Mathieu Olivier
Africa-Press – Niger. Trois ans seulement séparent les prises de pouvoir d’Assimi Goïta et d’Abourahamane Tiani. Un monde au regard de l’évolution du Sahel. Le temps, surtout, d’un apprentissage : celui du putschisme moderne, que le Nigérien applique à grande vitesse.
Le ton est martial, surtout pour un diplomate tel que Bakary Yaou Sangaré. Certes, ce dernier, ministre des Affaires étrangères de la junte nigérienne du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), « présente ses compliments au Secrétariat général des Nations unies ». Mais il lui annonce surtout qu’il a fait le choix « d’ordonner à l’ambassadeur, coordonnateur résident du système des Nations unies, Son Excellence Louise Aubin, de prendre toutes les dispositions pour quitter Niamey sous 72 heures ». Bakary Yaou Sangaré n’a visiblement pas digéré les dernières semaines.
Le diplomate, ancien représentant du Niger à New York, les a passées à arpenter les couloirs des institutions internationales et, surtout, à regarder les portes se fermer devant lui. À l’ONU, lors de l’Assemblée générale de septembre, il a échoué à prendre la parole au nom de son pays, les Nations unies se refusant à reconnaître l’autorité du CNSP. Puis, l’histoire s’est répétée à Vienne, lors de la conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et à Riyad, au congrès extraordinaire de l’Union postale universelle.
« Manœuvres sournoises »
Bakary Yaou Sangaré a noté, dit-il, « avec stupéfaction », « les manœuvres sournoises que le secrétariat général des Nations unies continue d’orchestrer » pour le réduire, ainsi que le CNSP, au silence. Et ce, ajoute-t-il, « sous l’instigation de la France ». Après avoir poussé au départ de l’ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, la junte a donc décidé de demander l’expulsion du représentant de l’ONU en terres nigériennes. Elle réitère toutefois, dans son courrier daté du 10 octobre, « les assurances de sa haute considération » au secrétariat général de l’ONU.
Pouvait-il en être autrement ? Depuis sa prise de pouvoir, Abdourahamane Tiani semble appliquer à marche forcée un agenda putschiste déjà observé chez ses voisins maliens et burkinabè. Surtout axé sur la dénonciation de tout rapport avec la France – et par extension l’ONU, considérée comme un prolongement de la malveillance de Paris –, cet agenda fait même figure de principal programme politique du CNSP. Menacé par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – elle aussi présentée comme un bras armé de la France –, ce dernier y trouve une opportunité d’unité.
« Sans les menaces de la Cedeao et de la France, le CNSP aurait déjà implosé », nous confiait il y a peu un cacique de la politique nigérienne. Aussi Tiani joue-t-il cette carte à fond. Il a demandé le départ de la représentante de l’ONU deux mois et demi après son putsch, là où le Malien Assimi Goïta avait attendu deux ans et demi pour exiger le départ de la Minusma. Tiani a aussi ordonné l’expulsion de l’ambassadeur de France après moins d’un mois de pouvoir, contre un an et demi pour son homologue malien et trois mois pour le Burkinabè Ibrahim Traoré.
Marche forcée nigérienne
Autre signe de l’apprentissage accéléré du putschisme sahélien moderne : la dénonciation des accords de défense avec la France. Assimi Goïta a signifié la rupture militaire avec Paris au bout d’un an et demi de pouvoir (et d’escalade). Ibrahim Traoré l’a devancé en n’attendant que cinq mois. Mais Abdourahamane Tiani a appliqué la méthode, tout en profitant de la mobilisation antifrançaise – qui ne révèle certes pas que d’une instrumentalisation politique –, beaucoup plus rapidement : il a dénoncé les accords militaires avec Paris dès le 3 août, seulement huit jours après le début du coup d’État.
Dernier symbole, puisque les juntes sahéliennes ont elles-mêmes décidé d’élever Jeune Afrique à ce rang : la liberté de la presse et la relation avec les journalistes de notre rédaction. L’un de nos reporters a été expulsé du Mali en février 2022, soit un an et demi après la prise de pouvoir d’Assimi Goïta. Ibrahim Traoré a, lui, décidé d’interdire Jeune Afrique au Burkina Faso le 25 septembre dernier, un peu moins d’un an après son propre putsch à Ouagadougou. Les nouvelles autorités nigériennes se sont, quant à elles, pour le moment, contentées de se plaindre d’un prétendu « manque d’objectivité » de notre part.
Avant le putsch nigérien, l’ONG Reporters sans frontières s’était inquiétée de ce que le Sahel soit devenu la zone de non-information la plus importante d’Afrique, sous l’impulsion de régimes malien et burkinabè favorisant « un journalisme aux ordres ». Abdourahamane Tiani suivra-t-il là aussi le manuel de l’alliance putschiste sahélienne ? Début octobre, sa junte a en tout cas ordonné la détention au secret pendant de longues journées de la journaliste Samira Sabou, coupable sans doute d’avoir relayé des propos de Mohamed Bazoum, déchu et détenu depuis le 26 juillet dernier. Cela a sonné comme un avertissement.
Source: JeuneAfrique
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