Africa-Press – Niger. Des éclairs, on connaît les effets ravageurs: sur les corps, les arbres, les habitations… On n’ignore rien de leur nature: un courant électrique fulgurant, atteignant parfois des centaines de milliers d’ampères — à comparer aux 0,5 ampère d’une prise domestique — qui jaillit du nuage vers le sol, ou se propage entre nuages, ou encore remonte du sol vers le ciel. Mais étrangement, ce que l’on comprenait moins, c’est son déclenchement.
Qu’est-ce qui initie cette décharge brutale dans l’atmosphère, au cœur des imposants nuages d’orage, les cumulonimbus? Une étude dirigée par Victor Pasko, chercheur à la Penn State University (États-Unis), parue le 28 juillet 2025 dans la revue Journal of Geophysical Research, propose pour la première fois un scénario complet. Un modèle capable non seulement d’expliquer le contexte électrique du phénomène, mais aussi toutes ses manifestations, visibles et invisibles. Car un éclair, ce n’est pas qu’un flash de lumière et un coup de tonnerre: c’est aussi un déluge de signaux radios, de rayons X, et même de flashs de rayons gamma ultra-énergétiques. Et tout cela en quelques microsecondes à peine…
L’énigme du « champ de claquage » trop faible
En théorie, la foudre apparaît lorsque le champ électrique entre deux points (le nuage et le sol par exemple) devient suffisamment intense pour favoriser une décharge. Mais il faut d’abord que localement, à l’endroit de l’initiation de l’éclair, l’amplitude du champ électrique devienne plus grand que le champ de claquage. Un échange de charges électriques, des électrons, a alors lieu pour rééquilibrer l’ensemble: c’est l’éclair.
« Le problème, souligne pour Sciences et Avenir Sebastien Célestin, professeur de physique à l’Université d’Orléans et coauteur de l’étude, c’est que les champs électriques à l’intérieur des nuages d’orages ne semblent pas assez intenses pour déclencher des éclairs. La valeur du champ de claquage est de 30 kV/cm dans un air sec homogène. Or, nous avons des éclairs pour des champs bien plus faibles. » Comment expliquer que l’éclair jaillisse tout de même? C’est là qu’intervient le modèle proposé par cette étude. Le déclenchement de la foudre ne vient pas d’un claquage simple comme on peut le voir, par exemple, lorsque vous touchez la poignée métallique d’une porte et qu’une petite étincelle jaillit de votre doigt. Dans un orage, le phénomène est bien plus complexe…
Des électrons ultra-rapides venus de l’espace
Tout commence lorsqu’un électron très énergétique, parfois en provenance directe de l’espace via les rayons cosmiques, rencontre un champ électrique dans un nuage. Ce champ n’est pas assez fort pour faire jaillir directement un éclair, mais il peut suffire à accélérer l’électron, qui devient un électron « runaway »: un électron libre qui file à très haute vitesse, en échappant aux collisions habituelles avec les molécules de l’atmosphère. « Plus l’électron a de l’énergie, moins il risque d’entrer en collision avec les molécules de l’atmosphère. Il va donc pouvoir être accéléré par le champ électrique sur de longues distances », détaille Sébastien Célestin. Mais en traversant l’air, cet électron est parfois freiné ou dévié lorsqu’il passe trop près de noyaux d’atomes de l’atmosphère.
Ce changement de cap libère des photons gamma — un rayonnement électromagnétique de très haute énergie. Ces photons, à leur tour, peuvent éjecter d’autres électrons des atomes d’azote ou d’oxygène présents dans l’air, par effet photoélectrique: un phénomène décrit par Einstein en 1905 au cours duquel un photon suffisamment énergétique « arrache » un électron d’un atome, en lui transférant toute son énergie. Ces nouveaux électrons runaway, eux aussi accélérés par le champ électrique du nuage, peuvent à leur tour émettre des photons gamma. Une partie de ces photons remonte vers la source, où ils libèrent de nouveaux électrons. Etc. C’est une avalanche d’électrons et de photons qui s’auto-entretient. En quelques microsecondes, cette cascade transforme localement l’air en un milieu très ionisé, donc conducteur, des filaments de décharges peuvent alors circuler sans que le champ ait besoin d’atteindre les 30 kV/cm exigés en laboratoire. Et l’éclair jaillit.
Flashs de rayons gamma et décharges d’ondes radio
Mais ce déluge de lumière n’est que la partie émergée de l’iceberg en quelque sorte. « Un éclair, ce n’est pas seulement de la lumière visible. C’est tout un spectre d’émissions, sur une gamme de fréquences et d’énergies qui va de l’onde radio au rayonnement gamma », résume Sébastien Célestin. Des phénomènes électromagnétiques, longtemps considérés comme rarissimes ou anecdotiques, prennent aujourd’hui une place centrale dans la description des orages. « Le modèle qu’on propose a un vrai pouvoir explicatif: il fonctionne pour les éclairs classiques, mais aussi pour des signaux qu’on n’arrivait pas à relier clairement à un arc électrique », souligne Sébastien Célestin.
Les flashs gamma terrestres (ou « Terrestrial Gamma-ray Flashes », TGF), par exemple, sont des flashs de rayonnement gamma ultra-courts (moins d’une milliseconde), détectés depuis les années 1990 par des satellites d’observation terrestre. Grâce au rôle central de l’effet photoélectrique, le modèle explique comment ces émissions peuvent survenir dans des zones « silencieuses », là où aucun arc lumineux n’est encore formé, mais où une avalanche électronique est bel et bien en train de se produire. Même chose pour les Narrow Bipolar Events (NBE), ces décharges radio très rapides, intenses et silencieuses que les antennes VHF repèrent à des dizaines de kilomètres, et qui trouvent dans ce nouveau scénario une origine plausible.
Des enjeux sanitaires pour l’aviation civile
Ce modèle ne bouscule pas seulement la théorie: il interroge aussi nos certitudes, notamment en matière de sécurité aérienne. Car les avions commerciaux traversent régulièrement les hautes couches orageuses de l’atmosphère — précisément là où se forment les éclairs… et les TGF. « On essaie de quantifier la dangerosité de ces phénomènes sur l’aviation civile », explique Sébastien Célestin.
Longtemps jugés rares, ces flashs gamma terrestres apparaissent aujourd’hui 100 fois plus fréquents qu’estimé, grâce à de nouveaux détecteurs, bien plus sensibles que ceux des décennies précédentes, et de nouveaux moyens d’emport permettant des mesures à proximité des orages tels que des avions de recherche dans la haute atmosphère ou des ballons stratosphériques. « Ça remet en jeu en nos études de risque précédentes », souligne le physicien. De la physique fondamentale aux enjeux sanitaires, l’étude des éclairs déborde donc bien loin du laboratoire. Mais l’on retiendra notamment ceci: il peut suffire de quelques électrons venus de l’espace pour déclencher la colère du ciel…
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