Sanctions de la Cedeao : le Mali a mal, mais le Sénégal déguste aussi

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Sanctions de la Cedeao : le Mali a mal, mais le Sénégal déguste aussi
Sanctions de la Cedeao : le Mali a mal, mais le Sénégal déguste aussi

Africa-Press – Mali. Les préjudices seront autant pour les Maliens que pour les Sénégalais. Le Sénégal aussi souffre de l’embargo : si le Mali pleure, le Sénégal aussi va pleurer », assure Gora Khouma, secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal lorsqu’il évoque les conséquences des sanctions contre le Mali prises par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Pour rappel : à la suite de la décision du pouvoir malien de prolonger la transition de cinq ans et donc de repousser, alors qu’il s’y était engagé, les élections prévues en février 2022, la Cedeao a imposé le 9 janvier dernier un embargo sur les échanges commerciaux (excepté les produits de première nécessité et les hydrocarbures) et les transactions financières concernant le Mali. Ses avoirs à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ont également été gelés. Si l’embargo avait pour objectif de sanctionner le pouvoir malien, il s’est avéré que les répercussions se sont déjà fait ressentir au-delà des frontières maliennes, affectant également les pays de la sous-région à des degrés variables.

La Côte d’Ivoire mais surtout le Sénégal, le pays étant l’un des premiers partenaires économiques du Mali, sont ainsi les plus touchés. Par ricochet et en raison de la forte interdépendance entre les deux pays, la fermeture des frontières terrestres et maritimes se répercute durement sur l’économie sénégalaise. Dans un tweet, l’économiste Ndongo Samba Sylla expliquait qu’« en acceptant les sanctions de la Cedeao contre le Mali, le Sénégal se tire une balle dans le ventre ».

Dakar, premier port malien, subit le contre-choc
Le Mali est le premier client commercial du Sénégal. C’est aussi le pays le plus important comme destination à l’exportation pour le pays de la Teranga, plus que tous les pays de l’Union européenne réunis (dont le montant s’élève à environ 402 millions d’euros). D’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), en 2021, 21 % des exportations sénégalaises étaient à destination du Mali. En 2020, ces exportations avaient généré un montant de 493 milliards de FCFA (environ 751 millions d’euros).

De par son enclavement et son manque de débouché maritime, la dépendance du Mali envers le port de Dakar est indéniable. Environ 2,8 millions de tonnes de marchandises de transit passent par ce port à destination de pays de la sous-région, dont 2,5 millions de tonnes concernent uniquement le Mali. Un volume d’échanges qui montre que le port de Dakar vit largement de ce fret. Les produits maliens importés sur le territoire sénégalais sont essentiellement des produits cosmétiques, du bétail, du coton, des tissus…

À l’inverse, le Mali est un grand importateur de produits manufacturés. « Nous avons au Sénégal trois cimenteries qui font globalement 1 million de tonnes de ciment par an à destination du Mali [le pays ne possède pas de cimenterie sur son territoire]. Nous avons également 1,7 million de tonnes de produits pétroliers qui passent ici. Il y a aussi les sociétés de transformation et de produits de beauté qui passent par la route, sur le corridor Dakar-Bamako », déclare Mbaye Mbengue, président du Collectif des entreprises agrées de transport et de livraison des containers. « Depuis plus d’un mois que le blocus a été mis en place, la situation empire de jour en jour », soupire Mamadou Corsène Sarr, secrétaire général de CAP Sénégal (Communautés des acteurs portuaires du Sénégal). « Auparavant, 4 000 tonnes de marchandises par an passaient par Dakar, il y avait environ 6 000 conteneurs par mois qui partaient du port, 1 800 camions par jour qui passaient par le pôle Dakar. Mais, désormais, il n’y a plus rien et plus rien ne sort », ajoute-t-il.

Des problèmes aigus de stockage

Les activités du port, mais aussi des entrepôts maliens, tournent au ralenti. Le môle 3, qui accueille habituellement les navires à destination du Mali, se retrouve sans activité. Face à la fermeture des frontières et, donc, à l’impossibilité d’acheminer les produits, certains armateurs ont décidé de ne plus prendre de commandes à destination du Mali. « Il y a une congestion au niveau du port. Les navires ne pouvaient plus accoster ou devaient rester plus longtemps, car la question de la gestion de la marchandise et du stockage se pose. Faute de pouvoir les livrer, les produits se sont retrouvés bloqués au port, donc il a fallu trouver un moyen de les stocker. Le magasinage des produits maliens se fait sur une surface de 2 hectares, la place n’est pas illimitée. La durée de détention est normalement de 10 jours, sans compter que cela constitue des frais supplémentaires pour chaque jour passé », détaille M. Sarr. Au vu de la situation et par solidarité, Dakar Terminal, un terminal du port, a ainsi suspendu les frais de détention. Pour désengorger le port, certaines marchandises ont aussi été acheminées dans des hangars du côté de la nouvelle ville de Diamniadio.

La situation reste pour autant problématique. « Les solutions alternatives pour le Mali sont de passer par la Mauritanie et la Guinée [les deux pays ont rejeté la décision de la Cedeao], mais cela est plus complexe et leurs infrastructures n’ont pas les mêmes capacités que le port de Dakar », analyse le secrétaire général de CAP Sénégal. La situation est très dommageable pour les activités économiques du port de Dakar, mais aussi sur les ressources douanières, en forte baisse.

Le secteur des transports est lourdement impacté
Hormis le port, un autre secteur économique se retrouve dans une situation déplorable : le transport routier. Plus de 1 300 camions sont immobilisés de force à Kidira, à la frontière avec le Mali depuis le 9 janvier. Un chiffre auquel il faut ajouter les véhicules immobilisés dans le reste du pays, mais aussi les chauffeurs, maliens ou sénégalais, également bloqués du côté malien.

Le corridor Dakar-Bamako, principal axe emprunté par les chauffeurs, joue un rôle vital dans les échanges commerciaux entre les deux pays. Il a pâti des contrecoups de la fermeture des frontières. Les groupements économiques du Sénégal (GES) ont dénoncé fin janvier la situation déplorable vécue par les chauffeurs. « On n’est pas là pour condamner la décision de la Cedeao, mais pour montrer une situation très difficile qu’on est en train de vivre, nous, exportateurs maliens et sénégalais, qui étions en pleine activité », a souligné Aboubacar Sagna, porte-parole des syndicats des transporteurs routiers.

Au-delà de la sanction, les acteurs du secteur du transport fustigent leur application immédiate. « Ils auraient dû donner un délai avant l’application de la mesure. Cela aurait limité le nombre de camions bloqués et les répercussions », tempête Gora Khouma, secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal. Les syndicats réclament que les camions ayant chargé avant le 9 janvier puissent passer la frontière afin de désengorger un peu la situation.

Les chauffeurs en première ligne et en difficulté

Le GES s’inquiète aussi des conditions précaires dans lesquels les chauffeurs se retrouvent, certains étant contraints de vendre leur essence pour subvenir à leurs besoins. « Les chauffeurs ne peuvent pas abandonner leur camion et leur marchandise. Les transporteurs envoient de l’argent pour qu’ils puissent survivre, mais la situation ne peut pas durer. Leur salaire leur sert pour survivre et ils risquent de ne plus pouvoir payer leur essence si la situation s’éternise », insiste M. Khouma. À cela s’ajoute les conditions sanitaires déplorables, les difficultés d’approvisionnement alimentaire, le manque de place de stationnement qui conduit à une forte concentration de véhicules, dont certains transportent des hydrocarbures, ce qui augmente les risques sanitaires et sécuritaires. « Un certain nombre de transporteurs ont contracté des prêts de plusieurs millions de francs CFA auprès des banques pour l’achat de leur véhicule. Ils vont se retrouver dans une situation délicate pour rembourser leurs mensualités… » rappelle M. Sarr.

La chaîne d’approvisionnement fortement menacée

C’est toute la chaîne d’approvisionnement, de commerce et d’industrie du corridor Dakar-Bamako qui subit les répercussions du blocus : restaurateurs, commerçants, mécaniciens, stations essence… Et de manière plus globale, c’est l’économie nationale dans son ensemble qui est chamboulée. Une augmentation des prix concernant la viande de bœuf et de mouton est déjà une réalité. Le Sénégal n’ayant pas assez de bétail, c’est le Mali qui lui fournit ses besoins. Le kilo de viande de bœuf est ainsi passé de 3 500 à 6 000 francs CFA (de 5,33 à 9,15 euros). Si la situation venait à perdurer, la flambée des prix pourrait se transformer en pénurie, un scénario problématique à quelques mois du ramadan et aussi des élections législatives de juillet prochain.

Des pertes très élevées

Bien qu’il soit difficile d’établir avec certitude le manque à gagner, le montant des pertes sera élevé. « Si le Sénégal perd le trafic sur le Mali, c’est une perte énorme, avec un chiffre qui tourne autour de 600 milliards de francs CFA (914 millions d’euros), sans parler des activités connexes, comme les Entrepôts maliens au Sénégal, qui constituent une source d’emplois. Les effets seront néfastes sur les acteurs économiques des deux pays », redoute Souhaibou Guèye, secrétaire général des GES. Pour certains, ce chiffre paraît même en dessous de la réalité, les pertes d’emploi, la hausse des prix et la baisse des volumes de marchandises pouvant avoir des répercussions bien plus importantes. Pour les syndicats de transporteurs, il ne s’agit ni plus ni moins que « d’un désastre économique qui s’installe ».

L’État sénégalais interpellé

Les chauffeurs et transporteurs qui se disent délaissés interpellent l’État du Sénégal et lui demandent « d’user de diplomatie pour que ces camions bloqués puissent traverser la frontière et aller décharger leurs marchandises ». Ils demandent que le gouvernement appelle à une résolution rapide du problème. De son côté, Gora Khouma pointe du doigt la position du président sénégalais : « Macky Sall n’a pas l’air d’avoir conscience des répercussions néfastes des sanctions contre le Mali sur l’économie sénégalaise. Je le dis parce que les milliards qui entrent dans les caisses de la douane proviennent en grande partie du trafic entre le Sénégal et le Mali. Le fret malien constitue une grande source de revenus pour l’économie sénégalaise », argumente-t-il. « Nous sommes dans l’attente d’une réaction de la Cedeao. Pour l’instant, nous n’avons aucun retour, aucune réaction. Macky Sall est actuellement le président de l’Union africaine, mais il est pris en étau entre le soutien à la décision de la Cedeao et la situation du Sénégal », conclut M. Sarr.

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