Le dialogue avec les groupes armés : Une nécessité pour une « voie lactée » au Sahel africain

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Le dialogue avec les groupes armés : Une nécessité pour une « voie lactée » au Sahel africain
Le dialogue avec les groupes armés : Une nécessité pour une « voie lactée » au Sahel africain

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Mali. Au moment où le pré-dialogue tchadien à Doha demeure encore « flou » et n’avance toujours pas comme espéré, et après que le médiateur qatari ait présenté les propositions venues des autorités de Ndjamena, le 14 avril dernier, nous constatons déjà l’émergence d’un grand fossé entre les deux parties.

Cela fait prés d’un mois et demi que le pré-dialogue tchadien au Qatar fût entamé, rassemblant autour de la table 200 délégués, dont 25 représentants du pouvoir tchadien, ainsi que les représentants de plus d’une cinquantaine de groupes politico-militaires, qui se disent toujours aussi engagés dans les discussions, mais qui demandent au pouvoir de changer drastiquement sa position.

Nous ne savons toujours pas si oui ou non les contre-propositions des groupes politico-militaires ont été présentées.

C’est pour cette raison que nous avions souligné, dans un article précédent, que le « Dialogue National Inclusif » ne pouvait être tenu le 10 Mai 2022, mais probablement vers la fin de cette année.

En attendant, nous avons jugé utile d’aborder d’autres initiatives relatives à la tenue de dialogue avec les groupes armés au Sahel africain, un sujet qualifié de grande importance pour la sécurité dans la région.

La nature du contexte complexe dans la région du Sahel africain, avec l’aggravation des menaces sécuritaires auxquelles elle est confrontée en raison de l’escalade de l’activité des groupes armés et extrémistes et de l’expansion de leur propagation dans un certain nombre de pays de la région, incite à revoir certaines politiques liées à la lutte anti-terroriste, notamment en explorant la possibilité d’un dialogue avec des groupes concernées, loin de la tutelle et des pressions françaises qui se sont poursuivies ces dernières années.

Dans le même contexte, cette tendance fût renforcée par l’accueil de la capitale italienne, Rome, en février (2022) d’une réunion de sept dirigeants touaregs dans le nord du Mali, avec comme objectif d’élaborer des négociations avec l’autorité malienne de transition dans ce pays, ce qui signifie la possibilité de formuler de nouveaux arrangements régionaux dans la région sahélienne.

Blocage (ou pas) de la dynamique du dialogue avec les groupes armés au Sahel
La région du Sahel est confrontée à de multiples crises, dont la première est l’insécurité à grande échelle géographique suite à l’expansion des opérations armés des groupes armés telles que « Al-Qaïda et Daech » dans certains pays de la région, et ces crises sont renforcées par les taux élevés de pauvreté dans ces pays, qui ont poussé des jeunes de diverses tranches d’âge à rejoindre ces groupes.

Cela a créé une crise de gouvernance qui a contribué à creuser le fossé déjà ouvert entre les peuples de la région et leurs gouvernements, l’État étant devenu un problème plutôt qu’un garant de la sécurité et du bien-être de ses citoyens, en particulier à la lumière de son échec à vaincre les groupes de violence et de terrorisme.

Une situation qui a permis une vague de coups d’État militaires, dans la région, ayant atteint quatre coups d’État au cours des deux dernières années.

Par conséquent, la motivation est devenue forte pour adopter de nouvelles tactiques dans la guerre contre le terrorisme au Sahel, y compris l’orientation vers une série de dialogues avec certaines groupes armés actives, au sommet desquelles se trouve le groupe « Nosrat al-Islam et les Musulmans » dirigé par Iyad Ag Ghali, l’ancien diplomate, et Amadou Koufa (nom de guerre d’Amadou Diallo), le chef de la Brigade de libération du Macina, comme une éventuelle solution politique aux crises sahéliennes étendues et atténuer les menaces des groupes armés et violents.

Le cas de la Mauritanie

Situation de la Mauritanie au Sahel africain

D’autres initiatives de dialogue avec des groupes extrémistes avaient déjà été conduites par l’Algérie et la Mauritanie. D’abord en Algérie, le dialogue avait abouti à l’adoption d’une loi dite « de concorde civile », mettant fin à plus d’une décennie de violence dans le pays.

Quand en Mauritanie, après une politique entièrement sécuritaire qui a duré plusieurs années, les autorités ont finalement opté pour le dialogue et la déradicalisation, menés de concert avec des érudits religieux. Malgré leurs limites et leurs imperfections, les méthodologies appliquées dans ces deux pays ont tout au moins permis de démobiliser des membres de ces groupes.

Il importe de noter que la région avait connu un exemple réussi de telles initiatives en Mauritanie, qui s’est engagé dans cette voie en 2011, après avoir négocié avec des groupes armés et conclu un accord de paix avec eux. Depuis lors, la Mauritanie n’a pas connu de nouvelles attaques armés.

Ceci semble confirmer que l’approche purement militaire n’est plus efficace pour atteindre les objectifs souhaités dans la région du Sahel africain. Par conséquent, certains pays de la région voient la possibilité d’une ouverture au dialogue avec les groupes armés et extrémistes, une éventuelle solution à ces problèmes.

Le cas du Mali

Carte du Mali

L’idée du dialogue avec les groupes armés et les porteurs d’armes a dominé l’esprit des dirigeants des pays du Sahel depuis le sommet de N’Djamena, capitale du Tchad, tenu en février 2020, notamment à la lumière des appels à engager des pourparlers avec les groupes armés, comme cela a été fait par le Congrès du consensus national au Mali, qui s’est déroulé en 2017, et avait recommandé d’engager des pourparlers avec toutes les parties concernées par la crise dans le pays, y compris les groupes armées, afin de parvenir à la coexistence, à la paix et à la réconciliation nationale.

En février 2020, l’ancien régime malien a appelé à des négociations avec le groupe « Nosrat al-Islam et les Musulmans », qui s’est déclaré prêt au dialogue, mais avec des conditions préalables, notamment le retrait des forces françaises et de la mission des Nations unies, qui a conduit à la perturbation du dialogue entre les deux parties.

A noter que le gouvernement malien avait signé un accord de paix avec des groupes armés en 2015 (à Alger), mais il n’a pas été pleinement mis en œuvre, et ces groupes ont rapidement étendu leurs opérations armés dans le nord du pays.

La feuille de route établie à la suite du coup d’État militaire d’août 2020, mentionnait dans son Art. 5 la prévision de l’ouverture d’un dialogue avec les groupes armés armées, et deux mois plus tard, en octobre 2020, la junte militaire de transition au Mali avait procédé à un échange de prisonniers avec le groupe « Nosrat al-Islam et les Musulmans », selon lequel elle a libéré environ 200 prisonniers de ses membres, en échange de la libération de quatre otages qu’elle détenait au nord et au centre du pays, pour réduire l’intensité des opérations armés qui nuisent à la popularité du pouvoir en place.

Ce qui avait facilité à l’époque l’établissement d’un tel dialogue, c’était la présence de médiateurs à forte influence dans les communautés locales, comme les religieux, notamment l’Imam malien originaire de la région de Tombouctou qui a présidé le Haut Conseil islamique malien, Mahmoud Dicko, et qui a lancé un centre pour la promotion de la paix et de la coexistence au Mali, en avril 2020.


L’Imam malien Mahmoud Dicko

Pour rappel, Abdelmalek Droukdel*, l’émir algérien d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), groupe djihadiste actif dans toute la région sahélienne, avait créé la surprise avec la diffusion, le 16 mars 2020, d’un document audio affirmant ceci : « Nous acceptons de négocier pour poser les bases de la libération de nos peuples ». Ce message était en fait la réponse à une offre de main tendue par le très influent Imam au sein de la société malienne, Mahmoud Dicko.

*Abdelmalek Droukdel, algérien, connu sous le nom de guerre d’Abou Moussab Abdelwadoud, est mort moins de trois mois plus tard, le 3 juin 2020 à Talhandak, près de Tessalit, tué par les forces armées françaises.

Le cas du Burkina Faso

Contrairement au Mali, le Burkina Faso, à l’époque de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, a hésité à entamer un dialogue avec les groupes armés, malgré l’annonce par son ancien premier ministre en février 2021 d’entamer des pourparlers avec des groupes armés.

Il semble de fait que ce refus ait été motivé par de fortes pressions françaises pour empêcher toute initiative de dialogue. Cependant, la montée en puissance d’une nouvelle élite militaire, suite au coup d’État réussi de janvier 2022, pourrait s’accompagner d’une nouvelle réflexion sur l’ouverture d’un dialogue avec certaines groupes armés actives dans le nord du le pays, pour trouver une issue aux crises sécuritaires au Burkina Faso.

Le cas du Tchad

De leur côté, les autorités de transition au Tchad ont lancé en août 2021 une invitation à tous les partis politiques, y compris les groupes rebelles armés, à participer au dialogue national inclusif (DNI) qui était prévu pour les mois de novembre et décembre 2021, avant qu’il ne soit reporté au mois de février 2022, puis au mois de mai prochain, dans le but de parvenir à plus de consensus national et d’unité nationale en vue de la tenue des prochaines élections présidentielles tant attendues.

Compte tenu de la réticence de certains pays du Sahel à lancer des initiatives de dialogue au niveau officiel avec les groupes armés, cela n’a pas empêché la communication entre les deux parties au niveau local non officiel.

Des dynamiques se développent au niveau des pourparlers de paix locaux entre les communautés locales et certaines organisations armées. Mais il y a une différence dans les attitudes des pays du Sahel face aux initiatives de dialogue avec les groupes armés. Alors que des pays comme le Mali et le Burkina Faso acceptent l’idée de négociations avec les chefs du terrorisme, d’autres pays comme le Niger rejettent avec véhémence un tel dialogue.

Ce que l’on peut en déduire

Les pourparlers tchadiens tenus à Doha

L’approche purement militaire n’étant plus efficace pour atteindre les objectifs souhaités dans la région du Sahel africain, certains pays de la région y voient la possibilité d’une ouverture au dialogue avec les groupes armés et extrémistes. Il semble qu’un tel dialogue soit devenu faisable, ne serait-ce que partiellement, d’autant plus que la poursuite des affrontements militaires, entre les parties, épuiserait leurs capacités matérielles, logistiques et humaines, en l’absence de possibilité d’obtenir une victoire militaire décisive pour l’une d’entre elles.

En conséquence, le dialogue avec les groupes armés peut constituer une nouvelle approche importante qui n’est pas suffisamment exploitée et peut jouer un rôle important et jeter les bases d’un vrai long processus de paix à long terme dans la région.

Donc, si le dialogue réussit dans les pays du Sahel africain, il peut représenter un modèle pour certaines zones de conflit sur le continent, comme l’Afrique de l’Est, car le dialogue avec les groupes armés peut constituer une nouvelle approche importante qui est sous-utilisée et peut jouer un rôle important qui conduirait à changer la dynamique du conflit au Sahel.

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