Africa-Press – Mali. Fils spirituel d’Ali Farka Touré, le chanteur et guitariste malien livre après un long silence un nouvel album, « Lindé », qui appelle à la paix, à la solidarité et à l’unité.
Caler un entretien n’a pas été facile. Installé à Bamako depuis deux bonnes années, loin de sa ville natale de Niafunké, à 250 km au sud-ouest de Tombouctou, sur la rive du fleuve Niger, Afel Bocoum vit en exil. Prévoir une rencontre à Paris avec lui était évidemment impossible, aucune tournée européenne de l’artiste n’est d’ailleurs pour l’instant programmée, comme c’est généralement le cas après la sortie d’un album de musique world. Mais se rendre au bureau de son manager pour faire un entretien vidéo à quelques heures du coup d’État n’a pas non plus été envisageable compte tenu de la situation sécuritaire dans la capitale malienne. C’est finalement en utilisant un bon vieux téléphone que l’artiste a pu se livrer.
« Tout va bien, même si on vit avec un sentiment de peur perpétuel », lâche-t-il au bout de quelques minutes. Le décalage entre le projet de Lindé (son quatrième album en une trentaine d’années), sorti le 4 septembre, et la situation chaotique du pays est saisissant. Enregistré en trois semaines à Bamako, le disque optimiste et joyeux exhorte les Maliens à se rapprocher et à débattre, malgré le jihad et les guerres tribales. « Nous devons nous rencontrer, nous parler, soutient Afel Bocoum. Tout le monde aime la musique, c’est tout ce qu’il nous reste, et c’est un terrain sur lequel on peut tous se comprendre. »
Neveu d’Ali Farka Touré, Afel Bocoum est devenu au fil des années son fils spirituel, réussissant à force d’insistance à intégrer l’Asco, le groupe de la star malienne, au sein duquel il a joué durant les années 1980 et 1990. La filiation musicale est évidente… « Je ne peux pas me défaire de la musique de mon maître », confie Bocoum. On retrouve les sonorités de la guitare de Niafunké et la couleur bluesy de la région. Mais, à l’image du single « Avion », qui fait l’éloge des aéroplanes et des Blancs « qui nous ont apporté cette créature bénie », l’album est beaucoup plus guilleret que les productions de Farka Touré.
Quelques gouttes de soukous par-ci, des rythmiques afrobeat par-là (feu Tony Allen enflamme la batterie), un peu de violon s’ajoutant au n’goni et à la kora, des mélodies afropop… L’album cherche à séduire largement, peut-être trop, perdant un peu de l’âme et de l’authenticité qu’on attendait du disciple de Farka Touré. Les producteurs Damon Albarn (chanteur de Blur et Gorillaz, qui a collaboré à de nombreux projets avec des musiciens africains) et Nick Gold (directeur du label World Circuit, producteur aux doigts d’or derrière les succès du Buena Vista Social Club et d’Ali Farka Touré) y sont pour beaucoup.
« J’ai cherché à être à la hauteur de ce qu’on attendait de moi, et quand on travaille avec de grosses pointures, ce n’est pas toujours évident », glisse Afel Bocoum. Le studio Bogolan, haut lieu de la scène musicale bamakoise (cocréé par Farka Touré) a financé le transport, la nourriture et l’hébergement des musiciens du pays. Une pression supplémentaire pour un artiste qui voit la situation des artistes empirer avec le Covid. « Je fais de la musique qui ne se consomme pas à Bamako, explique-t-il. Ici ce sont surtout les griots qui travaillent, mais moi je ne fais pas la musique de louanges. Je peux jouer dans les grands hôtels, mais les dates sont rares… J’espère qu’une tournée européenne sera possible malgré la pandémie. »
« Lindé », Afel Bocoum, World Circuit © DR Pour son pays, l’artiste rêve d’un retour au calme rapide. « Nous souffrons de la pauvreté, nous subissons la corruption depuis trop longtemps, mais on ne connaît jamais le fond des dossiers, souffle-t-il. J’attends de voir ce que donnera le changement politique… mais je ne pense pas que le Mali puisse résoudre seul tous ses problèmes. Peut-être que la Cedeao peut permettre de gérer la transition. » Espérons que sa musique d’espoir apaise les Maliens d’ici là.