Africa-Press – Niger. Nice s’apprête à accueillir, en juin prochain, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan. Pour les diplomates, il s’agira d’un sommet parmi d’autres. Pour les scientifiques, les pêcheurs, les industriels et les États côtiers, il représente une dernière chance: celle d’éviter qu’à l’horizon 2030, les océans ne soient vidés de leur promesse nourricière. La conférence, co-organisée par la France et le Costa Rica, s’inscrit dans la dynamique de la « Décennie des Nations unies pour l’océan » et promet d’être le théâtre de déclarations ambitieuses sur la protection de la haute mer, la lutte contre la pollution plastique et le financement de l’économie bleue.
Nice intervient dans un contexte de fatigue halieutique: les stocks de petits pélagiques, en particulier la sardine et la sardinelle, sont en chute libre sur plusieurs façades. Les engagements pris lors du sommet de Lisbonne en 2022 ont peu freiné la course au filet. Or les signaux sont partout: effondrement des prises artisanales au Sénégal, raréfaction de certaines espèces, apparition de conflits entre pêcheurs locaux et navires industriels. Nice ne pourra plus se permettre d’en rester à des déclarations d’intention: les pays africains attendent des mécanismes concrets, contraignants et financés.
L’Atlantique africain sous pression: surpêche, climat et bataille des pavillons
Le cas du Sénégal est emblématique d’un modèle à bout de souffle. En à peine deux décennies, les captures artisanales de sardines y ont chuté de près de 90 %, passant de plus de 60 000 tonnes en 1994 à moins de 7500 tonnes en 2017. Ce déclin spectaculaire s’explique par une pression de pêche excessive, mais aussi par un déplacement des bancs de poissons dû aux effets du changement climatique. Le réchauffement de la surface des eaux et la modification des courants ont repoussé les zones de reproduction plus au nord, hors de portée des embarcations artisanales. À cette double contrainte écologique et climatique s’ajoute une compétition féroce entre les flottes locales et les armements étrangers, notamment européens, russes et chinois. Ces derniers, bien qu’opérant souvent dans un cadre légal, accentuent la pression sur une ressource déjà surutilisée.
L’Afrique de l’Ouest, où 34 % des stocks halieutiques sont aujourd’hui surexploités, est devenue l’un des théâtres les plus préoccupants de cette guerre des filets. Sans coordination régionale, sans mécanismes de transparence sur les captures, sans harmonisation des zones interdites, la tendance actuelle pourrait mener à l’épuisement irréversible des ressources d’ici une décennie. Or les tentatives de coopération régionale sont restées timides, faute de leadership, de moyens et de volonté politique. Les scientifiques réunis récemment par l’Ifremer ou la FAO sont pourtant unanimes: une gestion collective des stocks, accompagnée de mesures fortes comme des moratoires saisonniers ou des quotas partagés, pourrait encore éviter le pire. Mais les intérêts divergents, les urgences économiques des États et la complexité géopolitique de la façade atlantique rendent l’équation redoutable. Et dans ce paysage fragmenté, un acteur attire désormais toutes les attentions: le Maroc.
Le Maroc, entre leadership halieutique et équation sensible
Depuis deux décennies, le Maroc a investi massivement dans le développement de son économie bleue, au point de devenir une puissance halieutique régionale. Les zones du Sahara, notamment Laâyoune, Boujdour et Dakhla, concentrent désormais plus de 80 % des volumes nationaux débarqués. Ce chiffre, publié récemment par le journal La Vie Éco, souligne à quel point le Royaume a fait de son littoral saharien le cœur battant de sa filière maritime. À Dakhla, on trouve un écosystème complet: navires réfrigérés, usines de transformation, zones de débarquement modernes, plateformes logistiques et un tissu de PME exportatrices. Près de 14 000 emplois directs en dépendent, sans compter les milliers d’emplois indirects dans le transport, la manutention et la logistique.
Mais cette réussite économique se heurte à une double vulnérabilité. D’un côté, la raréfaction des ressources devient palpable: les captures pélagiques ont chuté de 25 % au premier trimestre 2025, et de nombreux observateurs évoquent une tension croissante sur les bancs de sardines et de maquereaux. De l’autre, le spectre d’une crise commerciale avec l’Union européenne plane sur le secteur. Depuis l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne en 2024 remettant en cause l’extension des accords de pêche aux eaux du Sahara, Rabat redoute une possible taxation des exportations de produits halieutiques vers le marché européen. Une telle décision, attendue pour l’automne, pourrait anéantir les marges des industriels et provoquer une onde de choc sur l’ensemble de la filière. À cette équation économique et juridique s’ajoute une question de fond: le Maroc, qui autorise encore la pêche dans la zone des six milles nautiques – là où se reproduisent nombre d’espèces pélagiques sur un plateau continental peu profond – doit-il continuer sur cette voie?
Certains experts plaident pour un moratoire temporaire, comme l’a fait la Mauritanie, afin de permettre la régénération des stocks. D’autres estiment qu’un tel geste unilatéral serait trop coûteux si la région ne suit pas. Pourtant, l’effet d’entraînement que pourrait provoquer une décision marocaine à Nice est bien réel: Rabat, par sa capacité de transformation, son poids exportateur et son expertise réglementaire, est le seul pays de la façade ouest-africaine à pouvoir imposer un nouveau standard.
Nice sera donc bien plus qu’un sommet de plus dans l’agenda diplomatique. Pour l’Afrique atlantique, c’est peut-être la dernière occasion de reprendre le contrôle de son destin halieutique.
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