Africa-Press – Niger. Dans le débat sur la dégradation des sols, le continent africain n’est pas en reste avec un double défi à relever: nourrir la population et préserver l’environnement.
Le constat est terrible. Une personne sur cinq souffre de la faim en Afrique, selon l’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La dégradation, observée après des années d’amélioration, est due à une succession de crises. Sanitaire d’abord, avec la pandémie du Covid, qui a désorganisé les circuits d’approvisionnement, puis le conflit entre la Russie et l’Ukraine, qui a créé des pénuries, fait flamber les prix des engrais et de l’énergie, et enfin, l’inflation qui en résulte et pousse le prix des biens alimentaires au plus haut. Dans les zones de conflits, la faim est toujours utilisée comme une arme et ce sont les plus pauvres qui en sont les premières victimes. Si rien n’est fait pour améliorer la souveraineté alimentaire du continent, dans un contexte de forte croissance démographie, les perspectives vont s’assombrir.
Comment relever ce défi, tout en respectant l’environnement ? Le Centre international de recherche agricole et de développement (Cirad) et l’Agence française de développement (AFD) ont exposé des pistes de solutions à l’occasion de la 60e édition du Salon international de l’agriculture (SIA) à Paris. Le défi est de taille, et partout dans le monde, la prise de conscience sur les limites du mode de production intensif déployé depuis les années 1950 est réelle.
Un constat et la recherche d’un modèle
Bertrand Walckenaer, directeur général adjoint de l’AFD, a proposé une nouvelle imagerie pour le Salon de l’agriculture. Fini la star, la belle blonde d’Aquitaine ou la normande de cette année, des races de vache prisées. Il propose le ver de terre, gage de bonne santé du sol. Il insiste sur la complexité des sols, de l’importance de la recherche fondamentale et appliquée pour des pratiques et techniques agricoles adaptées. Pour se former « un mètre de sol, de terre, il faut 40 000 ans », assène-t-il. Vertigineux quand on observe l’érosion mais aussi la dégradation des terres due à un modèle agricole qui a tout misé sur le productivisme. Pour autant, « la restauration des terres est possible », veut-il croire en citant l’exemple de la République dominicaine. Cela a pris 25 ans et la plantation de 80 millions d’arbres qui ont participé à la reconstitution organique des sols. « La fertilisation et la restauration impliquent un projet de territoire et un consensus autour des transformations de techniques agricoles qui permettent d’introduire les principes de l’agroécologie pour prendre soin des sols », ajoute-t-il en évoquant un projet au Bénin. Pour ce projet, l’AFD et le Cirad travaillent avec 17 000 agriculteurs, afin de les accompagner dans ces nouvelles pratiques.
Faire avec une productivité plus faible
Spécificité des sols africains, des phénomènes d’érosion très importants, des taux d’acidité plus élevés. Les intervenants ont pointé la faible utilisation des engrais, comme facteur limitant la production agricole. En Afrique subsaharienne, seulement 20 kg par hectare et par an d’engrais minéraux sont épandus contre 10 à 20 fois plus en Europe, ce qui ne permet pas de compenser les pertes en éléments minéraux du sol liées à la production ou à l’érosion.
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a pour ambition de soutenir l’agriculture familiale pour améliorer la sécurité alimentaire, mais observe sa faible productivité liée à la faible utilisation d’engrais et à des sols dégradés. L’Afrique de l’Ouest a été particulièrement impactée par la hausse des prix des engrais depuis 2020. À l’exception des cultures de rente, les engrais ne sont que peu utilisés, notamment dans la culture vivrière et familiale en Afrique. En 2023, la Cedeao s’est fixé une feuille de route: combiner l’usage des engrais tout en mettant l’accent sur la santé des sols.
Tantely Razafimbelo, agro-podologue de l’université d’Antananarivo, a insisté sur la faible fertilité des sols africains due à la faible teneur en nutriments, en carbone et leur sensibilité à l’érosion. L’amélioration de la qualité des sols peut passer par la diversité végétale des plantations, la réduction du travail du sol et l’apport de la fertilisation (minérale, chimique, organique). Si l’apport en engrais phosphaté permet d’améliorer les rendements, elle montre aussi que cette hausse n’est pas linéaire. Il existe un seuil au-delà duquel l’apport en phosphate n’entraîne pas de hausse de rendement, mais aussi d’un effet d’apport cumulatif d’engrais à prendre en compte. Si l’utilisation d’engrais NPK peut favoriser la pullulation de maladies comme la périculariose, un champignon du riz, un apport de NPK est beaucoup plus efficient combiné avec de la fumure. Parmi les différentes expériences menées, elle explique que « l’introduction de ver de terre directement dans les champs pendant 3 ans a permis une augmentation de 40 % du rendement ». Son exposé a permis de toucher du doigt la complexité du sujet et d’esquisser des pistes pour améliorer la qualité des sols et les rendements. « Dans un contexte de changement climatique qu’il faudra prendre en compte, il faut co-construire les pratiques avec les agriculteurs, les principaux concernés et diffuser les connaissances encore trop peu connues », conclut-elle.
L’agroécologie, l’avenir pour l’Afrique ?
Gatien Falconnier, chercheur agronome au Cirad, a de son côté mis en avant le fait que la sécurité alimentaire en Afrique passe par l’usage des engrais minéraux et de l’agroécologie. « En revanche, les agriculteurs doivent bénéficier d’aides et d’incitations. Ils ne peuvent pas être les seuls à prendre en charge ce coût de l’agroécologie, coût en terre, main-d’œuvre, et trésorerie alors qu’elle est bénéfique pour l’environnement et la société », a-t-il souligné.
Les intervenants ont rappelé l’imminence du prochain sommet africain sur les engrais et la santé des sols se tiendra au Kenya du 7 au 9 mai 2024. « Ce sommet délibérera sur le récent déclin généralisé de la qualité des sols des terres agricoles en Afrique », indique l’Union africaine. Quinze ans après la déclaration d’Abuja, le discours sur l’agriculture en Afrique a considérablement évolué. En juin 2006, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) ont approuvé la déclaration d’Abuja sur les engrais pour la révolution verte en Afrique, avec un objectif de 50 kg d’éléments nutritifs par hectare. Désormais, tous reconnaissent le rôle essentiel de la gestion durable des sols. « Le déclin de la santé des sols a entravé l’efficacité de l’utilisation des engrais, la productivité agricole, la sécurité alimentaire et la durabilité environnementale sur tout le continent. Ce sommet aura pour objectif de se pencher sur l’état de santé des sols en Afrique afin de déployer des stratégies adaptées », détaille l’UA.
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