La Fondation Blachère célèbre 20 ans d’art contemporain africain

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La Fondation Blachère célèbre 20 ans d’art contemporain africain
La Fondation Blachère célèbre 20 ans d’art contemporain africain

Africa-Press – Niger. Après deux décennies consacrées à l’art contemporain africain et 48 expositions dans la zone industrielle d’Apt, la fondation déménage dans un tout nouvel écrin.

C’est le moment parfait. La lavande est en fleur, une pluie abondante a rendu le paysage verdoyant. La Fondation Blachère fête ses 20 ans et a inauguré, ce 29 juin, son nouveau centre d’art à la gare de Bonnieux, au cœur du Luberon. Pour ce jour si particulier, plus de 500 personnes étaient présentes.

La fondation d’entreprise dédiée à l’art contemporain africain, créée par Jean-Paul Blachère et dirigée depuis trois ans par sa fille, Christine, prend une nouvelle dimension. En quittant la zone industrielle d’Apt et l’entreprise Blachère Illumination, spécialiste des illuminations écoresponsables pour les collectivités, elle espère bien attirer un plus large public grâce à un cadre beaucoup plus bucolique. Christine Blachère était à la recherche d’un nouvel espace. En découvrant celui-ci, elle n’a pas hésité bien longtemps. La gare de Bonnieux, désaffectée, avait été rachetée par le couturier Pierre Cardin, qui a beaucoup investi dans la pierre, notamment, à 5 kilomètres de là, en s’offrant le château Lacoste, celui du marquis de Sade. Plus de deux ans après le décès du couturier, la gare, où des réceptions étaient données, a trouvé une nouvelle fonction, que ne renierait pas son ancien propriétaire : un centre d’art contemporain. Totalement rénové et transformé à l’intérieur, le nouvel espace de 500 mètres carrés a conquis tout le monde.

C’est un gros investissement : 3 millions d’euros pour l’achat et la rénovation. Après cinq mois de travaux réalisés par l’architecte et muséographe Zette Cazalas, du cabinet Zen + dCo, l’ancienne gare peut accueillir sa première exposition et jouer sur trois espaces distincts, chacun illuminé différemment des autres. Le premier est inspiré de l’ancien centre d’art de la fondation : une grande salle plongée dans le noir où l’éclairage fait ressortir les œuvres. Le second, où le blanc domine, est son exact opposé. Enfin, à l’étage, une grande salle bénéficie d’un bel éclairage naturel.

L’exposition regroupe les œuvres de 24 artistes africains et de la diaspora, sous le titre de « Chimères ». Le thème explore les limites entre le réel et l’imaginaire. Les œuvres plongent les visiteurs dans un monde peuplé de créatures hybrides, les renvoient aux contes et aux mythes, appellent à l’imagination et à la transcendance tout en interrogeant l’hybridité et l’identité. Devant ces œuvres, chacun est libre d’interpréter ces chimères à l’aune de sa culture et de sa sensibilité.

Ce thème a été inspiré par l’artiste mauritanien Oumar Ball, qui a remporté, en 2021, le premier prix du jury de la Biennale de la sculpture au Burkina Faso avec son œuvre Chimère, une hyène faite de plaques de métal brûlées par le soleil et cousues de fils de fer qui chevauche un vautour en plein vol. Christine Blachère, séduite par le projet de l’artiste, avait précommandé l’œuvre. Cette exposition s’est construite au fil des résidences d’artistes qui ont été invités à façonner leurs chimères, lors de leur séjour à Ngaparou (hameau sénégalais où la Fondation Blachère organise des ateliers de création), à Apt et à Bonnieux, ce printemps, avec deux artistes, la Sud-Africaine Barbara Wildenboer et la Marocaine Ghizlane Sahli.

La majorité des œuvres exposées appartiennent à la collection de la fondation, comme celles de Soly Cissé, d’Omar Ba, d’Aliou Diack, de Retha Erasmus et d’Ousmane Niang. On peut voir aussi les « Solipsis », créatures ailées et si délicates, faites de bois, de polystyrène et de néon, que leur créateur, l’artiste Wim Botha, a prêtées pour l’occasion.

Pour cette inauguration, la Fondation Blachère a invité l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa, qui occupera l’espace supérieur du centre d’art. Ainsi, à la lumière naturelle et sous l’effet des courants d’air, ce sont les anges de Dancing with the Angels qui poursuivent les chimères.

Dès l’entrée, l’œuvre impressionnante d’Oumar Ball plane sur le visiteur. L’artiste puise son inspiration dans les souvenirs de son enfance, qu’il a passée dans la région du Fouta-Toro, sur les rives du fleuve Sénégal.

« La hyène et le vautour font partie de mes animaux préférés. Dans les contes que me racontait ma grand-mère, il y en avait tout le temps. Si ces deux créatures cohabitent, elles ne sont pas pour autant des amies. J’ai voulu proposer une réconciliation et réaliser une œuvre qui compose avec les deux dans le cadre d’une aventure. J’aime aussi laisser les gens imaginer un dialogue et susciter une réflexion entre le regardant et l’œuvre », détaille Oumar Ball d’une voix douce. Juste en face, on découvre un immense tableau intitulé Cycle de vie qu’il a réalisé en juillet 2022, alors qu’il était en résidence à Apt. « C’est une chance pour moi d’expérimenter quelque chose de nouveau, de créer une peinture qui réunit à la fois la sculpture et la peinture. Cette toile a été composée avec des cendres, de la terre, des pigments et du fer à béton », détaille-t-il. Puis il explique qu’il fabriquait ses jouets quand il était enfant : « Mon père – qui était artiste – m’a appris à utiliser le métal et le plastique. Ces jouets, qui sont devenus mes œuvres, ont, bien sûr, évolué. Jusqu’à présent, c’est cet enfant-là qui crée. Je ne veux pas être sérieux, je veux rester dans ma coquille de liberté. »

Un peu plus loin, on découvre l’œuvre de l’artiste sénégalais Fally Sene Sow. Un monde ou plutôt la fin d’un monde. Cette installation immersive Rusty World, présentée en 2022 à la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar, se déploie sous la forme d’une maquette d’une ville dystopique composée de mille éléments, un hôtel 5 étoiles en piteux état, des arbres qui poussent sur les routes, des créatures ailées qui survolent l’ensemble. « C’est un monde dévoré par le temps, qui coule entre ordre et chaos et d’où surgissent des créatures. Ce travail, je l’ai réalisé entre 2018 et 2022. C’était censé être une ville colorée, une description de Dakar, avec son ambiance, sa joie de vivre, quand tout va bien. Il était sélectionné pour la Biennale de Dakar de 2020. Avec la pandémie de Covid-19, j’ai dû superposer tous les éléments dans mon atelier, exposé aux éléments – à la pluie et au vent. Je prenais mon café devant. Les oiseaux faisaient leur nid dans les maisons. Les herbes ont poussé. Le temps fait son œuvre, et j’ai donc laissé vivre celle-ci », raconte Fally Sene Sow. « Notre rôle en tant qu’artiste est de montrer des choses non visibles à œil nu. Les chimères appartiennent à ce monde de croyances et de culture. Certains de ces figures sont connues, d’autres pas », poursuit-il.

Outre les expositions, deux par an, le centre d’art organise des ateliers d’artistes et sera bientôt doté d’un centre de documentation et d’une salle de cinéma. La mission de la Fondation Blachère reste inchangée : il s’agit d’accueillir des artistes émergents en résidence. Elle prend en charge les frais de voyage, de logement et de travail des artistes invités et leur verse un per diem (indemnité pour leurs dépenses journalières). En contrepartie, l’œuvre réalisée au cours de la résidence entre dans la collection de la fondation et sera exposée. L’organisation s’engage aussi à ne pas revendre les productions. Pour faire vivre la fondation, l’enrichir et poursuivre le travail de rencontre avec les artistes engagés par Jean-Paul Blachère, deux voyages par an au moins sont organisés en Afrique. « En général, lorsque nous faisons un achat en direct auprès d’un artiste, derrière, il y a une résidence et une exposition de l’œuvre. Et celle-ci figure dans notre catalogue », explique Christine Blachère. Au cours des deux dernières années, l’équipe de la Fondation Blachère s’est déplacée au Gabon, en Afrique du Sud, en Namibie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et à Dakar. En vingt ans, la fondation d’entreprise a constitué une collection de 2 000 œuvres.

« En installant notre centre d’art à la gare de Bonnieux, nous voulons toucher un public plus large. Les initiés qui nous connaissaient et qui passaient leurs vacances dans le Luberon, ça les embêtait quand même de passer par la zone industrielle. Notre public restait très local, et nous souhaitons le conserver. Nous nous tournons aussi vers un tourisme instinctif, vers ceux qui vont passer sur la véloroute et donc devant la gare. Nous nous installons plus au cœur des voies de circulation et de la vie touristique. Nous avions entre 17 000 à 18 000 visiteurs par an. Nous espérons en attirer le double », affirme Christine Blachère.

« En faisant payer l’entrée – 5 euros –, nous cherchons un peu d’autofinancement », précise Christine Blachère. L’entreprise familiale, Blachère Illumination, a un chiffre d’affaires de quelque 50 millions d’euros.

Christine Blachère, qui vient de passer trois ans à la tête de la fondation familiale, considère qu’il y a eu « une vraie transmission » lorsque son père lui a passé le flambeau. « Ses premières expositions, je les ai regardées un peu de loin. Mais quand il a fallu y aller, j’ai trouvé cela absolument passionnant : rencontrer les artistes, voyager, être plongé dans cet univers de la création en Afrique, avec souvent des discussions inattendues. Je me sens comme une provinciale à Paris. Je me sens mieux en Afrique, au côté des artistes », avoue-t-elle. Finalement, elle qui a occupé le poste de directrice de marque dans l’entreprise familiale et a créé une filiale en Espagne, estime que « la transmission de la fondation s’est opérée beaucoup plus facilement que celle de l’entreprise ».

Si son père est connu pour son côté impulsif, elle arrondit les angles. « Il a fallu beaucoup de conviction pour faire vivre ce centre d’art pendant vingt ans dans la zone industrielle d’Apt. J’avais des amis qui ne voulaient pas y venir », se souvient-elle.

Aujourd’hui, la fondation s’offre un écrin plus adapté. « L’intérieur est réussi. J’espère que l’exposition est belle. Moi, elle me plaît beaucoup. Une exposition comme celle-là me rend heureuse pendant six mois », sourit-elle.

* L’exposition « Chimères » est à voir jusqu’au 18 novembre 2023, de 10 heures à 12 h 30 et de 14 à 18 heures, et jusqu’à 19 heures en juillet et en août, à la gare de Bonnieux (Vaucluse). Les artistes exposés : Joël Andrianomearisoa (Madagascar), Seyni Awa Camara (Sénégal), Omar Ba (Sénégal), Oumar Ball (Mauritanie), Retha Erasmus (Afrique du Sud), Wim Botha (Afrique du Sud), Soly Cissé (Sénégal), Aliou Diack (Sénégal), Gastineau Massamba (Congo), Nandipha Mntambo (Afrique du Sud), Ousmane Niang (Sénégal), Nyaba Léon Ouedraogo (Burkina Faso), Sadikou Oukpedjo (Togo), Pedro Pires (Angola), Lyndi Sales (Afrique du Sud), Ghizlane Sahli (Maroc), Fally Sene Sow (Sénégal), Mamady Seydy (Sénégal), Jake Michael Singer (Afrique du Sud), Aïcha Snoussi (Tunisie), Cyprien Tokoudagba (Bénin), Donald Wasswa (Kenya), Barbara Wildenboer (Afrique du Sud), Dominique Zinkpé (Bénin).

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