Matteo Maillard
Africa-Press – Niger. En deux ans, la capitale française est devenue le refuge de nombreux exilés maliens, burkinabè et nigériens, réfugiés politiques des trois pays composant l’Alliance des États du Sahel (AES). Menacés d’incarcération, parfois de mort, pour leurs positions pro-démocratiques ou leurs critiques des juntes au pouvoir, ces femmes et ces hommes se sont réunis le 29 janvier près de l’Arc de triomphe, jour de la sortie de leurs trois pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest Cedeao. Ils ont prononcé « La déclaration de Paris »: un appel contestant l’arrivée au pouvoir des militaires, exigeant la libération de leurs camarades activistes ou journalistes et alertant sur les risques encourus par les populations face à la progression des groupes terroristes au Sahel.
Parmi les initiateurs de l’appel, on retrouve, côté malien, Ismaël Sacko, fondateur du Parti social-démocrate africain (PSDA), ancien chargé de mission sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta. L’aile nigérienne est représentée par Amoumoune Haidara, secrétaire général du collectif pour la libération du président Mohamed Bazoum et secrétaire général de l’Alliance des démocrates africains. Le trio est complété par Newton Ahmed Barry, journaliste, ancien président de la commission électorale du Burkina Faso et, à ce titre, organisateur des dernières élections démocratiques du pays en 2020. Il a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique: Le 29 janvier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont acté leur sortie de la Cedeao. Quels risques cette décision fait-elle encourir à ces trois pays ?
Newton Ahmed Barry: Cette sortie de la Cedeao, c’est un vrai crève-cœur. Il y a une sorte de cynisme des juntes, qui ont exploité, avec cet événement, l’ignorance des populations. Il n’y a pas de réel projet autour de ce départ. Le seul but est celui de la conservation du pouvoir. Ces pays partent parce qu’ils ont refusé de se soumettre au protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance. Ils ne veulent plus subir l’injonction à organiser des élections.
Mais ils se sont jetés dans l’aventure AES sans n’avoir rien préparé. Ils ne sont pas structurellement interdépendants, ce sont des économies qui produisent à peu près la même chose et qui n’ont de relations commerciales qu’avec les autres pays de la Cedeao. Ce sont aussi des pays enclavés, donc avec des économies très fragiles. Cette sortie de la Cedeao va créer une situation extrêmement complexe pour tous les Sahéliens qui dépendent des échanges commerciaux avec les pays côtiers, ceux, par exemple, qui travaillent en Côte d’Ivoire ou au Bénin. Aujourd’hui, nous sommes face à une cassure dont on ne sait pas comment elle va être réparée. Notre vivre ensemble est remis en question par des juntes qui n’ont réfléchi à rien.
Cette décision semble être une aventure plus politique qu’économique. L’AES quitte la Cedeao mais reste dans l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), conservant donc le franc CFA comme monnaie. Comment l’expliquer ?
En se mettant en marge de la Cedeao, les pays de l’AES se retrouvent à vouloir gérer entre eux la problématique du terrorisme qu’ils n’ont pourtant pas réussi à gérer individuellement.
C’est tout le paradoxe. L’un des griefs qui est fait à la Cedeao est que cette organisation n’est pas souveraine, qu’elle dépend des pays occidentaux, qu’elle est victime de leur impérialisme, et notamment de celui des Français. En suivant cette logique, ils auraient dû sortir de l’Uemoa, qui constitue un regroupement des anciennes colonies de la France et ont en commun l’utilisation du franc CFA, héritage de la colonisation qui maintient ce cordon ombilical qu’ils prétendent couper. Cette contradiction est bien la preuve que leur départ est uniquement motivé par cette volonté de ne pas être soumis au protocole additionnel de la Cedeao qui les forcerait à organiser des élections.
Ce départ pose-t-il aussi un risque sécuritaire ?
Ce qui est dramatique, c’est que ces trois pays sont aussi ceux qui sont le plus affectés par le terrorisme. En se mettant en marge de la Cedeao, ils se retrouvent entre eux à vouloir gérer une problématique qu’ils n’ont pourtant pas réussi à gérer individuellement. Le Mali n’a jamais pu trouver une solution à la question terroriste, qui s’est ensuite propagée aux autres pays. En choisissant de s’isoler des autres, ils se mettent dans une situation extrêmement difficile. Ils n’ont aujourd’hui que la Russie vers qui se tourner et, on le voit, après l’Ukraine et la Syrie, Moscou n’a plus les moyens de les aider.
Quel bilan tirez-vous du partenariat sécuritaire russo-sahélien ?
Depuis l’arrivée des Russes, le phénomène terroriste progresse. Aujourd’hui, le territoire burkinabè est en grande partie sous contrôle des groupes armés. L’État se contente de contrôler des enclaves, entrecoupées par des blocus jihadistes. Donc oui, ce départ est aussi une dangereuse aventure sécuritaire qui posera énormément de problèmes. Je ne vois pas comment, sur la durée, des pays qui décident de vivre en autarcie sur des ressources mal exploitées peuvent faire face à une économie de guerre qui coûte très cher. Nos pays ont fait un choix suicidaire.
Les soutiens d’Ibrahim Traoré aiment à comparer son régime à celui de Thomas Sankara. Cette comparaison vous paraît-elle pertinente ?
C’est Ibrahim Traoré lui-même qui s’est autoproclamé réincarnation de Thomas Sankara. Il se croit doté de la mission messianique de parachever son œuvre. Dans un premier temps, il a décidé de se protéger de la France et du voisin ivoirien qui sont, pour beaucoup, les assassins de Sankara. Puis, il a voulu museler ou neutraliser les voix critiques de son action pour éviter qu’émerge un Blaise Compaoré.
S’il avait eu des résultats immédiats sur le front de la lutte contre le terrorisme, on aurait pu en rester là. Sauf que les résultats ne suivent pas et il voit bien qu’il est épié par des yeux inquiets. Il ne lui restait qu’une solution: durcir son régime, devenir méchant, montrer que, contrairement à Sankara, il n’aura pas pitié. C’est le propre des régimes qui se posent en messie. Quand ils se découvrent incapables de faire face, ils se transforment en tyrans et se protègent en instillant la terreur. Bien évidemment, se réincarner en faux Sankara reste la meilleure carte de visite pour qui veut se faire bien voir dans l’opinion néo-panafricaine, auprès notamment de ceux que l’on appelle parfois « les panafricons » et qui ont trouvé le moyen de se faire de l’argent sur le dos de la cause africaine.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à l’exil ?
Cela fait plus de deux ans que je suis exilé en France. La raison, c’est le triptyque que nous impose la junte: lorsque vous n’êtes pas d’accord avec elle, vous avez le choix entre l’exil, la prison ou le front, et donc la mort. Comme j’ai refusé la gouvernance militaire, ils ont considéré que j’étais un ennemi du Burkina, une personne à abattre. Il a fallu que je parte pour préserver ma vie. Mais je suis loin d’être le seul. Aujourd’hui, tous les journalistes critiques sont obligés de s’exiler.
Jusque-là, on a eu affaire à des régimes militaires qui avaient un mode de fonctionnement dont on comprenait la teneur et les limites. Ce n’est pas le cas avec le régime d’Ibrahim Traoré.
Mais certains n’ont pas réussi. J’ai une pensée émue pour Atiana Serge Oulon, l’ancien directeur de publication de L’Événement, qui a été aussi mon journal: il a été enlevé par les militaires en juillet dernier et on n’a plus de nouvelles. Adama Bayala excellent chroniqueur du journal de BF1, a été incarcéré. Le doyen Seré Kalifara, analyste politique qui animait des chroniques critiques et lucides, a été enlevé et envoyé au front. Je pense aussi aux jeunes du Balai citoyen, qui sont actuellement détenus, à l’avocat Guy Hervé Kam, mais aussi à Alain, jeune chroniqueur humoriste de radio… Sans oublier les centaines d’officiers et de sous-officiers qui croupissent dans les prisons parce qu’ils ont osé dire non.
Au Burkina Faso, la liberté d’expression est-elle donc moins respectée que dans les autres pays de l’AES ?
Nous sommes dans un pays qui, pour la première fois, ressemble trait pour trait à la Corée du Nord, avec tous les avatars que vous pouvez imaginer: les partis politiques ne peuvent pas parler, la société civile n’existe pratiquement plus. Depuis qu’Ibrahim Traoré a pris le pouvoir, aucune formation n’a fait de déclaration. Des trois pays, nous sommes le seul dans ce cas. Au Mali, les partis politiques continuent de mener des activités, difficilement certes, mais tout de même. Au Niger, on entend parfois des syndicats faire des déclarations. Au Burkina Faso, toute prise de parole est interdite, sauf lorsque vous voulez faire l’apologie d’Ibrahim Traoré.
Le régime d’Ibrahim Traoré serait-il plus radical que les autres ?
Le plus radical, mais aussi le plus tyrannique. C’est un régime dont on ne connait pas les ressorts véritables. Parce que jusque-là, on a eu affaire à des régimes militaires qui avaient un mode de fonctionnement dont on comprenait la teneur et les limites. Ce n’est pas le cas avec ce régime-là. Dans notre pays, on a connu et chéri la liberté pendant des décennies. Aujourd’hui, les journaux sont obligés d’attendre que le directeur de communication de la présidence écrive son papier pour le publier. Ils ne sont plus autorisés à rendre compte des faits et gestes du gouvernement. C’est au-delà de tout ce que l’on peut penser.
La liberté d’expression est notamment muselée au moyen d’un puissant appareil de propagande qui mêle désinformation et répression. Comment expliquez-vous qu’un tel instrument a pu se mettre en place si rapidement ?
C’est facile, à partir du moment où vous avez un partenaire comme la Russie qui met à la disposition des régimes tout son savoir-faire en matière de propagande. Ils ont utilisé les réseaux sociaux et des acteurs locaux pour s’immiscer dans les failles et les susceptibilités de la société burkinabè. Moi-même, tous les jours que Dieu fait, je reçois des menaces de mort. Même ici en France, j’ai dû prendre des dispositions pour ma sécurité et celle de ma famille.
Source: JeuneAfrique
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