peut devenir épidémique. Si le virus a été optimisé en laboratoire en revanche, cette absence d’explosion des contaminations après le franchissement de la barrière d’espèce s’explique, puisqu’il aurait directement été conçu pré-adapté. « Mais le Covid-19 donne beaucoup de cas asymptomatiques et il est possible qu’on ait tout simplement manqué le début de l’épidémie », nuance Etienne Decroly.
Un réservoir animal potentiellement disparu
Si réservoir animal il y a eu, les partisans de l’émergence zoonotique eux-mêmes disent aujourd’hui qu’il est possible qu’il ait depuis disparu. « Le SARS-CoV-2 aurait pu naître par la recombinaison de deux ou trois autres virus au sein d’une chauve-souris, être transmis à une autre espèce ou à l’Homme, puis avoir disparu de son hôte initial, faute de s’y être adapté », avance Jean-Claude Manuguerra, virologue à l’Institut Pasteur et co-président du SAGO (comité d’enquête de l’Organisation Mondiale de la Santé sur les origines du Covid-19), dans L’Express. A ce stade de l’histoire, « pour retrouver le ou les ancêtres directs, il faudrait pouvoir remonter le temps et savoir où chercher », résume Alexandre Hassanin. « L’idéal serait de trouver un génome très proche du SARS-CoV-2 dans toutes les régions du génome, mais cinq ans après on ne trouvera qu’un descendant des ancêtres directs. »
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Mali, suivez Africa-Press