« Globalisto », l’expo sur la création africaine qui bouscule le statu quo

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« Globalisto », l’expo sur la création africaine qui bouscule le statu quo
« Globalisto », l’expo sur la création africaine qui bouscule le statu quo

Africa-Press – Niger. Globalisto, une philosophie du mouvement ». L’exposition que propose le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne (MAMC + ) rassemble dix-neuf artistes de différentes générations. Ceux-ci inventent de nouveaux mondes, remettent en question les statu quo et posent un regard critique sur les systèmes de pouvoir et d’exploitation des ressources. Il s’agit d’un appel à l’hospitalité radicale, à l’idée d’un monde sans frontières et à une « philosophie du mouvement » qui s’inspire des principes humanistes du Botho. Un choix aussi artistique que philosophique du commissaire d’exposition, l’artiste et DJ sud-africain Mo Laudi, à qui la directrice du MAMC + a donné carte blanche.

Une autre vision du monde et de l’art

« L’exposition a pour point de départ un projet en résonance avec la biennale de design de Saint-Étienne, qui avait cette année pour invité d’honneur le continent africain », explique Aurélie Voltz, directrice du MAMC +. « Quand vous regardez la collection et la politique d’exposition du musée, il n’y a pas de place suffisante laissée à des artistes non-occidentaux, et donc africains ou afro-descendants. C’est une volonté du comité scientifique du musée, et de moi-même, d’ouvrir notre programmation ainsi que notre politique d’acquisition à des artistes non-occidentaux. Dans cette exposition, par exemple, nous avons acquis des œuvres de l’artiste Josèfa Ntjam », confie-t-elle.

C’est bien une vision panafricaine qui est ici proposée, à travers des œuvres d’artistes originaires d’Afrique ou de ses diasporas. Leurs expérimentations plastiques sont aussi diverses que la sculpture, la peinture, le textile, la vidéo, les installations… L’exposition s’ouvre dans le hall d’entrée du musée sous les drapeaux de l’artiste Samson Kambalu, originaire du Malawi. Ceux-ci sont remixés à partir d’éléments et de couleurs de drapeaux existants qui laissent imaginer d’autres pays, d’autres possibles.

Hommage à Gerard Sekoto…

Parmi les œuvres exposées, on retiendra celle du peintre Gerard Sekoto. Mo Laudi, le commissaire de l’exposition, voulait rendre hommage au peintre, figure tutélaire de la peinture sud-africaine, mort en France en 1993. Le musée a réussi à obtenir un prêt exceptionnel provenant d’Afrique du Sud, Song of the Pick (Le chant de la pioche, 1947), une peinture iconique qui met en valeur le travail des Noirs et la force du collectif.

Sous le regard d’un Blanc, les mains dans les poches, les ouvriers noirs piochent en cadence, chantant à l’unisson. Les ingrédients de l’apartheid instauré en 1948 avait été semé avec le Native Land Act en 1913, lequel réservait 7 % du territoire foncier aux populations noires. Gerard Sekoto a quitté l’Afrique du Sud en 1947 pour Paris, où il vivra de la musique tout en poursuivant son travail de peintre, avec toujours pour sujet les conditions sociales et les tensions raciales en Afrique du Sud.

… sans oublier Sam Gilliam

On s’arrêtera aussi devant « Cap II », l’œuvre de l’artiste afro-américain Sam Gilliam, décédé le 25 juin dernier et qui appartient à la collection du musée. « Achetée en 1971, par le conservateur de l’époque, à ce jeune artiste qui vivait à Washington, cette toile fait partie maintenant de nos chefs-d’œuvre », se réjouit Aurélie Voltz.

« À cette époque, de l’autre côté de l’Atlantique, des artistes travaillaient d’une autre manière la couleur et la toile, sous une forme sculpturale, beaucoup plus libre, sans châssis ; et en parallèle, de ce côté-ci de l’Atlantique, les artistes du mouvement Supports/Surfaces eux aussi interrogeaient la peinture et sa représentation », explique Aurélie Voltz. Par ce geste de libération de la toile, le peintre exprimait le combat pour les changements sociaux, à une époque où les personnes noires n’étaient pas considérées comme légitimes en tant que représentantes de l’art abstrait.

Et aussi Dread Scott et Otobong Nkanga

Dread Scott, lui aussi afro-américain, considère « qu’il fait de l’art révolutionnaire » et pose à travers son installation la question : « Quelle est la façon convenable d’exposer le drapeau américain ? ». Certains n’osent pas fouler le drapeau au sol pour écrire un message dans le livre destiné à recueillir les témoignages des visiteurs.

Une tapisserie de l’artiste d’origine nigériane Otobong Nkanga, Histoires de la noix de cola – Démembrées, interroge la valeur de la noix à travers son utilisation comme ingrédient dans la boisson Coca-Cola et remet en question l’exploitation et la marchandisation des ressources. En 2016, la même année de la réalisation de cette œuvre, Coca-Cola a cessé d’utiliser la noix de cola.

Les idées reçues bousculées

Congolais, Sammy Baloji questionne les conséquences de la colonisation notamment dans la riche région du Katanga, avec des impressions de photographies d’archives sur un miroir, juxtaposées à des images de pierres précieuses ou des minerais. Il invite le visiteur à se regarder dans l’œuvre et à s’interroger sur l’exploitation des ressources du Congo.

Dans la vaste salle qui clôture l’exposition, on découvre les peintures à l’acrylique de Lubaina Himid, artiste majeure originaire de Tanzanie, lauréate du prix Turner. Installée en Angleterre, enseignante et commissaire d’exposition, elle travaille sur les politiques raciales, de genre et de classe. Ce qui en fait l’une des initiatrices du mouvement des British Black Arts dans les années 80.

Dans ses toiles à l’acrylique, elle propose une réinterprétation des kanga, des pagnes accompagnées de messages, dont se drapent les femmes. « Ce sont des travaux préparatoires, avec des phrases de sa propre composition, pour de grandes œuvres en tissu qui ont été présentées à la Tate Galerie à Londres », précise Aurélie Voltz.

On retrouve aussi les grandes tentures de Raphaël Barontini, réalisées à partir de collages et d’impressions qui représentent des personnages, qu’il décrit comme des « portraits-monuments », héros imaginaires ou réels d’Afrique et des Caraïbes. Ces portraits sont des hommages à des personnages trop peu représentés dans l’histoire de l’art occidental, comme le général Toussaint Louverture, personnage historique de la révolution haïtienne, ou encore le Black Centurion, converti au christianisme et mort en martyr au IIIe siècle.

Parmi les jeunes artistes présentées, on découvre une sculpture de Marie Aimée Fattouche, qui revisite la fable du pot de fer contre le pot de terre et l’accompagne d’un poème. Les objets qu’elle crée transcendent leur condition pour vivre et voyager ensemble, interrogeant ainsi la mobilité sociale et spatiale, en jouant sur la force et la fragilité, et la remise en question des idées reçues.

On se laisse aussi prendre par Khtbtogone, un récit vidéo de Sara Sadik, qui joue des clichés et des codes de la représentation de la jeunesse issue de l’immigration d’Afrique du Nord dans les quartiers populaires de Marseille. Ce court-métrage, conçu sur le modèle d’un jeu vidéo et à rebours des clichés machistes, met en scène, avec beaucoup de sensibilité, l’histoire d’amour d’un jeune homme des quartiers nord de Marseille qui se prépare à faire sa demande en mariage.

Originalité finale : l’exposition va être accompagnée d’un colloque qui aura lieu les 6 et 7 octobre. Il portera sur les questions post-coloniales et la manière dont l’art met en lumière ces débats. Ce sera en présence d’Achille Mbembe, Pascale Obolo, Norman Ajari ou encore Elvan Zabunyan, mais aussi d’artistes comme Raphaël Barontini, Samson Kambalu Sara Sadik et Dread Scott.

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