Le Mali s’invite avec fracas dans la présidentielle

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Le Mali s’invite avec fracas dans la présidentielle
Le Mali s’invite avec fracas dans la présidentielle

Africa-Press – Mali. Le Mali n’est pas l’Afghanistan. Tel est le mot d’ordre en ce moment à l’Élysée, où l’on redoute que la situation dégénère au Sahel et vienne empoisonner l’annonce d’entrée en campagne d’Emmanuel Macron. Dans l’entourage du président, on assure que c’est surtout le conflit en Ukraine qui explique la volonté de « temporiser » l’officialisation de la candidature. « Je ne peux pas raisonnablement expliquer aux Français que je vais m’adonner à ce temps démocratique important alors que je leur ai dit que je serais président jusqu’au bout et que nous avons une crise à la frontière ukrainienne qui menace notre sécurité collective », expliquait Emmanuel Macron à La Voix du Nord le 1er février. Mais un autre spectre, encore plus inquiétant, resurgit au Sahel : celui d’un départ chaotique des troupes déployées depuis huit ans au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.

Les images de la débandade américaine à l’aéroport de Kaboul et des hélicoptères évacuant des diplomates à la hâte ont durablement terni l’image des États-Unis et de Joe Biden. Paris veut éviter qu’un tel scénario se répète au Mali, malgré la dégradation, jour après jour, de la situation. Un conseiller proche du président assure ne voir « que des différences » entre les crises afghane et malienne, reste que la question de la sécurité des forces françaises au Mali se pose désormais et que les récupérations politiques, en pleine campagne présidentielle, sont dans tous les esprits.

Le sujet de la présence française au Sahel, au même titre que les sujets internationaux, est légitime dans le débat entre candidats qui s’annonce. Mais il est resté jusqu’ici un angle mort et l’Élysée redoute qu’elle fasse à présent l’objet d’attaques contre le président sortant, au prix de « simplifications » et de « raccourcis ». On tente donc de désamorcer la polémique avant que les rivaux d’Emmanuel Macron s’en emparent.

L’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali est le dernier épisode en date de la brouille entre Paris et Bamako, qui semble conduire tout droit à une rupture entre les deux pays. La nouvelle est tombée comme un couperet le 31 janvier. L’Élysée n’en avait pas été informé au préalable. L’ambassadeur s’est vu notifier son renvoi après avoir été convoqué par la junte qui a pris le pouvoir en mai 2021 à Bamako.

La démarche malienne, brutale, a laissé la France sans réaction. L’ambassadeur Joël Meyer est l’un des meilleurs connaisseurs français du Mali, pays dans lequel il a été deux fois en poste. Jusqu’au bout, il permettait de préserver un canal de dialogue avec les putschistes et leur chef, le colonel Goïta. Attendu jeudi 3 février à Paris, le diplomate devrait signifier au Quai d’Orsay que le divorce est bel et bien consommé avec le nouveau pouvoir malien.

« Humiliation »

Fait notable, la France ne va pas prendre de mesures de rétorsion après l’expulsion de son ambassadeur. Contrairement à ce que demandaient Valérie Pecresse ou Marine Le Pen, elle ne peut pas expulser l’ambassadeur du Mali en France, car le poste est vacant depuis deux ans. Surtout, l’Élysée souhaite faire profil bas. « On n’est pas dans la ruade, pas dans la surréaction », explique une source diplomatique. Le but : éviter toute escalade avec la junte qui mettrait les forces françaises sur le terrain dans une situation encore plus délicate. La France a toujours environ 5 000 hommes au Sahel. Un chiffre qui devait être ramené à 2 500 en 2023.

Désormais, un départ pur et simple des soldats français du Mali est ouvertement évoqué dans l’entourgae du président, même si on rappelle que le retrait progressif avait été décidé avant l’arrivée au pouvoir de la junte, en vue de la « transformation » de la mission de la France dans la région.

Paris assure vouloir changer d’échelle. C’est toute l’Afrique de l’Ouest qui doit faire l’objet d’une nouvelle politique. Au Quai d’Orsay, un diplomate esquisse ce qui pourrait être le futur de la coopération franco-africaine. « Moins de troupes déployées, des bases plus réduites et moins nombreuses, davantage de missions de renseignement et plus de coopération avec les armées africaines qui le souhaitent. » Tchad, Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, Ghana, Togo… : elles sont encore nombreuses dans la région, assure-t-il.

Reste qu’un départ du Mali serait une sacrée humiliation pour la France et pour son président en pleine campagne présidentielle. D’autant plus que les miliciens russes Wagner sont en train de prendre position dans le pays. L’image est désastreuse et pourrait être utilisée contre lui par ses rivaux politiques. « Je ne supporte pas que notre armée soit humiliée par le gouvernement malien », s’est déjà émue Marine le Pen sur Europe 1.

« Nos soldats meurent pour un pays qui nous humilie », a renchéri Éric Zemmour, tandis que Jean-Luc Mélenchon rappelait que la France a perdu plus de 50 hommes dans la région depuis 2013, tout ça pour que la France finisse « dans un imbroglio qui n’est pas digne ».

Dans la campagne rugueuse qu’il se prépare à rejoindre, Emmanuel Macron va tenter de faire passer le retrait – partiel ou total ? – des troupes françaises au Mali comme inéluctable en assurant qu’il n’existe pas d’alternative. Dans son entourage, on affirme déjà avec force qu’il serait ridicule de rester coûte que coûte dans le pays aux côtés d’une junte qui n’a plus de relations avec ses voisins et qui a été mise au ban de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Nul doute qu’on préférera insister sur les rares bénéfices de l’opération Barkhane, notamment les coups portés à la hiérarchie d’Al-Qaïda et de l’État islamique au Sahel.

La fin annoncée de « Takuba »

Autre enjeu pour le président français, faire du retrait du Mali une question non pas française, mais européenne. Car Paris n’est pas le seul acteur à se voir chasser du pays au profit des miliciens russes. Une semaine après leur arrivée au Mali, les soldats danois ont été invités par la junte à rentrer au pays, au motif que leur déploiement était « intervenu sans son consentement ». Ils étaient déployés dans le cadre du groupement européen de forces spéciales nommé Takuba. Un nouvel acteur mort-né, confirment plusieurs sources diplomatiques : « Takuba, sous sa forme actuelle, va s’éteindre. »

Reste une question de taille : quand annoncer la nouvelle politique de la France en Afrique de l’Ouest pour ne pas parasiter l’entrée en campagne du président sortant ? Les 17 et 18 février doit se tenir à Bruxelles un grand sommet UE-Afrique. L’occasion parfaite pour annoncer un retrait des troupes françaises au Mali en présentant la décision comme un changement de paradigme pas seulement français, mais européen.

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