Droit des affaires : comment les cabinets africains poursuivent leur ascension

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Droit des affaires : comment les cabinets africains poursuivent leur ascension
Droit des affaires : comment les cabinets africains poursuivent leur ascension

Delphine Iweins

Africa-Press – Niger. De l’Algérie à la RDC en passant par la Côte d’Ivoire, les cabinets locaux taillent des croupières aux grands cabinets basés à Londres ou Paris… tout en s’associant avec eux quand c’est mutuellement bénéfique.

Après le Maghreb, la République démocratique du Congo (RDC) et la Côte d’Ivoire, le cabinet Bennani & Associés, premier du classement African Law Firms Powerlist 2023 de Africa Business + (dont la prochaine édition sera publiée le 1er juillet), annonçait, en mai dernier, poursuivre son essor sur le continent en s’installant au Cameroun et au Rwanda.

De son côté, la structure panafricaine ADNA (2e du même classement) renforçait sa pratique immobilière avec l’arrivée de Youssef Benamar en tant qu’associé, déployant ainsi une connaissance approfondie du marché nord et ouest-africain. « Nous souhaitons positionner ADNA comme le leader du droit immobilier en Afrique du Nord et de l’Ouest, en s’appuyant sur une expertise locale de premier plan conçue pour répondre précisément aux exigences des grands investisseurs du secteur », précisait-il lors de l’annonce de son arrivée, en mars. Quelques mois plus tôt, c’est le franco-marocain Gauvin & Raji Avocats qui ouvrait un bureau en République démocratique du Congo.

Les cabinets africains seraient-ils en train de prendre le pouvoir sur le marché du droit des affaires continental ? Ils entendent, en tout cas, ne plus être cantonnés à jouer les petites mains au sein des opérations clés. Preuve en est du divorce entre Coca-Cola et Castel, mené en Algérie par les cabinets ADNA et Loucif & Co. Ou du mégaprojet de fer guinéen Simandou, dont ADNA et Thiam & Associés sont des acteurs majeurs.

Une progression constante

En Algérie justement, le marché des professionnels du droit s’est transformé ces dix dernières années. D’abord monopolisée par les cabinets français comme Gide Loyrette Nouel, LPA-CGR et CMS Francis Lefebvre, la partie de conseils en droit des affaires s’est développée et extravertie.

Formés par les grands cabinets, des avocats locaux ont créé leurs propres structures puis sont partis à l’assaut du continent, en particulier de l’Afrique centrale. D’autres encore ont fait le choix de former des partenariats forts avec des cabinets anglo-saxons. C’est le cas notamment de L&P Partners, relais de l’international DLA Piper dans la région.

Ainsi, l’avocat guinéen Baba Hady Thiam, passé chez Gide et qui a créé son propre cabinet Thiam & Associés en 2017, était en 2023 à la 19e place du classement des avocats les plus influents d’Afrique francophone, 100 Legal Powerlist (de notre confrère Africa Business+, membre du groupe Jeune Afrique), et également le premier africain appartenant à un cabinet « local ». Tandis que seize autres seulement apparaissaient parmi les 100 premiers. Toutefois, la progression est constante. Et le nouveau classement 2024, qui sera dévoilé cette semaine, signe la percée en cours avec deux Africains membres de cabinets « locaux » dans le TOP20 dont un dans le TOP5.

« Les cabinets internationaux ont besoin de nous »

Si l’offre « africaine » augmente, la place de Paris demeure, cependant, incontournable. La récente création du cabinet Stork Avocats par l’ancien associé de Gide, Nicolas Jean et l’absorption du cabinet M&A de Julien Baubigeat par Asafo & Co, en témoignent. « Il faudra du temps pour qu’un avocat africain fasse véritablement le poids face à des avocats internationaux », considère David Etah Akoh, managing partner du cabinet Etah-Nan & Co.

En effet, pour les affaires réparties entre différentes juridictions, les investisseurs étrangers continuent de privilégier les cabinets basés à Londres ou Paris. « Sur ce type de dossier, les multinationales privilégient les cabinets internationaux. Quand bien même ils connaissent des avocats camerounais compétents… », regrette l’avocat.

Bien souvent, pour survivre, les cabinets africains francophones s’attachent à tisser des liens étroits avec les firmes françaises et internationales. Privilégiant les relations de bonne intelligence à la compétition frontale. « Nous ne sommes pas des concurrents. Les cabinets internationaux ont besoin de nous pour clore un deal », confirme Edem Zotchi, avocat au barreau du Togo, associé du cabinet Martial Akakpo & Associés, qui est lui-même intervenu sur la conception, le financement, la construction et la mise en service de la centrale électrique Kékéli Efficent Power avec le cabinet Orrick.

Au Cameroun aussi, « le cabinet international a besoin d’un avocat local pour faire des transactions », précise David Etah Akoh, qui collabore notamment avec Hogan Lovells pour le financement d’exportations et a travaillé récemment avec le géant Baker McKenzie pour le financement d’un grand projet routier au Cameroun. D’autant que le marché camerounais n’est pas suffisamment attractif pour qu’un cabinet international s’y installe. Comme le sont la plupart des marchés en Afrique centrale.

Mais la compétence est une autre raison majeure de ces mariages. Ce que reconnaît volontiers Nicolas Jean, 6e du classement 100 Legal Powerlist en 2023. S’il était l’un de ceux à l’origine de l’alliance du cabinet Gide avec le sudafricain Bowmans, qui a permis d’étendre l’empreinte africaine des deux entités, il le souligne: « Avec Stork Avocats, je développe des relations bilatérales avec des cabinets africains davantage pour l’expertise qu’ils offrent que pour les pays qu’ils couvrent. »

Construire un réseau « de best friends »

Dans de nombreux pays Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), la pratique du droit des affaires reste toutefois peu développée, et seul l’exercice du contentieux est exclusivement réservé aux avocats locaux. « Au Togo par exemple, regrette David Etah Akoh, le barreau ne forme pas les avocats locaux aux gros deals. » Cependant, si l’investissement est national, opter pour un professionnel du droit local demeure un atout. Encore faut-il avoir la réputation suffisante…

C’est notamment l’un des intérêts d’appartenir d’une association regroupant des cabinets africains indépendants comme l’Alliance Lex Africa ou l’African Business Law Firms Association (ABLFA). Qui outre la construction d’un réseau, permette d’échanger sur les bonnes pratiques. « Il est important de se faire connaître à l’international et de participer à des colloques internationaux… Construire des réseaux de best friends est un travail de longue haleine », insiste Edem Zotchi du cabinet togolais Martial Akakpo & Associés (9e du classement African Law Firms Powerlist 2023). Rym Loucif, fondatrice du cabinet Loucif & Co, concourent: « Les recommandations des confrères étrangers sont fréquentes et ont une influence certaine. On ne peut pas le négliger. »

Protéger les avocats locaux

Pour participer à cet essor, certains pays ont décidé de favoriser leurs avocats et/ou de les protéger de la concurrence par des règles déontologiques et législatives. Les avocats togolais, par exemple, peuvent ainsi exercer au Bénin ou en Côte d’Ivoire sans avoir à s’inscrire à plusieurs barreaux.

Au Nigeria, il y a encore peu, la défense des acteurs économiques des secteurs stratégiques comme l’énergie, le pétrole, la banque, l’assurance était strictement assurée par des avocats locaux. Mais depuis le 13 février dernier, les règles ont changé à la suite de l’accord signé entre la ministre nigériane du Commerce, Doris Nkiruka Uzoka-Anite, et la secrétaire d’État britannique aux Affaires et au Commerce, Kemi Badenoch. Celui-ci encourage les investissements et abaisse les barrières commerciales dans quatorze secteurs de l’économie des deux pays et il autorise, en même temps, les avocats britanniques à pratiquer le droit dans ces industries. De quoi inquiéter les robes noires du pays…

La menace des firmes étrangères géantes

En Afrique anglophone, les cabinets sont depuis longtemps structurés à l’image de leurs pairs internationaux et proposent le même type de services. ENSafrica, plus grand cabinet du continent, regroupe ainsi une quinzaine d’avocats rien que sur le droit minier.

Basé en Afrique du Sud, il compte au total près de 600 praticiens. Tout le droit des affaires y est traité – du droit fiscal au droit commercial, en passant par le droit social – pour des clients locaux et internationaux comme LafargeHolcim, Nestlé, Edcom, Deutsche Securities et VS Hydro Africa.

L’Afrique du Sud a su rendre son propre marché du droit compétitif et faire émerger de puissants acteurs locaux. Cliffe Dekker Hofmeyr ou Bowmans n’ont ainsi rien à envier aux géants mondiaux présents dans la région tels qu’Herbert Smith Freehills, DLA Piper ou Eversheds.

Mais une autre tendance pourrait venir rebattre les cartes: les fusions géantes. En mai dernier, le mariage entre Shearman Sterling et Allen & Overy a ainsi donné naissance à un nouveau mastodonte nommé A&O Shearman, représentant quelque 4 000 avocats à travers le monde. Et l’Afrique ne fait pas exception: la firme y est présente de Casablanca à Johannesburg.

Source: JeuneAfrique

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