L’escalade militaire dans la région nord de l’Azawad au Mali aboutit à la reprise de KIDAL par l’armée

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L'escalade militaire dans la région nord de l'Azawad au Mali aboutit à la reprise de KIDAL par l’armée
L'escalade militaire dans la région nord de l'Azawad au Mali aboutit à la reprise de KIDAL par l’armée

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. L’armée malienne a annoncé le mardi 14 novembre 2023, avoir repris le contrôle de la ville de Kidal, principal fief des séparatistes touaregs, dans le nord du pays, dont la souveraineté constitue un enjeu essentiel pour l’État central, après que l’armée ait mené un raid ayant infligé de lourdes pertes aux rebelles.

Dans un message diffusé en toute hâte à la télévision nationale, le président de l’autorité de transition au Mali, le colonel Assimi Goita, a déclaré : « Aujourd’hui, nos forces armées et de sécurité ont pris le contrôle de Kidal », soulignant à l’occasion que « l’objectif est de restaurer l’intégrité territoriale de l’État ».

De son côté, la rébellion a reconnu la perte de Kidal. En effet, le Cadre stratégique permanent (CSP), alliance de groupes rebelles armés, a admis dans un communiqué s’être retiré de la ville « pour des raisons stratégiques » après avoir résisté pendant plusieurs jours à l’avancée de l’armée (soutenue par le groupe russe Wagner) en leur « infligeant des grandes pertes humaines et matérielles ».

Néanmoins, « La lutte continue », a-t-il laissé entendre en mettant l’accent sur de « nouvelles étapes » tout en appelant à une « mobilisation permanente ».

Par ailleurs, tôt dans la journée de ce fameux mardi, le commandement de l’Etat-major de l’armée avait glissé une information sur les réseaux sociaux, selon laquelle : « Les forces armées maliennes auraient pris position mardi dans la ville de Kidal ».

Face à cette nouvelle situation, et si cela se confirme, il s’agira d’un succès symbolique majeur pour la junte militaire au pouvoir depuis 2020, alors qu’il était absent depuis des années de la ville contrôlée par des groupes armés, majoritairement touaregs.

Pour rappel, l’armée malienne avait déjà subi des défaites à Kidal et dans ses environs jugées humiliantes entre 2012 et 2014. La rébellion dans cette région est restée une grande source d’irritation pour le pouvoir central de Bamako, qui a fait de la reconquête de la souveraineté sur cette région un objectif majeur.

A noter que Kidal revêt une grande importance pour les groupes touaregs, qui se sont toujours plaints de la négligence du gouvernement et ont recherché l’autonomie dans la région désertique qu’ils appellent Azawad.

Dans l’attente d’une confirmation officielle de la prise de Kidal : le fil des évènements

Le 3 octobre 2023, les responsables de la sécurité malienne ont annoncé la décision prise par les dirigeants du Conseil national de sécurité du pays, stipulant qu’un grand nombre d’unités de l’armée, soit prés de 119 véhicules militaires, se rendraient dans la région stratégique de Kidal, dans le nord du pays, et ce dans le cadre d’un plan de « redistribution des forces sur place », en réponse à l’intensification des opérations militaires menées par la Coordination des mouvements séparatistes de l’Azawad contre des cibles vitales de l’armée malienne, notamment la « Base militaire de Bamba », en plus de plusieurs autres attaques menées par ces mouvements, ainsi que par d’autres groupes extrémistes et terroristes, contre d’importantes bases militaires maliennes à « Leri », « Diorah » et « Pourim ».

Selon ce qui précède, ce dossier va chercher ci-dessous à mettre en lumière les raisons qui ont poussé l’armée malienne à prendre sa récente décision d’orienter des forces militaires supplémentaires vers la ville de Kidal, au nord du pays, et à clarifier les résultats attendus en matière d’élargissement du champ d’intervention du conflit militaire entre l’armée et les mouvements séparatistes dans le nord du pays.

Les motivations qui ont conduit à diriger une campagne de l’armée malienne dans le nord du pays

Alors que les rouages de la bataille tournent à nouveau, tambour battant, entre l’armée malienne et les mouvements rebelles dans la ville de Kidal, le risque d’une répétition de la guerre de 2012 entre les deux camps augmente, avec des prévisions que ses effets s’étendront probablement au Burkina Faso et au Niger voisins, selon les experts.

Le lundi 13 novembre, ces batailles sont entrées dans leur troisième jour, les déclarations de chaque parti confirmant qu’il était vainqueur, sachant que depuis août dernier, le nord du Mali est devenu le théâtre d’une escalade entre l’armée malienne, le mouvement Azawad en quête de sécession dans le nord et des mouvements terroristes tels que Daech, le groupe Nusrat al-Islam wal Muslimin, affilié à Al-Qaïda, avec notamment le retrait des forces de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation (MINUSMA) de plusieurs de ses bases dans le nord.

Bien évidemment, l’armée cherchait désespérément à reprendre le contrôle des bases, estimant que c’est son droit souverain, tandis que les mouvements de l’Azawad envisageaient de les contrôler, car ils les considèrent comme entrant dans leurs zones d’influence, et de leur côté, les terroristes cherchent à les contrôler pour programmer les attaques.

De tout ceci, nous décelons un certain nombre de facteurs, dont les plus importants sont les suivants :

1- Le développement opérationnel du conflit entre le gouvernement malien et les forces armées d’une part et les groupes séparatistes en général – et l’Azawadiya

En particulier, ceci a atteint ces derniers temps des stades avancés, qu’il n’a jamais atteint auparavant face aux mouvements séparatistes, au cours d’une période d’environ 11 ans, et à partir de là :

• Le Mouvement Azawad a annoncé son contrôle de 4 camps de l’armée malienne depuis août 2023, en plus de 11 véhicules militaires, sans compter la ville stratégique de « Borim » dans le territoire situé dans la région de Gao, ce qui pourrait affecter l’équilibre des pouvoirs, dans un éventuel conflit militaire entre les deux parties.

• En septembre 2023 et dans un précédent depuis la signature de l’accord de paix entre les deux parties en 2015, les mouvements de l’Azawad ont attaqué une caserne militaire à Leri, et abattu un hélicoptère de l’armée de l’air malienne à Gao, et l’escalade s’est terminée lorsque les dirigeants du Front de Coordination des Mouvements de l’Azawad ont annoncé un changement de nom : « Armée Nationale de l’Azawad ».

• La Coordination des mouvements de l’Azawad a accusé l’armée malienne d’avoir attaqué ses forces, tandis que l’armée malienne a répondu en confirmant que 6 de ses soldats avaient été tués et 4 autres blessés lors d’une attaque lancée par des groupes extrémistes, qui a entraîné la mort de 24 des assaillants.

• Le 21 septembre, l’armée malienne a accusé Al-Qaida d’être à l’origine du bombardement de la ville de Tombouctou, au nord du Mali.

• Le 2 octobre 2023, les rebelles touaregs annoncent la prise de la base militaire de Tossa.

2- L’escalade des opérations terroristes dans le nord

Ceci a coïncidé avec l’attaque rebelle, depuis que le Conseil militaire de transition a pris le pouvoir une première fois en 2020, puis en mai 2021. Sa fréquence s’est accrue au cours de la période récente qui a précédé l’annonce par le gouvernement malien de son action militaire à Kidal, au nord du pays, comme suit :

• Le Mali est sur le point d’enregistrer 1.000 opérations terroristes menées par des groupes extrémistes ou des événements violents au cours de l’année en cours 2023, soit un triplement par rapport à 2020.

• La récente augmentation de l’activité terroriste dans la région du nord – en particulier dans la région de l’Azawad – en raison des énormes ressources naturelles, pétrolières et pastorales que contient la région, s’est accompagnée d’une augmentation de la contrebande d’armes, de marchandises illicites et de carburant, notamment des pays voisins, en particulier avec l’expansion des zones frontalières et l’absence de contrôle de sécurité complet sur celles-ci.

3- L’annonce par l’armée malienne de diriger une campagne dans la région nord du pays

Ceci intervient après le début du processus initial de retrait de la mission des Nations Unies « MINUSMA » en juin 2023, sur la base d’une demande du Conseil militaire de transition en raison de l’échec de la mission à atteindre la stabilité sécuritaire souhaitée, et la France a également retiré ses forces du pays suite à la décision de Macron de mettre fin à « l’opération Barkhane » en août 2022.

C’est après le retrait du Mali des accords de sécurité avec la France et il est prévu, selon le calendrier fixé, que la mission de l’ONU achèvera pleinement ses travaux le 31 décembre de cette année. L’importance des forces chargées de maintenir la paix au Mali est évidente, qu’elles soient françaises ou « internationales », notamment à travers ceci :

• Elle a assumé le rôle de médiation et d’établissement de la paix entre le gouvernement, l’armée malienne et les mouvements Azawad et Touareg, et elle y est parvenue à plusieurs reprises.

• La mission de l’ONU revêtait une importance particulière, parce qu’il s’agit de la plus grande mission de l’ONU, qui compte environ 15.000 personnes, elle est également confrontée à des tâches dangereuses et environ 190 soldats ont été tués en dix ans, en plus d’un certain nombre de ses soldats blessés.

• Le retrait de la mission MINUSMA est à l’origine d’une des causes du conflit entre les Touareg, ou mouvements dits de l’Azawad, et le gouvernement malien. Les mouvements estiment que le départ des forces internationales sera suivi de l’avancée des forces gouvernementales, à laquelle ces mouvements s’opposent. En revanche, l’armée malienne insiste sur l’extension de son contrôle total sur toutes les régions et tous les camps du nord du pays après le départ des forces de la mission onusienne, ainsi que des forces françaises « Barkhane ».

4- L’une des raisons qui poussent l’armée à orienter une campagne militaire vers le nord est l’importance stratégique de la région nord du Mali et de la ville de Kidal

Kidal est témoin depuis longtemps d’une rébellion militaire qui inquiète d’une part les responsables militaires maliens, et d’autre part Kidal occupe une position stratégique et vitale dans le pays, car c’est une région frontalière située à la frontière entre le Mali et l’Algérie, et elle est également très éloignée puisqu’elle se trouve à plus de 1.500 km de la capitale, Bamako, et à des centaines de kilomètres des principales villes du nord comme Gao et Tombouctou. Il s’agit donc d’une zone échappant au contrôle de sécurité militaire du pays et contrôlée par la Coordination des mouvements de l’Azawad, et elle est tombée à la suite de la rébellion de 2012.

5- Les problèmes qui ont tourmenté l’Accord de paix d’Alger signé en 2015

(qui visait à empêcher la sécession de la région de l’Azawad de l’État malien, en échange d’un engagement à développer la région marginalisée et à intégrer ses militants à de hautes fonctions civiles et militaires)

Les plus importants de ces problèmes sont les suivants :

• Les chefs de l’armée étaient mécontents de cet accord, surtout après la série d’attaques dont ils ont été victimes en 2014.

• De l’autre côté, l’accord n’a pas permis d’atteindre les objectifs touaregs liés à la sécession de Bamako. Cette exigence était considérée comme contradictoire avec le principe des « frontières héritées du colonialisme », adopté par l’Organisation de l’unité africaine en 1963 (plus tard l’Union africaine).

• Le désaccord entre les deux parties au conflit sur l’interprétation de certaines dispositions de l’accord, liées notamment au démantèlement des mouvements armés de l’Azawad et à leur réintégration dans les forces de sécurité et l’armée maliennes, ou encore à leur démobilisation et intégration dans la vie civile, et pour qu’ils soient représentés aux postes de direction.

Cela malgré l’accord de l’armée d’intégrer 26 000 membres des mouvements qui ont signé l’accord de paix dans l’armée et les forces de sécurité, mais le processus d’intégration a été caractérisé par une lenteur due à des désaccords sur les grades militaires.

• Le coup d’État de 2020, qui a compliqué la situation après que le Conseil de coordination de l’Azawad a menacé de se retirer de l’accord, car depuis de nombreuses années, Bamako n’a pas mis en œuvre ses dispositions (et l’Algérie a fait plusieurs médiations pour préserver l’accord signé tout en offrant la possibilité de l’amender).

• L’accord n’a pas mis fin, une fois pour toutes, au conflit armé, ni aux revendications des mouvements de l’Azawad, et est resté non mis en œuvre.

• L’accord a négligé de mentionner toute question liée à l’établissement d’une trêve liant les parties concernées, ainsi qu’une stratégie de sécurité pour lutter contre le terrorisme, alors que les groupes extrémistes continuaient d’attaquer Bamako et ses frontières voisines (Niger et Burkina Faso), ce qui a entraîné des conséquences négatives majeures sur tous les aspects humanitaires, militaires et humains… etc.

• Les « autorités intérimaires » de la ville de Kidal n’ont pas reçu les financements prévus, en échange d’affronter – individuellement – les groupes terroristes après le départ des forces françaises « Barkhane » et européennes « Takuba » en 2022.

6- La perception de la junte militaire dirigée par le colonel Assimi Goita du changement du rapport de force en faveur de l’État malien

La Junte militaire a vu que le rapport de force dans la région de l’Azawad était déformé en sa faveur et elle a pu déplacer ses forces vers le nord pour stationner dans la région et prouver sa pleine souveraineté sur celle-ci.

Ce qui a renforcé cette perception était donc :

• Le départ des forces françaises et onusiennes qui ont constitué un obstacle aux forces armées maliennes.

• Le soutien russe et chinois obtenu par l’armée malienne et le conseil militaire, qui ont renforcé sa capacité à résoudre le conflit avec toutes les parties en sa faveur : (forces wagnériennes engagées par le Conseil de transition, et estimées depuis décembre 2021 à environ 1 000 combattants, ainsi que le soutien militaire russe avec des avions de guerre et des hélicoptères de combat russes « qui ont permis à l’armée de devenir la deuxième plus grande force aérienne parmi les armées de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le Nigéria », ainsi que le soutien militaire chinois à travers des véhicules blindés équipés de mitrailleuses pour les opérations antiterroristes.

• En outre, le Mali a récemment signé des accords de défense commune avec ses pays voisin, le 16 septembre 2023, notamment le Niger et le Burkina Faso, des accords d’alliance tripartite de défense commune au bénéfice de toute partie exposée à une menace quelconque.

7- Le conflit a atteint ce point en raison de l’incapacité à suivre des stratégies solides

Ces stratégies devaient faire face à la crise rebelle dans le nord au cours des périodes précédentes, en particulier pendant la période 2002-2012 après, où le régime de l’ancien président Amadou Toumani Touré s’est appuyé sur des forces politiques partisanes et propriétaires d’entreprises suspectes. Ils ont des liens avec Al-Qaïda au Maghreb, et donc les taux de corruption ont augmenté en raison de l’augmentation des taux de criminalité internationale, ce qui a finalement conduit à une augmentation des tensions raciales et ethniques tout en négligeant les problèmes du sous-développement et de la pauvreté spécifiques à la région. Cela s’est produit parallèlement à l’échec du « Programme spécial de sécurité, de sûreté et de développement », financé par l’Union européenne et d’autres organismes internationaux à hauteur de 50 millions d’euros en août 2011, et qui visait à apaiser le mécontentement croissant de la population du nord. La présence militaire de l’armée malienne dans le nord a été restructurée, ce qui, selon les Azawadiens, était considéré comme une violation de l’accord d’Alger signé en 2006, qui prévoyait la réduction des forces maliennes dans la partie nord.

8- A cela s’ajoute la combinaison d’un groupe d’autres facteurs

Des facteurs qui ont conduit à l’expansion des mouvements séparatistes et extrémistes, dont les plus marquants sont : « la faiblesse de la gouvernance et la propagation de la corruption », avec lesquelles il est donc inutile de avoir des forces de l’ONU ou des forces internationales pour aider à établir la paix, et cela coïncide avec l’absence de mécanismes de participation et d’intégration des citoyens, et de distribution injuste des richesses extraites de l’exploration des ressources naturelles, en plus de l’instabilité politique et de la fréquence des coups d’État militaires, et l’absence d’adoption de stratégies correctes permettant un développement global pour les régions les moins favorisées du nord, ainsi que la croissance des conflits interethniques et des divisions au sein des tribus touarègues, qui se sont accompagnées d’interventions étrangères extérieures et qui en ont résulté la pauvreté, le désespoir et l’immigration clandestine.

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