Africa-Press – Mali. Alors qu’Emmanuel Macron a acté ce jeudi 17 février la fin de l’opération militaire française, les réactions au Mali sont partagées. Pour certains, une forme de fierté patriotique prévaut, d’autres craignent de voir la situation sécuritaire se dégrader.
France-Mali : Paris et Bamako à l’heure de la rupture
« Il était temps de changer de formule ! » Mohamed Diarra, maillot de foot malien sur le dos, est satisfait. Cela fait des mois que ce diplômé, en recherche d’emploi, bât le pavé pour exiger le départ de la France. Le trentenaire ferraille depuis 2018 dans les rangs du mouvement Yerewolo – Debout sur les rempart, à l’origine de nombreuses manifestations de soutien aux autorités de la transition.
Diarra en est persuadé : ce départ « était inévitable, vu le mauvais bilan de Barkhane », après neuf ans de présence militaire française au Mali, mais aussi « l’attitude condescendante de la France » vis-à-vis des autorités et populations maliennes.
Paternalisme français
Ce jeudi matin, en annonçant le retrait de ses hommes du Mali, le président français Emmanuel Macron a une nouvelle fois indexé le gouvernement de la transition, qualifié « d’autorités de fait, [dont la France ne partage] ni la stratégie ni les objectifs cachés ».
« Une nouvelle insulte », estime Bassaro Sylla, membre du comité de pilotage de Yerewolo et président d’Urgences panafricaniste Mali, deux mouvements souverainistes qui ont fait de la lutte contre le « néo-colonialisme et l’impérialisme » leur cheval de bataille.
« Le paternalisme des autorités françaises à l’égard du Mali n’était plus acceptable. Comment Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian se permettent-ils de parler comme ils le font à ceux qui exigent le respect de la souveraineté du Mali ? Nous avons le droit de choisir qui intervient sur notre territoire ou non, qui dirige notre pays ou non », renchérit-il, ajoutant que le mouvement envisage d’organiser un rassemblement ce vendredi 18 février à Bamako, afin de réitérer leur soutien aux autorités de la transition et célébrer le départ des troupes françaises.
« Les terroristes doivent s’en frotter les mains »
« Il n’y a rien à célébrer », corrige l’ancien ministre Amadou Koïta. Pour ce membre du Cadre d’échange des partis politique, une plateforme qui a déclaré qu’elle ne reconnaîtrait plus les autorités maliennes à compter du 25 mars (date initiale de la fin de la transition), le départ de Barkhane est « regrettable et inquiétant ».
« Aujourd’hui, le dialogue est rompu entre Paris et Bamako, et les terroristes doivent s’en frotter les mains. L’objectif de la lutte contre le terrorisme doit être placé au-dessus de nos incompréhensions. Il faut espérer que ce retrait ne signifie pas l’abandon total du Mali dans cette lutte », plaide-t-il, à contre-courant du sentiment de contentement qui semble prévaloir à Bamako.
Loin des palabres de Bamako, à Kidal, l’heure est davantage à l’inquiétude. « C’est une très mauvaise nouvelle pour le processus engagé contre le terrorisme dans le Nord et Centre du Mali, estime Sidi Ag Iniswil, le président du Conseil régional de la jeunesse de la ville située à quelque 1 200 kilomètres au Nord de la capitale malienne. C’est inquiétant également pour l’application de l’Accord de Paix, qui sera nécessairement fragilisé par la situation entre Paris et Bamako. Nous avançons vers des lendemains incertains. »
À près de 300 kilomètres de là, Annass Maïga, lui, veut se donner le temps de l’observation. Ce membre de la Fédération des organisations de la résistance civile de Gao (Force-G), pour qui « la situation ne cessait de toute manière de se dégrader malgré la présence de Barkhane », attend de voir si les armées locales et de nouveaux partenariats peuvent changer la donne militairement. « Mais dans le cas particulier de Gao, ajoute-t-il, ce départ risque aussi d’avoir de lourdes conséquences économiques pour les populations locales, dont beaucoup dépendent directement ou indirectement de Barkhane. »
Au-delà des populations, le départ de Barkhane pourrait aussi avoir un impact sur les activités des partenaires de la mission française. Au premier rang desquels la Minusma, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali, qui déploie plus de 12 000 casques bleus dans le pays et l’Union européenne.
« Il y aura forcément un impact qui est actuellement à l’étude», confiait à l’AFP Olivier Salgado, porte-parole de la mission onusienne, que l’opération française appuie « en cas de menace grave et imminente ». « J’ai envoyé une mission au Mali afin de vérifier avec les autorités maliennes sous quelles conditions et sous quelles garanties nous pourrions envisager la possibilité de garder ou de ne pas garder notre travail de mission de formation », a quant à lui déclaré Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Pour beaucoup, l’heure est à l’observation. Le départ de Barkhane marquera-t-il une désescalade dans la crise diplomatique entre Paris et Bamako ? Entraînera-t-il une réaction en chaîne de départs ou de reconfigurations pour les partenaires du Mali ?
« Si ces partenaires considèrent qu’ils ne peuvent pas travailler sans la France, nous leur disons au revoir à eux-aussi », répond Bassaro Sylla, qui, comme de nombreux Maliens, veut compter sur « la montée en puissance des forces armées locales » et sur le partenaire russe. « Depuis qu’ils sont là, les Russes offrent déjà des résultats concrets sur le terrain. Et la Russie est moins arrogante que le France. »
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