La Migration Clandestine Menace de Conflits Africains

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La Migration Clandestine Menace de Conflits Africains
La Migration Clandestine Menace de Conflits Africains

par Tierno Bachir

Africa-Press – Mali. Je ne rêvais que d’un emploi et d’un logement paisible en Espagne, mais je me suis retrouvé du jour au lendemain expulsé des frontières mauritaniennes. Aujourd’hui, je suis dans mon village natal, à 250 kilomètres de la capitale sénégalaise Dakar. »

C’est par ces mots que Demba Mboup, jeune Sénégalais de 35 ans, a résumé son drame personnel lors de son échange avec Al Jazeera, après que son rêve d’atteindre l’Europe se soit transformé en cauchemar. Parti avec de grands espoirs, il a été arrêté par les forces mauritaniennes de l’immigration puis renvoyé de force dans son pays, comme des centaines d’autres ressortissants d’Afrique de l’Ouest.

D’un problème européen à une crise interne

La migration clandestine n’est plus seulement une source d’inquiétude pour l’Europe, elle est devenue une crise au sein même du continent africain. Des pays comme la Mauritanie adoptent désormais des mesures strictes contre les migrants venus de leurs voisins.

Nouakchott affirme que les récentes expulsions s’inscrivent dans une politique de régulation du séjour et de lutte contre les réseaux de trafic, mais la démarche a provoqué de vives réactions politiques et populaires au Sénégal.

Au sein du parlement sénégalais, des députés de l’opposition comme de la majorité ont exprimé leur inquiétude face aux expulsions, appelant à une intervention gouvernementale urgente. Le député Guy Maurice Sagna a demandé la création d’une commission parlementaire pour se rendre en Mauritanie et enquêter sur la situation des Sénégalais et des ressortissants de la CEDEAO.

Le Premier ministre Ousmane Sonko, dans un discours fort devant le parlement, a affirmé que le Sénégal appliquerait la réciprocité, soulignant que son gouvernement œuvrait pour que les Sénégalais en Mauritanie bénéficient des mêmes privilèges que les Mauritaniens vivant au Sénégal.

Sonko a ajouté qu’aucun État responsable ne devrait céder face à l’immigration clandestine et que le Sénégal envisageait de renforcer les sanctions contre les passeurs.

De son côté, le gouvernement mauritanien a nié toute intention hostile. Le ministre des Affaires étrangères Mohamed Salem Ould Merzoug a déclaré que son pays n’était pas le gardien des frontières européennes, mais qu’il restait ferme contre l’immigration illégale.

Le ministre de l’Information, El Hussein Ould Meddou, a précisé que la Mauritanie avait accueilli environ 130 000 migrants depuis 2022, mais que seuls 7 000 avaient cherché à régulariser leur situation, soulignant que la pression sur les infrastructures et les services imposait une réaction.

L’élargissement de la crise

Les expulsions ne concernent pas uniquement les Sénégalais, qui constituent la plus grande communauté étrangère en Mauritanie avec plus de 300 000 ressortissants, tandis que le Sénégal accueille environ 46 000 Mauritaniens. Les expulsions ont aussi touché des ressortissants maliens, guinéens et gambiens.

Depuis mars 2025, environ 3 000 migrants maliens ont été expulsés, selon le ministère malien des Maliens de l’extérieur.

Cette opération a été accompagnée de plaintes concernant des violations et des confiscations de biens, provoquant de violentes manifestations au poste frontalier de Koki Zémal, où un poste de police mauritanien a été incendié, signalant une possible propagation de la crise en Afrique de l’Ouest, en l’absence d’une politique migratoire régionale cohérente.

Dans une déclaration à Al Jazeera, Ali Tandia, professeur de sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et président de l’Observatoire sénégalais des migrations, a averti que l’absence de coordination entre les États de la région transforme la migration clandestine en bombe à retardement menaçant la stabilité régionale.

Tandia a affirmé que « aucun pays seul ne peut arrêter ce phénomène, car ses causes dépassent les frontières ; seule une coopération régionale et des politiques globales prenant en compte les dimensions économiques, humanitaires et sécuritaires peuvent y parvenir. »

Il a souligné que l’approche sécuritaire seule est insuffisante et qu’il est urgent de proposer de véritables alternatives de développement aux jeunes dans leurs pays d’origine, faute de quoi la crise pourrait exploser en conflit régional ouvert.

De son côté, l’analyste politique Mustapha Diop a averti que la poursuite des mesures unilatérales dans la gestion de l’immigration pourrait engendrer de nouvelles crises diplomatiques.

Diop a plaidé pour que les gouvernements coopèrent afin de réduire ce phénomène, qui pourrait créer de graves tensions régionales. Il a insisté sur la nécessité d’une coordination sécuritaire, politique et économique globale pour traiter les causes profondes de la migration clandestine.

Les inquiétudes montent face au risque que la migration clandestine ne devienne une crise interne africaine menaçant la cohésion régionale et ouvrant la voie à de nouveaux conflits politiques et diplomatiques. Si les États d’Afrique de l’Ouest ne s’engagent pas rapidement dans une vision unifiée fondée sur le développement et la coordination sécuritaire, davantage de jeunes continueront de frapper aux portes de l’émigration, même si ces portes restent closes.

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