Africa-Press – Mali. La visite que devait effectuer le président français Emmanuel Macron, le lundi 20 décembre 2021, à Bamako, capitale du Mali, dans le cadre d’une rencontre avec son homologue malien, le colonel Assimi Goïta, n’a finalement pas eu lieu.
Ce fût en fait un rendez-vous raté entre Macron et Goïta – aucun autre n’a été programmé ou même évoqué – et le dossier du recours par le Mali aux mercenaires russes de Wagner va donc rester en souffrance et la tension entre les deux pays demeurer maximale.
Rappelons que ladite rencontre, devait intervenir au même moment que le retrait du dernier soldat des forces françaises de la base militaire de Tombouctou, qui a été remise à l’armée malienne, après 9 ans de déploiement dans la région.
Un retrait qui s’inscrit dans le cadre des étapes de l’arrêt de la force « Barkhane » sur le littoral, que la France a annoncé en juin dernier, pour réorganiser ses unités militaires et remettre 3 de ses bases situées à « Tessalit, Kidal et Tombouctou », dans le nord du Mali.
En réplique à ce retrait, le général français Etienne de Pierrot, commandant de la force Barkhane au Mali, avait accordé la déclaration suivant à l’Agence France Presse : « La France sera présente autrement », tout en ajoutant : « Le but de la mission de Barkhane est à terme de permettre au Mali de prendre son destin en main, mais toujours dans un cadre partenarial.
»De son côté, le capitaine Florian, qui commandait le camp avant la passation, a déclaré lui-aussi : « Pour nous, c’est un tournant, mais la mission continue ». Il a indiqué également qu’il poursuivra son travail avec ses éléments militaires au Mali.
Vers un 2ème retrait dans six mois ou un nouveau redéploiement européen ?

Dans le même contexte, et en réponse à une question sur les étapes de la deuxième phase de retrait, le commandant de l’opération anti-jihadiste au Sahel, le général Laurent Michon, a confié quant à lui à la même source que « la deuxième phase débutera dans le six prochains mois, et comprendra la restructuration à la fois de la direction et des forces, en particulier au Mali.»
D’après lui, le nombre de soldats français qui était de prés de 5.000 éléments au Sahel, à l’été 2021, descendra à environ 3.000 à l’été 2022.
Il y aura beaucoup moins de forces conventionnelles et plus de forces spéciales opérant au sein de la force européenne Takuba. Il y aurait maintenant environ 900 membres de la force, et les Européens continuent de demander leur adhésion. L’engagement européen serait donc une réussite politique pour le Sahel et le Mali.
Nouvelle stratégie de positionnement

Pour sa part, le chef du département Relations internationales et économie politique du Centre d’études de Genève, Nasser Zuhair, a souligné que le retrait français de la base de Tombouctou s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle politique et stratégie poursuivie par la France et dans le cadre d’un repositionnement, et non parce que les nouvelles autorités maliennes n’ont pas répondu à la coopération avec Paris.
Il a déclaré aux médias : « D’un autre côté, la France estime qu’elle punit les nouvelles autorités maliennes et ne veut pas supporter seule les conséquences négatives des récents développements dans ce pays africain.
Ainsi, elle tente de souligner, à travers cette étape, la nécessité d’un repositionnement et un message à l’Union européenne qu’elle doit exister davantage au Sahel si elle veut lutter sérieusement contre le terrorisme. C’est aussi un message lancé également aux Etats-Unis. »
Concurrence féroce
La France serait aujourd’hui confrontée à une concurrence féroce pour l’Afrique de la part des puissances mondiales, en particulier la Russie, la Chine, la Turquie et même les États-Unis, un allié traditionnel, et donc la France ne peut pas continuer avec la mentalité de « ni moi…ni personne », au contraire, elle doit agir de manière rationnelle pour gérer les intérêts et les conflits en Afrique.
Certes, la France a perdu beaucoup d’intérêts dans cette lutte entre les nouvelles puissances mondiales sur le continent. Il est à noter que ce redéploiement et cette réorganisation interviennent, selon de nombreux observateurs, dans un contexte social et politique tendu, des tensions entre Paris et le Conseil militaire de transition au Mali, des signes de rejet par la population locale de la présence militaire française, et des campagnes antifrançaises contre réseaux sociaux.
Dans ce contexte, le général Laurent Michon avait démenti ce mécontentement populaire, dans des déclarations précédentes, soulignant que partout où il y a « Barkhane » sur le terrain, la population est satisfaite de la sécurité qu’elle leur procure.
Méfiance en France

Selon le politologue et professeur de relations internationales à Paris, Faraj Maatouk, les facteurs cachés du redéploiement ainsi que les raisons du retrait et ses conséquences et répercussions futures, soulignant que le retrait de la France du Mali n’est pas un constat définitif de sa défaite, car elle ne peut renoncer à son dernier carré dans la région ouest-africaine, qui fut longtemps parmi ses colonies.
Il y voit un repli tactique et un redéploiement stratégique, surtout après les pertes en vies humaines subies par les forces françaises d’une part, et le manque de confiance entre elles et entre les autorités maliennes provoqué par le coup d’État de mai 2021 d’autre part.
Outre ce manque de confiance, la décision de se retirer intervient sur fond d’un sentiment croissant d’hostilité de l’opinion publique à l’égard de la présence militaire française dans la région ouest-africaine en premier lieu, et la raison en est que les forces françaises sont accusées de protéger certains groupes armés séparatistes dans la région de Kidal.
Au final, Paris est devenu accusé aux yeux des Maliens de parrainer et d’entraîner des terroristes responsables d’avoir déclenché la sédition et la division entre tribus et ethnies à l’intérieur du pays.
L’aide financière et militaire comme pression

Alors que Macron misait sur l’aide financière et militaire accordée par Paris aux autorités maliennes qu’il devait utiliser comme carte de pression sur Bamako, lors de la rencontre qu’il prévoyait avec son homologue malien, Goïta, les principaux enjeux du différend de Paris avec Bamako restent les contacts maliens avec le groupe russe Wagner et le calendrier politique de la période de transition, au cours de laquelle les élections devaient avoir lieu, ce qui semble peu probable en février dans les circonstances actuelles.
La France avait intensifié auparavant sa rhétorique envers le Mali, l’avertissant que le déploiement de mercenaires russes au Sahel pourrait être « inacceptable », avant que Washington et les partenaires européens de la France au Sahel ne se décident à imposer des sanctions au groupe Wagner, ainsi qu’à 8 personnes et 3 entreprises qui lui sont associées, pour « actions déstabilisatrices » dans plusieurs pays africains, dont le Mali.
Néanmoins, il y a une conviction en France comme dans l’Union européenne que la Russie n’a aucune envie de remplacer seulement la France. Par ailleurs, le chef du département Relations internationales et économie politique du Centre d’études de Genève estime également que la visite d’Emmanuel Macron pouvait être considérée comme tentative d’élaborer une nouvelle stratégie claire que Paris voudrait mettre en œuvre, peut-être après les prochaines élections françaises.
Anouar CHENNOUFI
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Mali, suivez Africa-Press