Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Mali. Après la tenue d’un « Dialogue inter-malien pour la paix et la réconciliation nationale (DIM) », dont la phase finale s’était déroulée du 6 au 10 mai 2024, et qui avait recommandé de soutenir largement la candidature de Goïta à la présidentielle, la junte militaire malienne poursuit toujours ses intentions de prolonger le pouvoir militaire au Mali.
Ce Dialogue inter-malien avait été présenté comme une initiative visant à rétablir la paix et la cohésion sociale à travers des « solutions consensuelles », sachant que les militaires, qui avaient pris en 2020 la tête de ce pays ouest-africain, confronté au djihadisme et aux agissements des groupes armés, s’étaient engagés en 2022 à remettre le pouvoir aux civils en mars 2024, et ce après des élections qui, malheureusement, n’avaient pas eu lieu jusqu’à présent.
Bien au contraire, ils ont manqué à cet engagement pris à l’époque sous la pression de la Communauté des États ouest-africains (CEDEAO) et de sanctions rigoureuses de la part de cette organisation.
• Le Mali semble s’acheminer vers une pérennisation de la période de Transition
Les recommandations de la Conférence de dialogue national au Mali ont suscité des inquiétudes quant à l’échec de la transition démocratique du pays, car cette conférence a annoncé, précisément le mardi 29 avril 2025, sa recommandation de nommer le chef de la junte militaire malienne, le général Assimi Goïta, qui a mené deux coups d’État en 2020 et 2021, à la tête de l’État pour un mandat de cinq ans.
Parmi les recommandations proposées par les séances de consultation présidées par le Premier ministre, le général Abdoulaye Maiga, dans le but de réorganiser le paysage politique et appelant également à renforcer les conditions juridiques et institutionnelles afin de contrôler l’activité politique, figuraient:
a) la dissolution de tous les partis politiques du pays,
b) l’établissement de nouvelles conditions d’agrément des partis politiques,
c) la recommandation d’imposer une garantie financière de 100 millions de francs CFA pour la création de tout parti politique, de supprimer le financement public des partis et de limiter l’âge de toute personne à la tête d’un parti politique entre 25 et 70 ans,
d) les séances ont recommandé d’imposer une garantie financière (à titre de garantie) de 250 millions de francs à toute personne souhaitant se présenter aux futures élections présidentielles.
Par ailleurs, les séances de consultation ont également proposé d’interdire aux dirigeants traditionnels, religieux et de la société civile de se présenter aux élections ou de participer aux campagnes électorales, et d’interdire aux élus de changer de parti.
Elles ont recommandé aussi de suspendre toute élection jusqu’à ce que « la stabilité et la sécurité soient atteintes au Mali et que le fichier électoral soit révisé ».
En ce qui concerne l’establishment de l’opposition, les sessions ont recommandé de supprimer le poste de chef de l’opposition, d’allouer le budget qui lui est alloué à des projets de développement et d’enquêter sur les dépenses des budgets passés.
Le Premier ministre, le général Abdoulaye Maiga, a indiqué qu’il présenterait toutes ces recommandations au président de la transition, Assimi Goïta, soulignant que ces consultations ont abouti à ce qu’il a décrit comme « des recommandations claires qui contribueront au progrès du pays et tourneront la page de ses chapitres sombres ».
En outre, les participants aux travaux de ladite conférence ont souligné l’importance de soutenir le processus de dialogue national pour parvenir à la stabilité dans le pays.
Pour rappel Assimi Goïta, qui était colonel de l’armée malienne lors du coup d’État ayant renversé le gouvernement précédent en 2020 et 2021, et qui est depuis devenu une figure clé de la politique malienne après avoir pris le pouvoir, fût promu en octobre 2024 au grade de « Général cinq étoiles », ce qui témoigne de la haute estime dans laquelle il est tenu au sein de l’institution militaire.
Depuis 2021, Goïta, âgé aujourd’hui de 41 ans, qui occupe le poste de « président de transition », est devenu une figure politique et militaire de premier plan au Mali suite aux événements dramatiques qui ont eu lieu dans le pays. Il a réussi à imposer son contrôle sur les rênes du pouvoir en formant un gouvernement de transition, malgré les défis politiques et les pressions extérieures auxquels le pays est confronté.
• Poursuite du régime militaire
Revenant sur l’importance et les conséquences de ces développements de dernière heure, la chercheuse et universitaire Mona Saleh a déclaré que la recommandation de la Conférence de dialogue du Mali de nommer Goïta comme président pour un mandat de cinq ans, a des implications importantes pour l’avenir du pays.
Elle a déclaré aux médias que cette recommandation indique le contrôle continu du pouvoir par l’armée, ce qui, selon elle, pourrait aggraver l’instabilité et saper les aspirations à une transition démocratique, ajoutant que cette décision pourrait entraver les efforts visant à construire un État doté d’institutions et respectueux des principes démocratiques, et menacer le processus de transition politique pacifique.
La chercheuse a expliqué que, du point de vue de la sécurité, le maintien du leadership pourrait renforcer le contrôle militaire sur la situation, mais qu’il reste lourd de risques en termes de sape de la confiance des forces militaires et des civils dans le processus politique.
Sur le plan économique, elle a déclaré que le maintien d’un régime militaire pourrait empêcher d’attirer des investisseurs et de promouvoir le développement, en particulier compte tenu de l’incertitude entourant les processus politiques futurs.
Saleh a également estimé qu’il y aurait des répercussions sociales, déclarant entre-autres que: « Cette décision pourrait provoquer du ressentiment parmi les groupes qui réclament un régime civil et un État démocratique, ce qui augmenterait les tensions et menacerait l’unité nationale. »
• L’influence des groupes armés
Commentant à son tour les mêmes développements, l’universitaire Khaled Abdel-Rahman a déclaré que la situation sécuritaire au Mali est caractérisée par un état d’instabilité permanente en raison de l’influence croissante des groupes armés actifs depuis des décennies et du manque de capacité des institutions de sécurité à contrôler pleinement l’ensemble du territoire.
Cela ne fait qu’aggraver la fragilité de l’État et multiplier les défis à sa stabilité.
Dans ce contexte, selon lui: « La récente décision du Congrès national reflète, sur le plan politique, le contrôle militaire continu de la scène politique et menace également le processus de transition démocratique pacifique, en particulier avec l’appel à dissoudre les partis politiques et à restreindre la formation de nouveaux partis, ce qui restreint l’activité politique et compromet les chances de construire des institutions démocratiques efficaces ».
Il a souligné que l’aggravation de l’insécurité, conjuguée à la possibilité que le processus de dialogue national ne parvienne pas à des résultats tangibles, appelle à reconsidérer les stratégies de dialogue et de développement politique au Mali.
• Des efforts visant à faire durer le statu quo au Mali
Les consultations nationales, semblent avoir respecté une démarche qui reflète un recul par rapport aux promesses faites par le général Assimi Goïta, représentant un sérieux revers pour la phase de transition, qui devait conduire à une passation du pouvoir aux civils, comme Goïta s’y était engagé après le coup d’État qui a renversé le gouvernement en 2021.
La recommandation de nommer le président de transition « Président de la République » pour cinq ans à partir de 2025, intervient alors que le pays devait organiser des élections présidentielles en mars 2024, ce qui aurait constitué une étape importante vers le rétablissement de la démocratie. Au lieu de cela, Goïta a choisi de prolonger son régime militaire, démontrant ainsi son emprise continue sur le pouvoir sans aucune intention de le céder.
Il importe de noter que le report continu des élections, qui ont débuté en septembre 2023, prétendument pour des « raisons techniques et sécuritaires », révèle une tactique claire visant à prolonger l’emprise de l’armée sur le pouvoir, une démarche qui va à l’encontre des aspirations du peuple malien.
Le report des élections, qui devaient s’inscrire dans le cadre d’un retour à la démocratie, renforce encore un régime militaire qui semble impopulaire et constitue une tentative de protéger Goïta de tout changement sérieux dans la structure du pouvoir. À l’heure où les citoyens attendaient des élections libres et équitables, Goïta et son gouvernement ont choisi de perturber ce processus, perpétuant ainsi la réalité tragique dans laquelle ils vivent.
D’autre part, les consultations nationales, boycottées par la plupart des partis politiques, se sont révélées n’être rien de plus qu’une tentative d’imposer des décisions unilatérales sans aucune participation réelle des forces politiques ou de la société civile.
La recommandation de dissoudre les partis politiques et d’imposer des restrictions supplémentaires à leur création révèle une intention claire de consolider le pouvoir entre les mains d’un petit groupe portant l’uniforme, dans le but de geler tout effort politique authentique qui pourrait contribuer à reconstruire le système politique du pays. Cela montre en fin de compte que l’objectif n’est pas la réforme ou le changement, mais plutôt le maintien du statu quo.
On peut donc affirmer que ce qui se passe aujourd’hui au Mali met en lumière la façon dont la clique au pouvoir manipule les promesses politiques, fermant ainsi la porte aux solutions démocratiques. La décision de prolonger le mandat de Goïta en l’absence d’élections libres et équitables constitue une violation de la volonté du peuple malien, qui espérait un retour à un régime civil. Si les consultations nationales ont ignoré le rôle des partis politiques et de l’opposition, cela prouve que Goïta poursuit un « agenda privé » pour maintenir son pouvoir absolu, loin de l’intérêt national.
• Un avenir politique qui demeure toujours « flou »
Certes, les autorités militaires avaient promis d’organiser des élections dès février 2022, une date qui a été reportée à plusieurs reprises, y compris celle de mars 2024, cependant, le 25 septembre 2023, le gouvernement de transition avait annoncé le report des élections présidentielles et l’annulation des élections législatives, invoquant des raisons techniques et sécuritaires.
Et bien que les élections soient censées marquer un tournant vers le retour de la démocratie au Mali, la situation sécuritaire et politique fait toujours obstacle à la tenue des élections dans les délais.
Cependant, Goïta continue d’affirmer son engagement à réaliser une transition politique, sans tout de même fixer de dates précises pour ces échéances électorales.
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