Au Mali, les délestages peuvent-ils mettre Goïta hors circuit ?

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Au Mali, les délestages peuvent-ils mettre Goïta hors circuit ?
Au Mali, les délestages peuvent-ils mettre Goïta hors circuit ?

Manon Laplace

Africa-Press – Mali. Hôpitaux, universités, entreprises… Depuis des mois, le pays, miné par les coupures d’électricité, vit au ralenti. Un problème majeur, qui impacte toute la société.

Au cours du mois de février, l’électricité a fini par revenir sur la colline du savoir. Voilà pourtant près d’un an que le principal campus universitaire de Bamako, juché au-dessus de la Commune V, vivait au rythme des délestages. Une situation loin d’être anodine: ces derniers temps, le courant se fait (très) rare au Mali. Cinq, dix, parfois douze heures par jour, les Maliens sont privés d’électricité aux quatre coins du pays.

Pointée du doigt, l’entreprise publique Énergie du Mali (EDM), qui affiche une dette abyssale et voit son réseau se dégrader d’année en année, est incapable de stopper cette spirale infernale. La situation est telle que les autorités ont été contraintes de mettre en place un « programme de rationnement » à Bamako, consistant en « des interruptions programmées » par quartier et censées offrir douze heures d’alimentation en électricité par jour pendant la période du Ramadan.

Le rétablissement 24 heures sur 24 du courant à l’université de Bamako répond-t-il à une volonté des autorités de soigner l’enseignement supérieur ? Possible. Le gouvernement, qui sait que les milieux universitaires sont des foyers privilégiés de contestation politique, n’ignore pas non plus que le manque de courant peut déclencher une importante grogne sociale. Partout, la pénurie se fait sentir. Alors que le Mali traverse les deux mois les plus chauds de l’année, les sachets d’eau, vendus sur le bord de la route, sont achetés chauds, faute de pouvoir être rafraichis par les frigos. Les machines à coudre des tailleurs, généralement très sollicitées pendant le Ramadan, ne fonctionnent plus que sur générateur, dont le coût d’usage est répercuté sur les vêtements. Beaucoup ne peuvent plus se les offrir.

Habitations, boutiques de quartier, salles de classe, hôpitaux publics, petits commerces et grandes usines: nul n’échappe aux délestages. « À 14 heures, il fera 42 degrés à Bamako. Je vais faire cours pendant plusieurs heures, sans ventilation. C’est très compliqué », assure Souleymane Keïta, professeur dans le secondaire. Comme nombre d’établissements publics, le collège dans lequel il enseigne n’a pas les moyens de faire tourner un générateur à plein régime. « Il faut déjà pouvoir acheter ce générateur. Mais ce n’est pas la principale dépense. Qui aujourd’hui peut payer du gasoil pour faire fonctionner un générateur près de dix heures par jour ? », interroge l’enseignant.

Frappés, comme le reste du monde, par une vague inflationniste, les Maliens ont vu le prix de l’essence se hisser à quelque 800 francs CFA le litre, soit environ 1,22 euros. « Le carburant coûte terriblement cher. À l’université, nous disposons d’un groupe qui est mis en marche pour les services administratifs, le recteur, le doyen, les directeurs d’instituts, mais pas pour les salles de classe », détaille un professeur de l’université des lettres et des sciences de Bamako, située en banlieue de la capitale.

À l’hôpital, « on manque de tout »

Sur ce campus, l’électricité n’a pas été rétablie et le quotidien est aménagé en fonction des caprices du réseau. « On s’adapte comme on peut. Dans les petites salles, on peut faire cours, avec ou sans électricité, même s’il fait très chaud. Dans certains amphithéâtres allant jusqu’à 500 places, c’est impossible. Sans micro, les étudiants n’entendent pas. Alors les professeurs renoncent », poursuit notre interlocuteur.

Faute de « budget gasoil » alloué aux structures universitaires, on se réorganise comme on peut. Les salles informatiques, les machines des secrétariats et les appareils de démonstration de l’université de médecine ne fonctionnent que quand cela est possible. Pour certains événements ou conférences, on s’en remet au générateur, « mais l’argent alloué au carburant rogne forcément sur le budget pédagogique », déplore le professeur de lettres.

De l’autre côté du fleuve Niger, qui sépare Bamako en deux, la situation n’est guère plus réjouissante. « La démotivation est palpable » dans les couloirs de l’hôpital Gabriel Touré (l’un des plus grands hôpitaux publics du pays), explique un représentant syndical du CHU.

« L’hôpital traverse une période de crise inédite et peine à faire face aux dépenses journalières, du fait des restrictions et des réductions drastiques des budgets ces dernières années », vitupère le syndicaliste, qui dresse un bien sombre tableau. Climatiseurs en panne, sanitaires et bureaux endommagés, conditions d’hygiènes dégradées… « La crise énergétique n’explique pas tout, reconnaît-il. Mais elle a sérieusement aggravé la situation. À l’hôpital du Point G [lui aussi l’un des plus grands du pays], il n’y a plus de scanner, ne parlons même pas d’IRM ! »

Dans ce décor délabré, les patients sont les premiers à pâtir du manque de moyens. « On manque de tout. Et avec des dépenses supplémentaires et très conséquentes pour le carburant, ce sont des médicaments et du matériel médical que l’on n’a plus les moyens d’acheter », décrit cet employé de l’hôpital. Tandis que les plus nantis peuvent se tourner vers des cliniques privées, où les dépenses de carburant sont parfois répercutées sur le prix des consultations et des examens médicaux, les moins aisés, eux, n’ont presque plus accès aux soins. « Quand l’hôpital public ne peut plus faire une analyse qui coûte généralement 2 000 francs, nous sommes obligés d’orienter les patients vers le privé, ou le même examen sera facturé plus de 10 000 francs. Qui aujourd’hui, peut se le permettre ? », tance-t-il.

Le spectre de la contestation sociale

Soudeurs, mécaniciens, tailleurs, coiffeurs: les petits commerces sont parfois immobilisés plusieurs jours durant par le manque de courant. Le discours n’est pas différent dans le secteur formel. « J’ai mis à l’arrêt une société d’impression numérique. À cause des délestages, l’énergie me coûtait 300 000 francs CFA par jour, contre 800 000 par mois en temps normal », illustre Mamadou Sinsy Coulibaly, chef d’entreprise et ex-président du patronat malien.

Faute de pouvoir augmenter le prix des étiquettes, banderoles, et autres produits sortie de son imprimerie de Titibougou, à l’est de Bamako, l’homme d’affaire a mis l’usine à l’arrêt. L’ex-patron des patrons maliens a ainsi mis sous cloche plusieurs sites, en attendant des jours meilleurs.

Il n’est pas seul à soupirer. « Les temps sont difficiles, les Maliens subissent les impacts du manque d’électricité tous les jours pendant de longues heures. Chez eux, au travail, quand ils partent étudier ou se faire soigner… », égrène un économiste qui a requis l’anonymat. Selon notre interlocuteur, la question de l’électricité pourrait bien finir par allumer la mèche de la contestation sociale contre les autorités de transition.

Suffisamment pour ébranler l’adhésion d’une partie des populations à la junte d’Assimi Goïta ? Celle-ci a en tout cas bien conscience du caractère inflammable de la situation. Dès le mois de janvier, elle a entamé un grand ménage à la tête d’EDM, dont plusieurs cadres et anciens cadres ont été mis aux arrêts. L’ancien ministre de l’Énergie, Lamine Seydou Traoré, dort lui-aussi en prison, suspecté de « faux et usage de faux » et « d’atteinte aux biens publics ».

Pourtant, le quarteron de colonel au pouvoir depuis 2020 bénéficie toujours de l’adhésion d’une partie des populations. « Pour combien de temps encore ? Les colonels ont capitalisé sur l’expulsion des troupes françaises, l’expulsion de la Minusma, la sortie de la Cedeao et surtout la reprise de Kidal. Mais quand on est privé de courant dix ou douze heures par jour, qui se soucie encore de la Cedeao, de la France ou de Kidal ? », conclut un observateur de la vie politique malienne.

jeuneafrique

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