Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Mali. Nous replongeons encore une fois (et ce ne sera pas la dernière) au fin fond de la situation sécuritaire au Mali, après la décision prise de retirer du pays les forces françaises, allemandes et celles de leurs partenaires européens, et de les repositionner, probablement, dans le pays voisin : Le Niger.
Nous allons donc essayer de répondre à ces deux questions essentielles :
• Quelle sera la situation sécuritaire au Mali après le retrait des forces françaises et allemandes et de certaines autres forces européennes, qui disposaient d’importantes capacités logistiques et humaines, en échange d’une aide russe limitée (sinon symbolique) avec quelques soldats des forces de Wagner ?
• Est-il possible de voir se réaliser le changement souhaité des Maliens face au terrorisme et l’instauration de la stabilité au Mali ?
Retour sur l’humeur populaire « explosive » de haine envers la France
Ces dernières années, la France a été confrontée à une vague de haine sans précédent dans la région ouest-africaine. Cette vague de haine se traduit par le rejet populaire croissant de larges pans de la jeunesse surtout, des forces artistiques et politiques et des acteurs de la société civile en Afrique de l’Ouest envers les politiques françaises dans la région, et l’exigence de fixer de nouveaux déterminants et repères qui guident la boussole des relations de la France avec l’Afrique, sur la base de la garantie de la souveraineté tout en s’extirpant du manteau de la dépendance et pour une indépendance réelle de l’Afrique vis-à-vis de la France coloniale.
Nous savons presque tous que la vague de haine populaire contre la France a pris de l’ampleur avec l’escalade de la violence contre les armées locales dans la région du Sahel, poussant la population et certaines élites à accuser ouvertement la France de « collusion » avec des groupes extrémistes.
En 2019, les sites de réseaux sociaux au Niger et au Mali ont été alimentés par des rumeurs accusant la France d’attaquer la base militaire de Diffa au Niger et de fournir du matériel militaire à des groupes djihadistes, ce qui a poussé les ambassades de France au Niger et au Mali à démentir ces rumeurs.
A noter que deux arrière-plans principaux se cachent derrière la vague de haine contre la France :
• De larges segments de la population côtière ne comprennent pas la participation non active de la force Barkhane aux opérations de combat contre les groupes jihadistes, malgré son équipement militaire colossal qui dépasse les effectifs et les équipements de ces groupes, d’une part.
• D’autre part, cette vague est en harmonie avec l’émergence d’un nouveau courant de jeunesse en Afrique de l’Ouest, imprégné des idées nationalistes africaines qui voient la France comme une puissance coloniale qui a nui au développement de l’Afrique, freiné sa renaissance et lui a dépouillé ses richesses, liberté et souveraineté.
En conséquence, nous estimons que l’une des justifications tacites de la décision de retrait est que Paris est parvenu à une conviction forte que l’échec de la France à mener une approche militaire européenne efficace au Sahel, puisqu’elle n’a pas su entraîner les grands pays européens à sa suite dans ses aventures militaires au Sahel.
Par contre, l’Allemagne, est restée réticente à paraître s’identifier à la politique militaire française sur le littoral, afin de ne pas être entaché par l’héritage de la France coloniale dans la région, et s’éloigner de la marche dans l’orbite de la France ».
Des facteurs et aspects auraient appelé à encourager l’entrée de nouveaux acteurs internationaux, dont l’échec de la France et de ses alliés dans la réponse militaire aux groupes terroristes au Sahel, qui auraient poussé les pays de la région à mendier de nouveaux acteurs internationaux, comme l’a exprimé le président burkinabé (déchu) Roch Marc Christian Kaboré, lors de son discours au sommet afro-russe de Sotchi en octobre 2019, lorsqu’il a déclaré : « Nous avons confiance en disant que ce sommet constituera un point de départ pour un partenariat fructueux et bénéfique pour la sécurité et la stabilité dans la région du Sahel ».
Logo des forces russes du groupe Wagner
Ceci dit, face à l’impuissance française et occidentale liée à l’élimination des foyers de l’extrémisme et du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest, l’attention s’est tournée vers l’alternative russe, surtout après le rôle joué par les russes en République centrafricaine.
Dans ce contexte, certains pays du Sahel assistent à un mouvement populaire réclamant une intervention russe, car il semble que la tendance vers la Russie se soit déplacée au niveau officiel dans les pays du Sahel et Bamako aurait même signé un accord de coopération militaire officiel avec la Russie.
Russie – Centrafrique comme MODELE
Forces russes en Centrafrique
Revenons sur les relations de la Russie avec les pays africains qui sont complètement différentes des relations occidentales. Au vu de ces relations, nous constatons qu’il n’y a pas d’exigences liées aux droits de l’homme, à la réalisation de la démocratie et au rétablissement des libertés par la partie russe en échange d’armements et de coopération militaire, ce qui a ouvert la porte à plus de partenariats stratégiques entre Moscou et Bangui (capitale centrafricaine).
La stratégie de la Russie reposait sur des formules à multiples facettes, notamment :
• une présence officielle du ministère russe de la Défense relativement attaché au droit et aux pactes internationaux,
• en plus d’une autre présence semi-officielle représentée par le groupe Wagner concerné par la résolution militaire.
Wagner a contribué, certes, au déclin des activités de l’opposition armée qui contrôlait la majeure partie du pays, même certaines parties de la capitale, Bangui, d’une part.
D’autre part, après le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine et l’apparition de certains rapports qui parlent du retrait de certains éléments wagnériens d’Afrique centrale et les poussent à effectuer des missions spéciales de combat à Kiev, il est devenu possible que l’absence des wagnériens n’affectera pas le régime du président Faustin-Archange, et cela est dû au fait que l’opposition armée est divisée en elle-même, outre le manque d’instances régionales et internationales pour leur apporter soutien et assistance.
Nous pouvons donc en déduire que le modèle présenté par la Russie en Afrique centrale incitera probablement de nombreux régimes africains à coopérer avec les Russes, en particulier avec la partie semi-officielle, c’est-à-dire le groupe Wagner, même si les moyens logistiques dont bénéficient les mercenaires russes sont jugés « insuffisants » par rapport à ceux de la France, de l’Allemagne et des autres forces européennes engagées dans la zone.
Position allemande : De nouvelles voies pour l’Allemagne dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
La ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Birbock, a eu une mission difficile en Afrique, il y a quelques jours. Sa visite s’est concentrée le mardi 12 avril 2022 sur le Mali et le lendemain sur le Niger. Tous deux sont des pays troublés qui souffrent du fléau du terrorisme.
Forces allemandes au Mali
Birbock a tenu des entretiens gouvernementaux dans les capitales des deux pays, Bamako et Niamey, ainsi que des visites aux soldats des deux missions militaires internationales connues sous le nom de « MINUSMA » et « EUTM ».
Du fait que les relations entre la junte militaire malienne et l’Union européenne se sont considérablement détériorées ces derniers mois, notamment en raison du report répété du retour à des conditions démocratiques dans le pays et de la « coopération des dirigeants maliens avec des mercenaires russes et des conseillers militaires russes », deux questions ont été soulevées :
• Y a-t-il encore un avenir pour la mission de l’armée allemande au Mali ?
• Quelles sont les alternatives en cas de rétractation ?
Néanmoins, le thème principal des entretiens a tourné autour de la question : « le déploiement de l’armée allemande au Mali sera-t-il prolongé dans le cadre de ces missions ? », car le mandat qui leur a été confié par le parlement allemand « Bundestag » expire en mai prochain.
Toujours dans le même contexte, l’expert du Sahel à la Konrad Adenauer-Stiftung en Allemagne, Ulf Lessing a déclaré : « Il est certainement légitime d’avoir une discussion sur combien de temps nous voulons rester au Mali, si nos outils fonctionnent et ce que nous pouvons faire mieux ».
Mais l’expert allemand a mis en garde contre un départ et un retrait soudain, comme cela qui s’était produit en Afghanistan.
En d’autres termes, Ulf Lessing a clairement exprimé sa vive inquiétude : « Le retrait va aggraver la situation sécuritaire au Mali et ne servira que les intérêts de la Russie ».
La ministre allemande Birbock n’a pas caché également son inquiétude. Peu avant de se rendre à Bamako, elle a critiqué le gouvernement malien en déclarant : « Le gouvernement de Bamako a perdu beaucoup de confiance internationale ces derniers mois, notamment en raison du retard de la transition démocratique et de l’intensification de la coopération militaire avec Moscou. Dire simplement « continuez comme ça » serait une erreur à mon avis ».
Birbock a voulu mettre l’accent sur les menaces qui cibleront davantage la région : « Ce ne sont pas seulement les groupes terroristes qui menacent de déstabiliser davantage la région. La guerre en Ukraine, à plus de 4.000 kilomètres de là, pourrait également avoir de graves répercussions sur l’Afrique de l’Ouest ».
La raison étant l’interruption imminente de l’approvisionnement en blé. Par conséquent, Birbock a annoncé avant sa visite au Sahel, qu’elle se concentrerait en particulier sur les problèmes d’approvisionnement alimentaire : « la guerre d’agression menée par le régime russe en Ukraine a des conséquences bien au-delà de la région », car selon elle jusqu’à présent l’Ukraine est un grenier qui approvisionne le monde en céréales.
Comment vont se présenter les choses au Mali : C’est encore énigmatique !
En conclusion, il ne fait aucun doute que la décision de réduire la présence militaire française dans la région du Sahel affectera négativement l’influence française dans la région.
Pourtant, l’ampleur des exigences des droits sécuritaires et militaires imposent davantage de présence militaire étrangère pour faire face aux groupes extrémistes violents.
Par ailleurs, la France, dans le langage des intérêts, est considérée comme la puissance extérieure la plus importante qui profite de la stabilité sécuritaire dans la région et perdante (ou non) en même temps, en raison du volume de ses intérêts stratégiques dans cette région.
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