Administration des fonds publics: la Banque mondiale a à l’œil les dépenses gouvernementales non budgétisées

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Fini le temps où le gouvernement mauricien pouvait se permettre de financer tous ses projets de développement majeurs en dehors du cadre budgétaire, sans se soucier d’un regard externe. L’exercice annuel de présentation du Budget sert justement à annoncer et à prévoir toutes les recettes et les dépenses de l’État.

Après le Fonds monétaire international (FMI), c’est au tour de la Banque mondiale (BM) de lancer une mise en garde diplomatique certes, mais ferme tout de même en direction du gouvernement pour lui dire que le recours à des mécanismes de financement tels que le Special Purpose Vehicle (SPV) peut être accepté mais dans des circonstances exceptionnelles et à condition que cela ne serve pas de prétexte pour s’éloigner des règles auxquelles les États sont obligés de souscrire, à savoir présenter leurs recettes et leurs dépenses dans le cadre conventionnel d’un exercice budgétaire. La mise en garde de la BM figure dans le rapport intitulé World Bank. 2021. Mauritius Country Economic Memorandum: Through the Eye of a Perfect Stormet don’t les copies sont digitalement arrivées à Maurice mercredi. Ce rapport est non seulement une autopsie de l’état de santé de l’économie nationale mais également de la philosophie qui anime les gestionnaires des fonds publics.

Cette mise en garde se trouve au quatrième chapitre du rapport intitulé Doing more with less, qui est également le quatrième défi que le pays doit relever selon la BM, après les trois autres ayant trait à l’obligation de déceler les opportunités d’attirer les investissements, la restauration du niveau de compétitivité du pays à l’étranger et le maintien de la politique de l’inclusion. C’est aux paragraphes 196 et 197 que la BM a publié ses reproches par rapport au nouveau style de financement du gouvernement, qui a agi comme certaines entreprises du privé, notamment RTKnits, en opérant en dehors du cadre conventionnel d’un budget. Sauf que les entreprises du privé qui procèdent ainsi disposent d’une réserve propre qui leur permet de financer des projets à n’importe quel moment de l’année et qu’un budget conventionnel n’est pas en mesure de prévoir.

La BM ne vient pas dire qu’il est strictement interdit d’avoir recours à des mécanismes qui ne sont pas directement connectés à un exercice budgétaire conventionnel. Elle dit qu’il est possible d’y recourir dans des circonstances exceptionnelles comme dans le cas de l’émergence de la pandémie du Covid-19. Mais elle manifeste son opposition lorsque cette opération est pratiquée dans le quotidien du mode d’administration des fonds publics, qui doivent obligatoirement et nécessairement passer par la présentation d’un Budget. La phrase qui résume l’embarras de la BM par rapport au mode de financement privilégié par le gouvernement ces temps derniers est celle-ci et se trouve au début du paragraphe 196 du rapport : «The increasing reliance on off-budget funds and Central Bank involvement in fiscal activities have weakened the effectiveness of public financial management.» Et de donner comme exemple le financement des travaux d’installation d’une ligne de métro léger, qui a été effectué par le truchement d’un SPV.

Pour la BM, recourir à ces mécanismes de financement en dehors du cadre budgétaire conventionnel comporte des risques, comme celui d’éprouver des difficultés à faire la démonstration que le recours à un tel mode de financement non conventionnel est une garantie de transparence. «Strengthening the key function of the budget and Medium-Term Fiscal Framework to plan and monitor public finances in a transparent manner will be critical for the government’s ability to manage the fiscal consolidation efforts ahead and make more efficient use of public resources.»

La mise en garde de la BM contre ce genre d’opérations est on ne peut plus claire.«While conceived as a one-off measure under unprecedented circumstances, the legal amendment to the Bank of MauritiusAct that enabled this transfer has yet to be reversed.» Autrement dit, à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles ; mais cela ne doit pas devenir une habitude. De ce fait, l’amendement de la Bank of Mauritius Act pour permettre un transfert de fonds de la Banque centrale au gouvernement ne doit pas avoir d’effet au-delà de la circonstance exceptionnelle qui l’a occasionnée.

Une question s’impose. L’État mauricien, qui est souverain, doit-il se soumettre aux suggestions ou directives de ces deux organisations, qui sont voisines à Washington DC, capitale des États-Unis et dont Maurice pourrait avoir besoin,vu que le FMI a placé la surveillance de la stabilité financière de Maurice sur la liste de ses objectifs et est en mesure d’évaluer l’économie dont les dérives pourraient contribuer à un retour aux dévaluations ? Celles-ci, qui avaient eu lieu dans les années 30, avaient abouti à une des plus graves crises financières mondiales. La BM a comme spécificité d’injecter des fonds pour le financement de projets.

Pour l’économiste Pierre Dinan, en tant qu’État souverain, il n’y a aucune obligation pouvant contraindre Maurice de suivre à la lettre les suggestions de ces deux organisations. Cependant, pour protéger sa réputation sur le plan international, ditil, l’État mauricien a intérêt à montrer au monde qu’il ne va pas persister à opérer un système de financement décrié par ces deux institutions. «Il ne faut pas oublier le fait que Moody’s et le monde des affaires ne vont pas rester insensibles aux observations faites par le FMI et la BM.» Moody’s est une agence de notation. Ses observations sont prises très au sérieux par les investisseurs. L’argument de Pierre Dinan repose sur le fait qu’un rapport défavorable de l’agence Moody’s ne va pas inciter les investisseurs potentiels à opter pour la destination mauricienne.

Jaya Patten, ex-haut cadre de la Banque centrale et directeur de Jaya Advisory Financial Markets Risks and Governance, estime que l’utilisation des SPV et d’autres types de fonds fait partie de la palette de structuration. «Ce qui importe, c’est la gouvernance. Les passifs publics doivent être reconnus, enregistrés et les risques gérés et communiqués dans la transparence.» Il soutient que l’utilisation des fonds de la BoM pour créer la MIC est une bonne idée. «Cependant, la BoM devrait donner le bon exemple en coupant les liens avec la MIC et en établissant un fonds souverain. L’entité doit avoir un mandat clair d’investissement et de gestion des risques, y compris une solide infrastructure de gouvernance et de surveillance.»

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