l’opération Barkhane en sursis

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l’opération Barkhane en sursis
l’opération Barkhane en sursis

Africa-Press – Mali. C’est une escalade diplomatique inédite : après avoir demandé le départ des troupes danoises de la force Takuba, le Mali a sommé l’ambassadeur de France de quitter le pays. Va-t-on vers la fin de toute coopération entre Bamako et ses partenaires occidentaux ?

Les troupes françaises de l’opération Barkhane et la force Takuba, composée de soldats de plusieurs pays européens, peuvent-elles encore rester au Mali ? La question semble plus que jamais incontournable, à l’heure où les hostilités diplomatiques entre Bamako et Paris ont franchi un nouveau palier. Ce mercredi 2 février, Joël Meyer, ambassadeur au Mali depuis 2018, a quitté le pays, renvoyé par les autorités maliennes qui l’avaient convoqué deux jours plus tôt.

L’expulsion du diplomate, vécue comme une « humiliation » par une partie de la classe politique française, a vivement fait réagir cette dernière, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par Les Républicains. Le Premier ministre français, Jean Castex, a annoncé l’organisation d’un débat parlementaire pour évoquer l’engagement militaire de la France au Mali.

La crispation intervient après des mois d’invectives publiques. La dernière en date est venue de Jean-Yves Le Drian, dans les colonnes du Journal du dimanche (JDD) du 30 janvier. Le ministre français des Affaires étrangères a affirmé que les mercenaires russes de la compagnie privée Wagner « se servent déjà en ce moment des ressources du pays en échange de la protection de la junte. Ils spolient le Mali ». Des propos jugés « hostiles » par Bamako.

Renvois en série

Au-delà de la France, qui est la première concernée par la vindicte populaire et politique, ce sont les relations du Mali avec l’ensemble de ses partenaires européens qui pourraient se tendre. « La demande injustifiée de retrait de l’ambassadeur de France isolera le Mali. L’Union européenne [UE] est solidaire de la France et du Danemark, dont le contingent a été renvoyé, a réagi Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères. La situation requiert le respect des engagements maliens et du dialogue, qui conditionnent la stabilité de la région. »

En effet, une semaine avant que Joël Meyer ne soit déclaré persona non grata, le Mali avait « invité » le contingent danois de Takuba à « quitter immédiatement » le territoire national. Bamako estimait que le Danemark n’avait pas attendu la validation malienne avant de se déployer, ce que dément Copenhague. Mais cet épisode a déjà des conséquences. Mardi 1er février, la Norvège a décidé de renoncer à l’envoi d’un contingent qui devait rejoindre Takuba. Son ministre de la Défense, Odd Roger Enoksen, a déclaré qu’il n’était pas « possible d’établir un cadre juridique suffisant avec le Mali qui assure la sécurité [des soldats norvégiens] ».

En octobre, c’est le diplomate burkinabé, Hamidou Boly, représentant de la Cedeao, qui avait été prié de partir en raison d’« agissements incompatibles avec son statut ». Les autorités de transition le soupçonnaient de chercher à les déstabiliser.

À Bamako, les sanctions prises par la Cedeao ont renforcé l’idée que l’instance régionale était à la solde de la France. Désormais, plus un rassemblement ne se déroule dans la capitale malienne sans que l’organisation sous-régionale ne soit étrillée, tout comme l’Hexagone.

Paternaliste et parfois arrogante

La relation entre les autorités de la transition et le gouvernement français avaient pourtant commencé sous de meilleurs auspices. Lors du sommet de N’Djamena en février 2021, Emmanuel Macron se réjouissait de la « fenêtre d’opportunités pour effectuer des percées militaires, civiles et politiques » qu’offrait la transition, estimant qu’« en quelques mois, [ces] autorités de transition ont donné plus de gages que les autorités précédentes en trois ans ». Un nuit de noces vite oubliée à cause du second putsch, survenu en mai 2021.

« Ce deuxième coup d’État a mis la France en porte-à-faux à cause de sa position sur la transition tchadienne. Alors que Paris a immédiatement avalisé l’installation d’une junte militaire à N’Djamena, avec à sa tête le fils du président décédé en avril 2021, elle a dénoncé le second putsch à Bamako, se mettant une partie de l’opinion publique malienne et plus largement africaine à dos », décrypte Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l’African Security Sector Network.

« Mais, la fracture est encore plus ancienne », estime la chercheuse, selon qui la diplomatie franco-malienne, et plus largement franco-sahélienne, a pris un premier coup de canif à l’occasion du Sommet de Pau, en janvier 2020. De nombreux citoyens ouest-africains n’avaient alors pas apprécié « la convocation » de leurs présidents par Emmanuel Macron. À l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avait fait savoir qu’il n’appréciait pas le ton du chef de l’État français. Le président déchu fut d’ailleurs le premier à franchir « une ligne rouge » posée par Paris, se déclarant favorable aux négociations avec les leaders djihadistes, inscrites dans les conclusions du dialogue national inclusif malien.

Deux ans et de nombreuses divergences plus tard, « Paris a estimé que l’intervention française devait se faire à la condition d’un alignement inconditionnel des Maliens sur ses positions. Or les désaccords politico-diplomatiques se sont multipliés sans qu’aucun des deux partenaires n’ouvre de réelles marges de négociation, ajoute Niagalé Bakayoko. La France paye aujourd’hui une politique perçue comme paternaliste et parfois arrogante. Le ressentiment au Sahel est par ailleurs alimenté par un constat sans appel de l’échec de l’intervention militaire ».

Plus que jamais, l’avenir de Barkhane semble incertain. Le 28 janvier, au micro de RFI, le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, dénonçait « l’absence de résultat » d’un partenariat vieux de neuf ans. « Nous ne sommes plus en situation d’accepter n’importe quoi. […] Nous ne voulons pas d’un partenaire qui nous dit que l’on peut travailler avec tel pays ou ne pas travailler avec un autre », a-t-il ajouté.

À Bamako, une rumeur enfle d’ailleurs : les autorités maliennes auraient demandé, dans la foulée du départ de l’ambassadeur français, celui des troupes militaires hexagonales. Une information catégoriquement démentie côté français : « Aucune demande ne nous a été adressée en ce sens », garantit un haut-gradé de l’état-major des armées françaises. Mais avant même l’expulsion de son ambassadeur, Jean-Yves Le Drian avait déclaré au JDD que « vu cette situation, vu la rupture du cadre politique et du cadre militaire, nous ne pouvons pas rester en l’état », avant de se dédire en partie, assurant que « l’illégitimité d’une gouvernement » ne viendrait pas « enrayer » la lutte de la France contre le terrorisme.

Au sein des neuf pays qui composent la task force Takuba, l’heure est également à la réflexion. Le vendredi 28 janvier, les ministres de la Défense des pays engagés, largement contrariés par l’épisode danois, se sont entretenus en visio-conférence. Ils se sont donnés deux semaines, soit jusqu’au sommet UA-UE prévu les 17 et 18 février à Bruxelles, pour repenser l’avenir du dispositif.

« Il se peut que les Maliens soient en train de prendre les Européens de vitesse », avertit cependant Niagalé Bagayoko. Les autorités maliennes ont-elles déjà pris une décision ? Ont-elles déjà décidé de pousser la France et ses alliés européens vers la sortie et de tourner la page de neuf ans d’une coopération qui n’aura pas su endiguer la menace djihadiste ? Et si les soldats de la force Barkhane (environ 3 000 en 2021) et ceux de Takuba (environ 700) étaient amenés à quitter le Mali, les Famas seraient-elles en mesure de prendre le relais militairement ? Pour plusieurs observateurs, Bamako pourrait alors s’appuyer sur la Russie.

Autant de questions auxquelles il est aujourd’hui difficile de répondre. « La stratégie malienne est devenue illisible, on a le sentiment d’une fuite en avant », commente un spécialiste de la région, sous couvert d’anonymat. « Aujourd’hui, on n’a toutefois plus aucune raison de penser que le gouvernement malien bluffe et qu’il ne cherche pas à mettre les Français à la porte », reprend un autre analyste, qui, signe des temps, a requis l’anonymat lui-aussi.

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