Africa-Press – Niger. Après avoir dépassé l’espace hispanophone, et plus récemment l’Union européenne, dans ses anciennes frontières incluant le Royaume-Uni, le monde francophone compte désormais 583,7 millions d’habitants. Une progression essentiellement due à l’Afrique francophone, dont l’émergence démographique et économique mériterait davantage d’attention de la part des pays francophones du Nord, et notamment de la France dont les aides au développement continuent à bénéficier principalement aux pays de l’est de l’Union européenne, au mépris de ses propres intérêts.
En se basant essentiellement sur les statistiques démographiques détaillées publiées en juillet dernier par l’ONU, la population du monde francophone peut être estimée à 583,7 millions au 1er juillet 2024. Avec une hausse attendue de 2,16 % pour cette année, l’espace francophone creuse notamment l’écart avec l’ensemble constitué par l’Union européenne et le Royaume-Uni, qu’il avait dépassé en 2018 (519,0 millions, hors territoires français d’outre-mer).
583 millions d’habitants mi-2024
Cette estimation correspond à la population du monde francophone dans sa définition géographique la plus stricte et la plus sérieuse, qui ne tient compte que des pays et territoires réellement francophones, dans lesquels la population est donc en contact quotidien avec la langue française, à différents degrés, et où l’on peut « vivre en français ». Des pays et territoires où le français est par conséquent, seul ou avec une langue locale partenaire, la langue de l’administration, de l’enseignement (pour l’ensemble de la population scolaire, au moins à partir d’un certain âge), des affaires et des médias, ou au moins la langue maternelle de la population, sous sa forme standard ou sous une forme créolisée (un peu comme l’arabe dialectal par rapport à l’arabe standard dans les pays du Maghreb).
Le monde francophone est donc un vaste ensemble rassemblant non moins de 33 pays répartis sur quatre continents, et dans lequel ne sont donc pas comptabilisés les parties non francophones de pays comme la Belgique ou le Canada (respectivement la Flandre, et le Canada hors Québec et Acadie du Nouveau-Brunswick), tout comme un certain nombre de pays membres à part entière de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mais ne remplissant aucun des critères nécessaires afin de pouvoir être considérés comme francophones (tels que le Liban, la Roumanie ou encore la Guinée-Bissau).
Dans ce vaste espace, qui s’étend sur près de 16,3 millions de km2, soit près de quatre fois l’Union européenne tout entière (et auxquels s’ajoutent de vastes territoires maritimes, dont la zone économique exclusive de la France, seconde plus grande au monde avec ses près de 10,2 millions de km2), les cinq premiers pays francophones sont aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC, 109,3 millions d’habitants), la France (69,2 millions, territoires ultramarins inclus, tous statuts confondus), l’Algérie (46,8), le Maroc (38,7) et Madagascar (32,0). Vient ensuite la Côte d’Ivoire, en sixième position (31,9 millions). Avec une croissance démographique estimée à 2,16 % en 2024, et un taux de fécondité global de 4,01 enfants par femme, le monde francophone constitue l’espace linguistique le plus dynamique au monde, devant l’espace arabophone, dont la croissance prévue s’élève à 1,81 % et dont la population est estimée à 497,6 millions d’habitants mi-2024.
Grâce à ce dynamisme, le monde francophone avait d’ailleurs dépassé l’espace hispanophone en 2011. Un ensemble dont la population est estimée à 483,1 millions d’habitants, avec une progression attendue de 0,74 % pour cette année, et qui a donc aussi été récemment devancé par l’espace arabophone. La croissance démographique du monde francophone devrait demeurer supérieure à celle des autres espaces linguistiques, et porter la population de cet ensemble à un peu plus d’un milliard d’habitants en 2060 (1,060 milliard, en se basant essentiellement sur les projections de l’ONU, contre 812 millions pour l’espace arabophone, et 541 millions pour l’ensemble hispanophone).
Le rythme de cette progression est toutefois sur une tendance baissière, principalement du fait de la baisse continue du taux de fécondité en Afrique subsaharienne francophone, qui s’établit désormais à 4,98 enfants par femme, contre 7 enfants en 1975 (une diminution d’environ un tiers, qui s’est accélérée cette dernière décennie, mais encore en bonne partie masquée par les conséquences démographiques de la hausse régulière de l’espérance de vie). Au passage, il convient toutefois de rappeler que l’espace francophone demeure assez largement sous-peuplé, même en tenant compte des territoires désertiques ou recouverts par de denses forêts équatoriales.
À titre d’exemple, sa population actuelle n’est que 12 % supérieure à celle de l’ensemble Union européenne – Royaume-Uni, qui est pourtant réparti sur une superficie près de quatre fois moins étendue. Autre exemple plus précis, la Côte d’Ivoire, pays le plus dynamique économiquement du continent africain, en tenant compte à la fois des taux de croissance économique sur la dernière décennie et du niveau de richesse déjà atteint, ne compte que 31,9 millions d’habitants pour un territoire un tiers plus vaste que celui du Royaume-Uni, dans ses frontières européennes (et non deux ou trois fois plus petit, comme l’indiquent la plupart des cartes géographiques en circulation, terriblement déformantes de la réalité… et des esprits).
Ce dernier ayant une population de 69,1 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire devrait alors compter non moins de 91,5 millions d’habitants pour être aujourd’hui proportionnellement aussi peuplée. Par ailleurs, il est à noter que le chiffre d’environ 300 millions de francophones fréquemment avancé par l’OIF ne correspond qu’au nombre de personnes ayant au moins une assez bonne maîtrise de la langue française.
Ce chiffre, obtenu, par exemple, en ne comptabilisant que le tiers de la population ivoirienne et le quart de celle du Sénégal, ne traduit donc aucune réalité géopolitique ou économique (la population totale d’un pays ou territoire francophone étant le seul critère à prendre en compte pour évaluer l’importance d’un marché, ou le poids géopolitique d’un pays). De même, il est également largement inapproprié d’un point de vue social, pour la simple raison que de nombreuses choses de la vie courante se font en français dans les pays et territoires francophones (médias, internet, administration publique, documents commerciaux et comptables…), où l’ensemble de la population est donc en contact quotidien avec la langue française, y compris dans les zones les plus reculées et dans lesquelles le pourcentage de personnes ayant au moins une assez bonne maîtrise de la langue est moins élevé.
Toute statistique ne tenant pas compte de l’ensemble de la population des pays et territoires francophones, et diffusée à un large public (au-delà, donc, d’un nombre restreint de hauts fonctionnaires, notamment au sein de l’Éducation nationale en vue d’aider à l’élaboration des politiques d’enseignement et de scolarisation), n’a donc pour seule et unique conséquence que d’induire en erreur les acteurs et décideurs économiques et politiques, ainsi que l’ensemble de la société civile, en dévalorisant considérablement à leurs yeux le monde francophone et la langue française.
Une erreur d’appréciation dont peuvent même être victimes les organismes les plus prestigieux, à l’instar de l’organisme publique France Invest, qui publia en 2019 un Guide sur le capital-investissement destiné à de grandes entreprises (« Investir dans la croissance des entreprises en Afrique ») et dans lequel était rédigée, noir sur blanc, la phrase suivante au sujet de l’Afrique francophone, Maghreb inclus: « l’Afrique francophone regroupe 260 millions d’habitants » (alors qu’elle comptait déjà plus de 410 millions d’habitants).
Plus grave encore, les données de l’OIF peuvent parfois être utilisées par certaines parties cherchant à dénigrer et attaquer la langue française, en faisant croire qu’elle ne concerne qu’environ 300 millions de personnes dans le monde. Toute diffusion médiatique des chiffres publiés par l’OIF, sans explication préalable et bien claire du critère utilisé, peut donc avoir de gravissimes conséquences économiques et géopolitiques, contraires aux intérêts de l’ensemble des pays et peuples francophones du monde. Il est donc satisfaisant de constater que certains organismes ont récemment commencé à prendre leurs distances avec les données de l’OIF, à l’instar de la direction du MEDEF (principale organisation patronale française) lors de la première « Rencontre des entrepreneurs francophones » (REF), organisée en France en août 2021, et au cours de laquelle n’a été utilisé que le chiffre relatif à la population totale de l’espace francophone.
Enfin, il convient de rappeler que la connaissance de la langue française dépasse largement les frontières du monde francophone et de ses 583 millions d’habitants. En effet, le français est la deuxième langue la plus enseignée au monde, après l’anglais, et son apprentissage est obligatoire dans les établissements d’enseignement primaire et/ou secondaire d’un certain nombre de pays (comme en République dominicaine, au Costa Rica ou encore, désormais, dans tous les pays anglophones et lusophones d’Afrique de l’Ouest – du moins théoriquement, faute parfois de moyens), ou très largement répandu dans d’autres, où il concerne la majorité des élèves (notamment dans certains pays européens, ou encore au Liban).
Ce sont donc quelques centaines de millions de personnes supplémentaires qui ont au moins quelques notions en langue française, à travers le monde (chiffre en constante hausse et que l’on peut aujourd’hui estimer à plus de 350 millions, toutes générations confondues).
L’émergence démographique et économique de l’Afrique francophone
La progression démographique du monde francophone résulte essentiellement du dynamisme de l’Afrique francophone, qui croît à un rythme annuel d’environ 2,5 % (2,47 % prévus pour 2024, et 2,81 % pour sa partie subsaharienne).
Ce vaste ensemble de 25 pays rassemble désormais 486,8 millions d’habitants (ou 83,4 % de la population de l’espace francophone), contre seulement 74 millions en 1950, soit à peu près autant que l’Allemagne seule, à ce moment-là (69,5 millions). Cette même année, la population du monde francophone était d’ailleurs estimée à seulement 129 millions d’habitants, soit 4,5 fois moins qu’aujourd’hui.
Ce dynamisme de l’Afrique francophone se traduit notamment par la montée en puissance des villes africaines, qui occupent désormais huit des dix premières places du classement mondial des métropoles francophones. Un classement dominé la capitale de la RDC, Kinshasa, dont l’agglomération compte aujourd’hui environ 17 millions de personnes, dépassant maintenant très largement la capitale française, Paris, et ses 11,2 millions d’habitants (et qui serait même devenue récemment la plus grande ville d’Afrique subsaharienne, devant Lagos, dont la population a toujours été exagérée par les autorités du pays).
Ces deux mégalopoles sont suivies, aux troisième et quatrième places, par Abidjan (6 millions d’habitants) et Montréal, capitale économique du Québec, abritant 4,6 millions d’habitants et constituant l’autre ville non africaine parmi les dix plus grandes villes francophones du monde. Il est d’ailleurs à noter que le Québec, dont la population s’élève à 9,1 millions d’habitants mi-2024, a dépassé la Suisse en début d’année, et qu’il devrait également dépasser l’Autriche en 2024, puis la Biélorussie en 2025.
Occasion de rappeler que le Québec affiche souvent le taux de chômage le plus faible du Canada, tout en ayant régulièrement le taux de criminalité le plus faible de l’ensemble du pays (près de deux fois inférieur à celui du Canada anglophone). Mais cet essor démographique du monde francophone s’accompagne également, et globalement, d’un grand dynamisme économique, et notamment en Afrique francophone qui constitue le moteur de la croissance africaine, en plus d’être globalement et historiquement la partie du continent la moins touchée par l’inflation, la moins endettée, mais aussi la moins frappée par les inégalités (seulement deux pays francophones parmi les dix pays africains les plus inégalitaires, selon l’indice Gini, et se classant à partir de la neuvième place), la corruption, la violence (avec un nombre d’homicides globalement plus élevé dans les pays anglophones) et les conflits, comme on le voit actuellement au Soudan (où la guerre civile a déjà fait, en une seule année, plus de victimes que les troubles observés dans toute l’Afrique de l’Ouest francophone depuis les indépendances, il y a plus de 60 ans), ou encore comme on l’a vu récemment en Éthiopie (où la guerre civile, achevée en novembre 2022, a fait bien plus de victimes en seulement deux années qu’il n’y en a eu dans toutes les anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne depuis leur indépendance également !).
Ainsi, l’Afrique subsaharienne francophone, vaste ensemble de 22 pays, a réalisé en 2023 le niveau de croissance économique le plus élevé d’Afrique subsaharienne pour la dixième année consécutive et la onzième fois en douze ans (avec une croissance annuelle de 3,9 % sur la période décennale 2014-2023, contre seulement 2,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne), tout en enregistrant une bien plus faible inflation (4,1 % sur la dernière décennie, contre 17,2 %), et un endettement davantage maîtrisé (51,3 % du PIB en 2023, contre 67,1 %, et avec seulement deux pays francophones parmi les dix pays les plus endettés).
Une différence que l’on observe également en Afrique du Nord, avec des niveaux d’inflation et d’endettement bien plus faibles dans les pays francophones du Maghreb qu’en Égypte. Au cours de la dernière décennie, huit des dix plus fortes croissances réalisées sur le continent l’ont ainsi été par des pays francophones (un classement qui n’intègre pas le cas très particulier du Rwanda anglophone, qui ne peut plus être pris en compte étant donné que les performances officielles sont largement faussées par le pillage massif des richesses de la RDC voisine, qui représentent désormais près de 50 % des exportations rwandaises. Un cas unique au monde, et accompagné de massacres de populations civiles).
Un dynamisme notamment dû aux nombreuses réformes accomplies par la plupart des pays afin d’améliorer le climat des affaires et de progresser en matière de diversification et de bonne gouvernance, et qui a été particulièrement important dans les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone (majoritairement membres de l’UEMOA), qui continue à être la plus vaste zone de forte croissance de l’ensemble du continent (5,5 % de croissance annuelle sur la décennie 2014-2023).
Il convient d’ailleurs de souligner que le statut de zone la plus dynamique du continent constitue une très bonne performance pour l’Afrique de l’Ouest francophone, vu que la région la plus pauvre du continent, et qui devrait donc connaître la croissance la plus élevée, et l’Afrique de l’Est.
En effet, cette dernière affiche des niveaux de PIB par habitant souvent largement inférieurs, et ce, en plus d’être également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment les pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan, le Soudan du Sud et l’Éthiopie). Des conflits auxquels s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique en Somalie, dans le nord du Mozambique, en Ouganda…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 27 000 homicides en 2023).
La vitalité économique des pays francophones s’est notamment traduite par le fait que la Côte d’Ivoire a réussi l’exploit de devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest continentale, malgré une production pétrolière environ 50 fois inférieure à celle du Nigeria au cours de la dernière décennie, et des productions pétrolière et aurifère également très faibles en comparaison avec celles du Ghana voisin.
Un dynamisme supérieur que l’on observe également au Sénégal et au Cameroun, qui viennent eux aussi, en 2023, de dépasser le Nigeria en PIB par habitant, en dépit d’une production pétrolière 20 fois moindre pour le Cameroun au cours de cette même décennie, et tout simplement encore inexistante au Sénégal. Par ailleurs, il est à noter que l’Algérie devrait dépasser cette année le Nigeria en termes de PIB nominal, malgré une population quatre fois inférieure, et que le Bénin devrait également passer devant en matière de PIB par habitant.
Par ailleurs, et grâce à une croissance de 6,3 % en moyenne sur la décennie 2014-2023, soit la plus forte progression au monde de ces dix dernières années pour la catégorie des pays qui avaient un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars en début de période, la Côte d’Ivoire est récemment devenue le premier – et encore le seul – pays africain disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant a atteint 2 530 dollars en 2023 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons).
Quant au Niger, ce pays enclavé n’est désormais plus le pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, ayant dépassé la Sierra Leone en 2017 (618 dollars par habitant en 2023, contre 433 dollars). De plus, le pays pourrait prochainement dépasser le Liberia, autre pays anglophone côtier (799 dollars). Après avoir réalisé une croissance annuelle de 5,4 % sur la décennie 2014-2023, le Niger devrait d’ailleurs bientôt quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent, et dépasse désormais non moins de neuf pays africains en matière de développement humain, selon le dernier classement de la fondation Mo Ibrahim, publié en janvier 2023.
Un classement plus fiable que celui de l’ONU, aux nombreuses incohérences, et qui a longtemps et étrangement placé systématiquement le Niger, au taux de fécondité le plus élevé au monde, à la dernière position du classement (même derrière un pays comme le Soudan du Sud, pourtant réputé être le moins développé du continent, comme la Somalie, simplement non classée…).
Il est d’ailleurs à noter que le taux de fécondité en Sierra Leone est près de 40 % inférieur à celui du Niger (3,8 enfants par femme, contre 6,1, en baisse également). Autre exemple de dynamisme, mais situé en Afrique centrale, le Gabon a réaffirmé son statut de pays le plus riche d’Afrique continentale, avec un PIB de 8 420 dollars par habitant en 2023, creusant ainsi légèrement l’écart avec le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie (7 250 dollars). Une performance obtenue grâce aux grandes avancées réalisées au cours de la dernière décennie en matière de diversification et de bonne gouvernance.
Enfin, il convient de rappeler que l’espace UEMOA est également la zone la plus intégrée du continent, devant la CEMAC qui recouvre une partie de l’Afrique centrale francophone. Ces deux exemples d’intégration poussée, loin devant les autres ensembles régionaux, démontrent d’ailleurs que le panafricanisme est avant tout une réalité francophone.
Échanges, aides au développement et médias: l’irrationnel manque d’intérêt d’une France peu francophonophile, et dépourvue de vision à long terme
Pourtant, force est de constater un certain manque d’intérêt de la France pour l’Afrique francophone, qui n’a représenté que 3,4 % de son commerce extérieur en 2023 (et 0,8 % pour la partie subsaharienne).
Cette situation, qui résulte notamment de la faiblesse des investissements productifs réalisés dans ce vaste ensemble (à l’exception de la Tunisie et du Maroc), se manifeste particulièrement en RDC, pays stratégique qui n’est autre que le premier pays francophone du monde, et où l’Hexagone brille par sa quasi-absence. En effet, la part de la France dans le commerce extérieur de la RDC, vaste comme plus de la moitié de l’Union européenne, s’est établie à seulement 0,5 % en 2022 (comme presque chaque année), très largement derrière la Chine dont la part se situe régulièrement au-dessus de 30 % (38,5 % en 2022, soit environ 77 fois plus !).
Et comme les années précédentes, la RDC est arrivée au-delà de la 100e position dans le classement mondial des partenaires commerciaux de l’Hexagone, dont elle n’a représenté que 0,02 % du commerce extérieur (soit seulement 1 cinq-millième du total). Ce désintérêt de la France se traduit également au niveau de la part des étudiants originaires du pays dans l’ensemble des étudiants présents en France (0,7 % du total pour l’année universitaire 2022-2023, et seulement 1,5 % des étudiants africains). Pourtant, la France pourrait sans grande difficulté accroître sa présence en RDC, dont la forte dépendance vis-à-vis de la Chine risque de nuire, à terme, à la souveraineté et aux intérêts du pays, dont le principal créancier bilatéral est aussi la Chine).
Le manque d’intérêt de la France pour l’Afrique francophone s’observe également dans cet autre pays stratégique qu’est Djibouti, un des six pays de l’Afrique de l’Est francophone et qui est en passe de devenir une plaque tournante du commerce international grâce à sa situation géographique stratégique et à des investissements massifs en provenance de Chine.
Dans ce pays, qui a enregistré une croissance annuelle de 5,3 % sur la décennie 2014-2023, la compagnie aérienne Air France n’assure qu’un seul vol hebdomadaire direct avec Paris, contre sept vols directs pour Turkish Airlines en direction d’Istanbul, ou encore trois liaisons pour le groupe Emirates vers Dubaï. De plus, tout ce qui précède vient s’ajouter à une répartition défavorable des aides publiques au développement versées chaque année par la France, et qui ne bénéficient que très minoritairement au monde francophone, face à une Union européenne qui se taille constamment la part du lion. Ainsi, la part des 27 pays francophones du Sud, et leurs 499 millions d’habitants actuels, oscille généralement autour de 20 % de l’enveloppe globale, aides multilatérales et bilatérales confondues.
Dans le même temps, celle de l’UE se situe autour de 40 % de l’effort financier de la France, et essentiellement au bénéfice des 13 pays de sa partie orientale et de leurs 113 millions d’habitants seulement (que l’on appellera les pays de UE-13). Par conséquent, l’UE s’accapare chaque année l’écrasante majorité des dix premières places des principaux pays bénéficiaires des aides françaises au développement.
En 2022, dernière année pour laquelle des données détaillées et complètes sont disponibles, huit des dix premières places étaient donc occupées par des pays membres de l’UE, contre seulement deux pour le monde francophone (la Côte d’Ivoire, premier pays francophone n’arrivant qu’en sixième position). Cette même année, la part du monde francophone n’a donc atteint que 20,1 % (soit 4,8 milliards d’euros), alors que celle de l’UE s’établissait à 37,2 % (ou 8,9 Mds d’euros).
Quant aux pays de l’UE-13, ceux-ci ont bénéficié d’un effort financier 1,5 fois plus important que pour l’ensemble des 27 pays francophones du Sud (soit 7,1 Mds d’euros), en dépit d’une population 4,2 fois inférieure en 2022 (et répartie sur un espace 11 fois moins vaste), soit un volume d’aide par habitant plus de six fois supérieur. Des aides publiques qui sont, de surcroît, octroyées à des conditions plus favorables aux pays de l’UE-13, car intégralement versées sous forme de dons, et non assorties de la moindre condition, directe ou indirecte, ni même ponctuelle (par exemple en matière d’attribution de marchés).
Ainsi, et bien que peuplée de seulement 1,3 millions d’habitants, l’Estonie a reçu en 2022 une aide française au développement presque égale à celle reçue par le Congo-Kinshasa (174,4 millions d’euros, contre 187,6 millions), premier pays francophone du monde avec ses 101 millions d’habitants début 2022 (soit une aide par habitant 68 fois supérieure !).
Autre exemple frappant, le Maroc, un des plus grands et sincères amis de la France, et modèle de développement et de bonne gouvernance pour le monde arabe et le continent africain, a reçu une aide de 421 millions d’euros, soit bien moins que la Pologne à laquelle a été octroyée une somme de nouveau supérieure à 2 Mds d’euros (2,2 Mds en 2022). Et ce, pour une population quasi égale, et en dépit d’une politique économique et étrangère souvent hostile aux intérêts français. Cette politique d’aide au développement est contraire à toute logique économique ou géopolitique.
D’un point de vue économique, d’abord parce que les pays de l’UE-13 s’orientent principalement et historiquement vers l’Allemagne, qui arrive très largement en tête des pays fournisseurs de la zone, avec une part de marché souvent proche des 20 % (16,9 % en 2022), contre toujours environ 3 % pour la France (2,9 % en 2022), dont les aides massives reviennent donc quasiment à subventionner les exportations allemandes.
Une politique que l’on pourrait résumer par la célèbre expression « travailler pour le roi de Prusse », qui semble être désormais la doctrine de la politique étrangère de la France…. Ensuite, parce que toutes les études économiques démontrent que les échanges peuvent être bien plus importants entre pays et peuples partageant une même langue. À ce sujet, un seul exemple suffit à prouver l’impact économique du lien linguistique: les touristes québécois sont proportionnellement quatre fois plus nombreux que les touristes américains à venir chaque année en France… et à y dépenser.
En d’autres termes, toute richesse générée dans un pays francophone au profit de l’économie locale finit par être intégrée en bonne partie au circuit économique d’autres pays francophones, et ce, en vertu d’un mécanisme semblable à celui des vases communicants. D’où le concept de « zone de coprospérité », qui est d’ailleurs une des traductions possibles du terme Commonwealth. Ce lien linguistique explique également en bonne partie la position encore assez bonne, globalement, de la France en Afrique francophone, dont elle demeure le second fournisseur en dépit d’un certain manque d’intérêt, avec une part de marché globale estimée à 9,6 % en 2022. Une part inférieure à celle de la Chine (15,5 %, Hong Kong inclus), mais largement supérieure à celle de l’Allemagne, estimée à seulement 3,3 %, et qui arrive même derrière l’Espagne (6,5 % et troisième fournisseur), l’Italie (4,7 %) et les États-Unis (4,4 %).
Enfin, parce que c’est dans cette même Afrique francophone qu’il convient d’investir massivement, d’une part afin de tirer pleinement profit des opportunités et du dynamisme que l’on trouve dans ce vaste ensemble de 25 pays, partie globalement la plus dynamique économiquement du continent et un de principaux relais de la croissance mondiale, et d’autre part, car c’est bien en accélérant l’émergence économique de cet ensemble qu’augmentera encore plus fortement le nombre d’apprenants du français à travers le monde. Et ce, au bénéfice économique et géopolitique de la France, mais aussi au bénéfice de tous les peuples et pays francophones du monde.
Quant au niveau géopolitique, justement, le caractère irrationnel de la politique française d’aide au développement s’explique également par le fait que l’écrasante majorité des pays de l’UE, malgré les aides massives versées chaque année par le contribuable français, vote régulièrement contre les positions françaises au sein des grandes instances internationales, au profit des États-Unis (auprès desquels ils se fournissent d’ailleurs presque exclusivement en matière d’armements lourds, alors que les richissimes pays du Golfe et les grandes puissances émergentes préfèrent souvent acheter du matériel militaire français…). Et ce, contrairement à la majorité des pays francophones, qui partage avec la France nombre de valeurs et d’orientations communes en matière de politique étrangère.
Ainsi, l’intérêt pour la France de consacrer une part aussi importante de ses aides et de son énergie aux pays de l’UE-13 se révèle donc extrêmement marginal, en comparaison avec les avantages économiques et géopolitiques qu’elle tirerait d’une nouvelle répartition plus favorable aux pays du monde francophone. En d’autres termes, la prépondérance européenne dans les aides au développement ne fait incontestablement qu’affaiblir la France au niveau international, tant économiquement que géopolitiquement (les deux étant d’ailleurs, à terme, étroitement liés).
Certes, la France est une grande puissance mondiale, la deuxième ou troisième en tenant compte de tous les critères de puissance (économie, capacités militaires, technologie, industrie spatiale, influences diplomatique et culturelle, territoire maritime…). La France est territorialement présente sur quatre continents et militairement sur les cinq continents, notamment grâce à ses territoires d’outre-mer. Grâce à sa vaste zone économique exclusive (ZEE), elle compte non moins de 32 pays frontaliers à travers la planète (dont 21 uniquement par mer), ce qui constitue un record mondial, devant le Royaume-Uni (25 pays) et les États-Unis (18 pays).
En tant que puissance mondiale, la France se doit donc d’être financièrement présente sur tous les continents, y compris en Europe. Mais afin de consolider ce statut, la France doit privilégier le vaste monde francophone, où le retour sur investissement est bien supérieur, à travers les grandes opportunités économiques qu’il présente désormais, et grâce à sa contribution considérable à l’augmentation du nombre d’apprenants du français à travers le monde, du fait de sa double émergence démographique et économique. La langue étant le principal vecteur d’influence culturelle, avec, in fine, d’importantes répercussions économiques et géopolitiques, la France doit donc investir prioritairement dans son espace linguistique afin d’amplifier la progression de la langue française dans le monde, aussi bien au bénéfice de ses propres intérêts que de ceux de l’ensemble des pays et peuples francophones du monde.
Pourtant, les dernières évolutions de la politique française d’aide au développement ne permettent guère de déceler un réel changement d’attitude, et encore moins de paradigme, de la part des autorités françaises. De toute façon, tant que le monde francophone continuera à ne recevoir qu’un cinquième du total des aides versées par l’Hexagone à des pays tiers, et tant que l’espace composé par les pays francophones du Sud recevra proportionnellement à sa population six ou sept fois moins d’aides que l’ensemble composé par les pays de la partie orientale de l’UE, toutes les déclarations officielles en faveur de la « francophonie » ou de la « francophonie économique » ne seront guère à prendre au sérieux.
Mais toute redéfinition en faveur du monde francophone de la politique française d’aide au développement, au nom des intérêts économiques et géopolitiques de la France, grande puissance engluée, anesthésiée, par les obligations liées à son appartenance à l’UE, ne pourra se faire qu’à travers une redéfinition en profondeur du fonctionnement de celle-ci. Voire, si nécessaire, et même probablement, une sortie pure et simple de cet ensemble qui ne fait que l’épuiser financièrement et l’affaiblir, en l’éloignant du monde francophone, et donc en l’alignant sur les intérêts économiques de l’Allemagne et économico-géopolitiques des États-Unis (notamment à travers une politique hostile à la Russie et une anglicisation forcenée, à laquelle échappent, à leur plus grand bénéfice, la Chine, la Russie et bien d’autres puissances).
Par ailleurs, ce manque d’intérêt des gouvernants français pour le monde francophone, et leur repli sur l’Union européenne, ont donc naturellement des répercussions fort négatives sur le niveau d’intérêt des Français eux-mêmes, qui, maintenus à l’écart, ignorent pratiquement tout de ce vaste espace. À titre d’exemple, la quasi-intégralité de la population française ne sait rien des Jeux de la Francophonie qui se tiennent tous les quatre ans (contraste frappant avec la couverture médiatique dont jouissent les Jeux du Commonwealth au Royaume-Uni), de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire (qui n’est autre que le plus grand édifice chrétien au monde, quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome), du concours musical « The Voice Afrique francophone » (qui fût dans sa saison 2016-2017, relayée par certains médias nationaux africains, le plus grand concours musical au monde en termes d’audience cumulée, avec son équivalent arabophone), ou encore du peuple acadien, que bon nombre de Français situent en Louisiane…
Le cas des Jeux de la Francophonie constitue d’ailleurs un exemple fort révélateur de la stratégie menée en vue de maintenir la population française dans l’ignorance. En effet, les derniers Jeux de la Francophonie, organisés en 2023 à Kinshasa, plus grande ville francophone du monde, ont fait l’objet d’une censure totale de la part des médias audiovisuels et de la presse écrite destinés à la population française (à ne pas confondre avec les médias essentiellement destinés à l’étranger, qui ne peuvent se permettre pareille censure, et dont le contenu diffère donc parfois considérablement).
Cette censure totale et systématique des grands événements francophones, y compris par l’ensemble des médias publics, et digne des régimes les plus totalitaires de la planète, ne peut bien évidemment avoir lieu que suite à des instructions reçues de la part des plus hautes autorités du pays. Une attitude qui s’inscrit dans le cadre d’une volonté politique incontestable de couper le peuple français du monde francophone, menée avec acharnement par les européistes et atlantistes qui dirigent le pays depuis bientôt 20 ans. Et ce, afin de dévaloriser la France aux yeux de la population française, en lui faisant oublier son appartenance à un vaste espace linguistique, dans le but de lui faire accepter le maintien du pays au sein de l’Union européenne et de l’OTAN.
Deux ensembles présentés alors comme nécessaires, et même vitaux, pour une pauvre France qui ne pourrait rien faire “seule”. Or, cette large méconnaissance de la grande famille francophone et de sa dimension mondiale, et outre le fait de priver nombre d’investisseurs et de représentants de la société civile de multiples opportunités d’échange et de partenariat mutuellement bénéfiques, a pour conséquence préjudiciable de réduire considérablement l’attachement des Français à leur langue. Eux, qui n’ont jamais été si peu intéressés par la promotion et la diffusion de celle-ci à travers le monde, alors même qu’elle n’a jamais été autant parlée et apprise.
Et ce, au grand étonnement des francophones extra-européens, auxquels est aujourd’hui entièrement attribuable la progression constante de l’apprentissage du français hors espace francophone, face à une France qui est désormais clairement un frein, et même un obstacle, en la matière (et dont l’inconscience des graves conséquences économiques et géopolitiques de pareille attitude dénote une évidente immaturité).
Une ignorance française au sujet de l’espace francophone qui s’oppose d’ailleurs à la plus grande culture qu’ont les Britanniques de leur espace linguistique, et qui explique en bonne partie leur attachement viscéral à leur langue, à sa défense et à sa diffusion. Au nom de leurs propres intérêts, les francophones situés en dehors du continent européen ne doivent plus se laisser influencer par l’attitude néfaste des francophones d’Europe, et notamment de France, en matière de promotion de la langue française, et devraient plutôt s’inspirer du modèle québécois (et des Anglo-Saxons) en faisant respecter leur langue commune au sein des différentes organisations régionales et internationales, politiques, économiques, culturelles et sportives, dont ils font partie ou avec lesquelles ils sont en étroite collaboration (et notamment au niveau de l’Union africaine et dans le cadre de leurs relations avec l’Union européenne, d’autant plus que l’Afrique francophone est la partie la plus dynamique économiquement, la moins endettée et la plus stable du continent).
De grands efforts sont donc à accomplir en France afin de rattraper un retard considérable en matière d’information et d’éducation. Par ailleurs, l’émergence démographique et économique de l’Afrique francophone devrait en toute logique s’accompagner, à terme, du transfert d’un certain nombre d’institutions panfrancophones des villes du Nord vers celles du Sud, et notamment vers Kinshasa et Abidjan, respectivement première et troisième ville francophone du monde.
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