Prolifération de la Jacinthe d’Eau sur le Fleuve Niger

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Prolifération de la Jacinthe d'Eau sur le Fleuve Niger
Prolifération de la Jacinthe d'Eau sur le Fleuve Niger

Africa-Press – Niger. Le fleuve Niger est confronté à plusieurs problèmes majeurs qui menacent son écosystème. Parmi ces problèmes figure la prolifération de la jacinthe d’eau. Une espèce envahissante qui forme un tapis de plante verte fougère qui recouvre plusieurs parties du fleuve. Elle est considérée comme un poison, car étouffant le milieu naturel empêchant ainsi la reproduction des poissons. Longtemps considérée comme un danger pour le fleuve Niger, la jacinthe d’eau attire désormais l’attention de certaines structures pour son potentiel économique et environnemental.

Nous sommes en début d’octobre, une période de forte crue pour le fleuve, au terme d’une saison de fortes averses. Les balades en pirogue sur les eaux calmes du fleuve sont possibles à partir des berges à Niamey, lorsque nous embarquons aux trousses de la jacinthe d’eau en compagnie de Pr. Lawali Mahamane Sani, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences et Techniques, au département de chimie de l’Université Abdou Moumouni. Quelques minutes à peine après notre départ, des tapis de la jacinthe d’eau en surface de part et d’autre envahissent nos horizons. Les fleurs d’un violet éblouissant et les feuilles vertes forment des longs tapis à perte de vue. L’enseignant-chercheur, Pr. Lawali Mahamane Sani qui nous invite à cette découverte de plus près, affiche un calme dans son regard, contrairement à ses hôtes qui y voient une plante polluante ou toxique. Il arrache soigneusement un pied d’une odeur fade. « De toutes celles connues de l’homme, c’est l’une des plantes qui croit le plus rapidement », dit le chercheur qui précise que la jacinthe d’eau est originaire d’Amérique latine.

« Elle a été observée pour la première fois au Niger dans les années 1980 par le professeur Garba Mounkaila, qui a alerté concernant sa présence sur le fleuve Niger », rappelle Pr. Lawali Mahamane Sani. « La jacinthe d’eau se multiplie de deux manières: par graines, donc de façon sexuée et par rejets, c’est-à-dire de manière végétative. La plante mère émet un stolon au bout duquel pousse une plante fille. Autour d’une seule plante, on peut en avoir plusieurs autres, d’où sa propagation rapide. En plus ici, elle n’a pratiquement pas de prédateurs à part le lamantin qu’on trouve rarement. Ce milieu lui est donc très favorable », explique-t-il. Dans beaucoup de pays où elle s’est implantée, les gens ont tenté de la retirer, a rapporté l’enseignant-chercheur. Mais, même dans les pays disposant de gros moyens, personne n’a réussi à l’éliminer complètement.

Ainsi, face à l’échec des tentatives d’éradication, Pr. Mahamane Laouali Sani a révélé que les chercheurs ont fait des recherches afin de connaître les avantages liés à la jacinthe d’eau. « Nous avons mené plusieurs expérimentations ici au département de chimie pour démontrer qu’au-delà de l’aspect de nuisance, cette plante aquatique à des vertus écologiques. Et les résultats l’ont démontré », affirme-t-il avec fierté.

Une plante dépolluante, purifiante et fertilisante

Dans le traitement des eaux usées, les racines fines de la jacinthe absorbent la matière organique et les sels minéraux présents dans l’eau, ce qui permet une épuration naturelle. « La jacinthe d’eau est un filtre biologique qui capture le CO2, favorise la photosynthèse, mais, surtout, elle a la capacité d’absorber les métaux lourds et de débarrasser l’environnement aquatiques des polluants », explique Pr. Mahamane Laouali Sani. Ensuite, ajoute-t-il, la jacinthe d’eau est biodégradable et riche en cellulose, ce qui permet d’en faire du compost de très bonne qualité pour fertiliser le sol. « Elle peut aussi produire du biogaz à travers la fermentation méthanique: on obtient un mélange de méthane et de CO2, qu’on peut utiliser comme source d’énergie domestique ».

Outre ces deux avantages, il est également possible de fabriquer des spirales anti-moustiques à partir de la jacinthe. « Contrairement à celles importées qui contiennent des produits chimiques irritants, nous avons utilisé des produits naturels comme l’encens traditionnel « Jiji » (Cyperus articulatus) et des plantes répulsives combinées à la jacinthe d’eau préalablement séchée pour fabriquer nos spirales », détaille le chercheur. Poussant toujours les recherches, il a également expérimenté la fabrication de contreplaqué à base de la jacinthe mélangée et du plastique fondu, ce qui donne un matériau résistant à l’eau et aux termites. « Enfin, une étudiante a réussi à produire du savon à base de potasse extraite de la jacinthe d’eau, avec des résultats très prometteurs», confie Pr. Mahamane Laouali Sani.

Ces travaux, a fait savoir l’enseignant-chercheur, ont été présentés dans plusieurs forums au Niger et à l’étranger (au Burkina Faso, au Togo et au Maroc). Ils ont même été récompensés par des médailles d’or de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). « J’ai aussi reçu un appui de la Banque mondiale, mais il est resté limité. Aucun gouvernement ne nous a véritablement soutenus jusqu’ici », fait savoir le chercheur.

Concernant les raisons de la suspension des recherches, Pr. Mahamane Sani Laouali évoque plusieurs contraintes. « La première, c’est la concurrence des produits importés, notamment ceux venant de la Chine. Puis le coût de la production locale qui est aussi plus élevé, surtout pour les spirales ou les panneaux agglomérés à cause du prix des emballages et des machines. Il faudrait donc un appui politique pour protéger la production locale et encourager la valorisation de la jacinthe d’eau », estime le chercheur, ajoutant qu’il est possible de produire la jacinthe d’eau à grande échelle. « Nos recherches montrent qu’on peut produire jusqu’à 3 000 tonnes de jacinthe sur un hectare d’eaux usées. La plante double sa biomasse en moins de deux semaines. Elle peut donc être cultivée de manière contrôlée et durable pour servir de matière première à différentes productions », indique-t-il.

La jacinthe est une plante qui offre beaucoup d’avantages tant pour l’environnement que pour l’être humain. C’est pourquoi, Pr. Mahamane Laouali Sani a demandé aux autorités et aux ONG d’appuyer les projets de valorisation de la jacinthe, notamment dans la production de compost, de biogaz et de savon. « Ces activités ne nécessitent pas de gros moyens, mais elles peuvent créer des emplois, réduire la pollution et transformer une plante envahissante en ressource utile pour le pays », a-t-il dit.

Une menace persistante sur l’écosystème aquatique

Au-delà de la recherche scientifique, la transformation de la jacinthe d’eau ouvre des perspectives économiques pour les populations riveraines du fleuve. Le compostage, la production de biogaz ou de savon peuvent être réalisés à faible coût et créer de nombreux emplois locaux, tout en participant à la préservation de l’environnement. C’est dans ce cadre que des chercheurs comme Mme Mariama Mamane, fondatrice et présidente de Jacigreen, s’emploient pleinement à transformer cette plante envahissante en une ressource utile, au service du développement durable.

La baisse des ressources halieutiques et la difficulté d’accès aux Bioénergies et Biofertilisants ont motivé la création de cette entreprise sociale qui combine la protection de l’environnement et l’opportunité économique.

« Jacigreen est née d’une urgence écologique observée sur le terrain et d’une volonté d’action locale. Au-delà, c’est une passion personnelle pour la recherche et le développement des solutions basées sur la nature. Cela a été le déclic pour me consacrer à créer des technologies vertes pour les communautés afin de s’adapter aux effets des changements climatiques », explique Mme Mariama Mamane. Elle rapporte qu’il a été démontré que le taux de perte d’eau due à l’évapotranspiration peut être jusqu’à 2 fois supérieur à celui de l’évaporation de la même surface exempte de jacinthe d’eau. « Jacigreen transforme la jacinthe d’eau en ressource utile par la collecte et la valorisation des plantes envahissantes à travers la production d’engrais organique et le biogaz pour la cuisson propre et l’électricité avec une approche écosystémique intégrée et impliquant les communautés locales », indique-t-elle.

Un atout pour le développement durable

Dans la lutte contre la jacinthe d’eau, les activités de Jacigreen touchent plus de 3 000 agriculteurs, soit 300 tonnes de fertilisants chimiques à travers la production de 250 000 L/an de biofertilisants dans les bio-digesteurs installés soit plus de 5 000 tonnes de jacinthe d’eau valorisées pour contribuer à l’assainissement sur le fleuve Niger. Il y a une amélioration de la fertilité des sols avec une augmentation des rendements de 15 à 25% mais également la réduction de la dépendance aux engrais chimiques avec l’adoption de pratiques agro-écologiques.

Pour Mme Mariama Mamane, l’autonomisation des communautés passe avant tout par le renforcement des capacités locales et la promotion de l’entrepreneuriat vert. Selon elle, la valorisation des plantes envahissantes comme la jacinthe d’eau permet non seulement de créer des emplois verts à la population, mais aussi et surtout d’offrir aux femmes de nouvelles opportunités économiques. « Grace à l’énergie propre, les femmes développent des activités génératrices de revenus avec une production énergétique de proximité », souligne-t-elle.

Malgré ces progrès agro-écologiques Jacigreen rencontre des difficultés. Les premiers défis étaient d’assurer la sensibilisation continue des communautés pour la durabilité opérationnelle avec un changement de paradigme et surtout l’accès aux marchés pour les produits transformés. Aussi, Mme Mariama Mamane plaide pour un appui institutionnel et financier en vue de la vulgarisation des pratiques. Elle estime qu’une meilleure coordination entre les pouvoirs publics, les universités et les ONG permettrait de transformer ce fléau écologique en ressource économique nationale.

Un fléau pour les activités de pêche

La jacinthe d’eau est devenue l’un des fléaux les plus délicats pour les étendues des cours d’eau douce, rivières et lacs. Cette plante invasive a des effets très négatifs et multiples sur la biodiversité aquatique, car sa présence entraîne un manque d’oxygène, ce qui diminue l’habitat des espèces et plantes aquatiques. D’où une baisse de la pêche. Cela gêne aussi la navigation, étant donné que la jacinthe d’eau forme des tapis flottants sur des vastes étendues des grandes eaux et fleuves, provoquant une eutrophisation du milieu en donnant un goût d’humus à l’eau.

Selon Ousmane Zakari, le président de l’Association des pécheurs professionnels du Niger (ALPAPE), autrefois, dans des zones comme Karma, on peut pratiquer la pêche durant toute l’année. Aujourd’hui, la période de pêche est très courte à cause de cette plante envahissante. « Là où la jacinthe s’installe, elle amène du sable et finit par ensabler le fleuve. Chaque année, des parties entières du fleuve deviennent impraticables », dit-il. Dans certaines mares, ajoute Ousmane Zakari, la jacinthe occupe toute la surface, il n’y a plus d’eau libre là où elle s’installe, les poissons meurent par manque d’oxygène. Seuls quelques poissons-chats arrivent à survivre dans ces conditions.

Pour le président de l’ALPAPE, cette plante fait en sorte que les pêcheurs nigériens rencontrent beaucoup de difficultés pour se déplacer sur le fleuve avec leurs pirogues. La jacinthe d’eau forme des tapis épais sur les eaux, ce qui bloque le passage des embarcations des pirogues et filets des pêcheurs, surtout en cette période où les eaux sont montées, les pécheurs abandonnent même certaines zones qui sont devenues inaccessibles. « Nos filets, nos moteurs et nos pirogues s’abiment rapidement à cause de l’enchevêtrement avec les tiges et racines de la jacinthe. Ça nous coûte très cher pour entretenir nos outils de travail et réduit nos revenus qui sont déjà faibles », explique Ousmane Zakari.

Avec la raréfaction des poissons et la difficulté d’accès aux zones de pêche, les revenus des pêcheurs baissent et beaucoup d’entre eux peinent à subvenir aux besoins de leurs familles. « Le plus grand problème est que les poissons ne peuvent même pas vivre là où il y a cette plante, les poissons meurent ou fuient les zones envahies. Aujourd’hui, nous sommes obligés de nous convertir vers le petit commerce ou l’agriculture, car des fois, on rentre à la maison bredouille », dit-il avec regret.

Face à cette situation, les associations de pêcheurs multiplient les initiatives dont des campagnes de nettoyage organisées pour dégager les zones de pêche les plus touchées. Mais, ces efforts restent ponctuels et sans moyens durables. « Nous avons besoin d’un appui matériel et financier. Les pirogues motorisées, les gants, les râteaux, tout manque. Sans aide, nous ne pouvons pas lutter efficacement contre cette menace qui ne fait que s’empirer de jour en jour », plaide Ousmane Zakari.

Pour lui, tout comme pour Pr. Mahamane Laouali Sani et Mariama Mamane, il est urgent que les pouvoirs publics et les partenaires techniques s’impliquent davantage pour éradiquer ce fléau. « Ce que nous demandons à l’État, ce n’est pas de l’argent, mais de l’accompagnement matériel et technique. Donnez-nous des outils pour travailler, et nous pourrons non seulement pêcher, mais aussi valoriser cette plante. Si l’État s’implique, la jacinthe d’eau pourrait devenir une richesse au lieu d’être un fléau », lance le pêcheur Ousmane Zakari. En effet, beaucoup de zones du fleuve sont étouffées par cette plante. «Le danger est réel, le fleuve Niger est très menacé ; nous lançons un appel au Président de la République et aux autorités pour qu’ils écoutent les pêcheurs, ceux qui vivent du fleuve, car ce sont eux qui connaissent vraiment ses problèmes », plaide le président de l’ALPAPE.

Pourtant, la jacinthe peut être utile, on peut en faire du compost, du charbon, des nattes, des paniers… Des associations comme Jacigreen ou ALPAPE essaient déjà de la transformer, mais elles manquent de soutien. « À l’époque, un projet étranger nous aidait à l’enlever chaque année, mais depuis sa fin, plus rien n’a été fait. Nous, les pêcheurs, voulons participer à la lutte contre cette plante, mais nous n’avons pas les moyens », affirme Ousmane Zakari.

Pour sa part, Mme Mariama Maman souligne que son entreprise travaillait avec certaines ONG, mais elle ambitionne de passer à une phase de déploiement à grande échelle dès 2026. Cependant, elle reconnaît que le principal obstacle demeure le financement initial des équipements et l’élargissement des équipes de collecteurs de la jacinthe d’eau. « Nous profitons de cette occasion pour lancer un appel à la recherche de partenaires à fin d’amplifier nos impacts sur les communautés et préserver notre patrimoine, le fleuve Niger », déclare-t-elle.

Ousmane Zakari appelle aussi à la sensibilisation des populations. Certaines pratiques humaines, comme le rejet des déchets ou la stagnation des eaux usées, favorisent la propagation rapide de la jacinthe. « Il faut que chacun comprenne que ce n’est pas seulement un problème des pêcheurs, mais de tout le pays. Car si le fleuve meurt, c’est toute une économie qui disparaît », avertit-il.

Rahila Tagou et Adamou I. Nazirou (stagiaire)

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