Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Niger. Il n’échappe à personne que l’Afrique centrale et l’Afrique occidentale furent ébranlées par plusieurs coups d’Etat, et cette vague se poursuit avec des bouleversements profonds dans les opinions. Dans les cas que nous citons, les militaires ont été portés au pouvoir sous les acclamations de la population, et les opinions publiques les soutiennent parfois contre les pouvoirs en place, et ce depuis des décennies.
Toutefois, au cœur des reproches, notamment au Niger, la France a fait l’objet d’un rejet important et humiliant, surtout à cause de ses interventions contre les groupes armés en particulier, et le terrorisme en général, dont beaucoup ont subi des échecs.
Au jour d’aujourd’hui, même si la France a achevé le 22 décembre 2023 le processus de retrait de ses troupes stationnées au Niger, accompagné de la décision de fermer ses ambassades dans la capitale Niamey, ce retrait, qui intervient après une série de retraits antérieurs au Mali et au Burkina Faso, n’a pas résolu la polémique sur l’avenir des cinq bases militaires françaises permanentes restant en Afrique (notamment au Tchad, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon et à Djibouti) en faveur de l’option d’une sortie globale du continent noir.
Les opinions françaises rejetant l’idée d’une sortie globale varient entre les points de vue qui n’acceptent pas de faire de la France un bouc émissaire responsable des échecs des projets nationaux africains après la fin du colonialisme sous l’influence de la propagande russe, et d’autres points de vue qui estiment qu’il ne faut pas négliger les demandes de certains gouvernements africains qui souhaitent toujours la poursuite de la coopération militaire avec le pays de l’hexagone.
Les scénarios les plus réalisables
La série d’options avancées pour évoquer et débattre de l’avenir des bases militaires françaises en Afrique peut être résumée comme suit:
• Poursuite de l’intervention militaire en Afrique
Cette option soutient la poursuite des interventions militaires répétées de la France en Afrique lorsque cela est nécessaire, et ne met pas un terme définitif aux opérations extérieures menées par les forces spéciales. Derrière cette option se trouve le lobby militaire français, qui, selon un livre intitulé « Entrer en guerre au Mali » sous la direction de Grégory Daho, était à l’origine du revirement de François Hollande en faveur de la poursuite de l’opération militaire au Mali en août 2014.
Le lobby militaire adopte cette option pour des raisons liées à sa vision historique du rôle de la France et de son héritage colonial, et aux idées de l’ancien ministre français de la Guerre, Hubert Lyauty, selon lesquelles les invasions, notamment en Afrique, occupent une place importante au sein de l’imaginaire collectif militaire. Les partisans de cette option considèrent également que le retrait de la France du Continent africain la transformerait de puissance majeure en puissance moyenne dans la structure du système international.
• Rester dans la non-ingérence dans les affaires intérieures
Cette approche met l’accent sur la nécessité pour les Français de « ne pas se retirer d’Afrique », compte tenu des énormes ressources naturelles dont dispose l’Afrique, ce qui lui confèrera un rôle central dans l’économie mondiale à moyen terme.
Même si l’Afrique ne représente pas plus de 5 % du volume du commerce international de la France, le livre de Philippe Saint Marco intitulé « L’Afrique noire, un rêve français » montre que l’Afrique reste toujours « un rêve pour les Français ».
Malgré le risque de propagation du sentiment anti-français dans diverses régions d’Afrique sous l’influence de la propagande russe, ceux qui partagent cette opinion estiment que les racines profondes des liens culturels qui unissent la France à ses anciennes colonies sauront résister à cette campagne. Ils doutent également de la capacité de la Russie de Poutine à conquérir les Africains, à long terme, d’autant plus qu’elle n’a pas réussi à retrouver son influence en Europe de l’Est.
L’erreur la plus grave commise par la France, selon eux, a été l’adoption de la politique néoconservatrice américaine de changement de régime par la force, à laquelle elle a participé lors du renversement du régime de Kadhafi en Libye. Son échec ultérieur à restaurer la sécurité dans le Sahel africain a conduit à un sentiment de méfiance croissant parmi les habitants de cette région. Ainsi, la France doit désormais « s’abstenir de donner des leçons sous prétexte de défendre la démocratie ».
• L’option du retrait unilatéral
L’essentiel de cette opinion est que la multiplication des manifestations anti-françaises en Afrique francophone fait que, les Africains n’aiment plus la France. La France doit donc quitter l’Afrique et se débarrasser de cette présence devenue un fardeau, en plus de contribuer à détourner l’attention de la France vers l’Europe. Ces opinions ne peuvent tolérer de voir la France insultée par la jeunesse africaine, d’autant plus que la France a – de leur point de vue – beaucoup donné à l’Afrique à plusieurs niveaux. Cette tendance se traduit actuellement par des demandes d’arrêt de l’aide économique et de développement aux pays africains qui ont exigé le retrait militaire français, en plus de restreindre l’octroi de visas aux citoyens de ces pays et d’œuvrer à leur retrait de l’Organisation des pays francophones.
• Traiter séparément chaque cas africain
Ce point de vue estime qu’au regard des règles françaises en Afrique, la volonté des dirigeants des pays africains et de leurs peuples doit être respectée, même si elle est de facto. Dans ce contexte, l’ancien ministre français Hubert Védrine avait estimé que la France ne doit rester dans aucun endroit d’où on lui demande de quitter. Si la France n’est plus désirable, elle n’a pas la légitimité nécessaire pour rester, mais le retrait doit se faire après avoir assuré la protection de ses citoyens. C’est donc aux gouvernements africains de décider ce qu’ils veulent, que ce soit au Tchad, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou à Djibouti, notamment sur la question du partenariat militaire.
• Adopter l’option de la « juste distance »
Cette dernière option consiste à trouver une nouvelle façon de traiter ce qu’on appelle la « juste distance » et c’est l’option préconisée par le rapport de la commission des Affaires étrangères du Parlement français sur les relations entre la France et l’Afrique, datée du 8 novembre 2023, qui estimait que ne pas mettre un terme à la politique du « double normes » suivies par la France en Afrique, rend la politique française dans cette région confuse.
Il est vrai que le président français Emmanuel Macron avait promis de tourner la page des relations troubles entre la France et l’Afrique au profit d’une stratégie axée sur la coopération avec les sociétés civiles, mais sa présence aux funérailles d’Idriss Deby Itno au Tchad en 2021, aux côtés de son fils et successeur, le général Mahamat Idriss Deby, dans une scène présentée comme une bénédiction française pour une transition politique familiale en dehors de toute légitimité constitutionnelle, « n’a pas réussi à enterrer l’image d’une France alliée aux régimes autoritaires ».
Facteurs spécifiques quant au sort du reste des bases militaires française en Afrique
Il est certain que la détermination de l’avenir des bases militaires françaises en Afrique est liée à un certain nombre de facteurs clés que nous pouvons énumérer comme tels:
1- Dynamique sécuritaire régionale
Selon les chiffres de l’Armed Conflict Location & Event Data Project – ACLED (une organisation non gouvernementale spécialisée dans la collecte, l’analyse et la cartographie de crise de données désagrégées sur les conflits), le niveau de violence politique a augmenté de 42% au cours du premier mois du règne de la junte militaire au Niger, qui s’est retourné contre Mohamed Bazoum en juillet 2023. Au Mali, au cours de l’année 2022, les décès résultant des violences politiques ont augmenté de 150 %. Le rapport de l’ACLED indique que l’arrivée de Wagner au Mali a été un facteur majeur dans l’escalade de la violence en 2022, et certains rapports indiquent qu’il est devenu possible de « se déplacer de la Mauritanie au Tchad sans passer par les zones contrôlées par l’État ».
Ainsi, contrairement aux pays qui ont rejeté la présence militaire française sur leur territoire, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, il existe aujourd’hui d’autres pays, comme le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, qui commencent à sentir le danger des groupes terroristes se développant sur leurs territoires. Ces pays pourraient donc demander l’aide de l’État français pour faire face à ce danger, et s’ils ne sont pas convaincus des mécanismes de partenariat militaire que la France peut leur offrir, la France pourrait se voir contrainte de quitter ces pays dont les attentes sont de doter leurs armées d’une compétence militaire supplémentaire qu’elles ne possèdent pas, comme la gestion de nouveaux systèmes d’armes, comme les drones et les missiles qui sont du matériel que la France, dans l’étape précédente, hésitait à offrir aux armées africaines coopérant avec elle, et c’est ce qui leur est devenu possible grâce à ce que lui apportent les Turcs et les Israéliens.
• Divergence dans les relations bilatérales
Une divergence dans les relations diplomatiques entre la France et certains pays africains pourrait influencer les décisions concernant les bases militaires françaises en Afrique. Ainsi, la multiplication des accords bilatéraux et des cadres de coopération peut figurer parmi les facteurs à prendre en considération pour prolonger la présence militaire française en Afrique, et la réduction du nombre de soldats français en Afrique peut contribuer à rassurer l’opinion publique africaine face au déclin de la la capacité française à influencer les situations internes africaines. Par exemple, en Côte d’Ivoire, le nombre de forces françaises présentes sera réduit de 950 soldats à 500 en décembre 2023, puis à 400 à l’été 2024. Les soldats français seront remplacés par des militaires ivoiriens afin de mettre un terme aux allégations d’influence française sur les processus de vote lors des élections présidentielles de 2025.
La France doit également trouver une solution aux demandes de formation qu’elle reçoit de ses partenaires africains. En 2022, l’armée française n’a pu accueillir sur son territoire que 487 stagiaires africains sur 1 689 demandes reçues, alors que les Russes et les Turcs en ont reçu plusieurs fois plus. La France doit également répondre aux demandes financières qu’elle reçoit de ses partenaires, comme demander aux autorités djiboutiennes de revoir l’accord de Défense commune afin d’augmenter le montant de la contribution annuelle que la France verse en échange de l’occupation de sa base militaire sur son territoire pour atteindre 30 millions d’euros annuels au lieu de 25,7 millions d’euros en 2021.
• L’impact des variables politiques internes à la France
Au niveau français, les revendications des parlementaires et de l’élite française pourraient constituer un facteur de pression sur l’avenir de la présence militaire française en Afrique, à l’image des revendications des parlementaires français lors d’une séance consacrée à discuter de la stratégie de la France en Afrique, qui a eu lieu le 21 novembre 2023, pour sortir la politique étrangère du champ des compétences attribuées au Président de la République.
La patronne du mouvement d’extrême droite, Marine Le Pen, a également estimé, lors de cette séance, que la politique africaine de la France à l’époque d’Emmanuel Macron était absente et pleine de contradictions, tandis que d’autres représentants de droite estimaient que la politique africaine lancée par Macron dans son discours à Ouagadougou avait clairement échoué.
Ils ont recommandé de changer de méthode et de ne pas limiter le mécanisme de décision seulement à l’Élysée, tandis que de nombreux représentants de gauche ont appelé à un renforcement du rôle du Parlement dans l’élaboration de la politique étrangère française. Un rapport parlementaire a également souligné le manque d’expérience des participants dans l’élaboration de la politique étrangère française en Afrique, appelant à la création d’un département « Afrique » au sein du ministère français des Affaires étrangères et à la sélection d’ambassadeurs de France en Afrique parmi les membres des communautés africaines en France.
• Interactions internes africaines avec le rôle de Paris
Des variables internes peuvent affecter les perspectives de survie du déploiement militaire français. Par exemple, certains rapports indiquent que l’hypothèse d’une expulsion de la France du Tchad est plus que réaliste, car de récents sondages d’opinion au Tchad montrent un déclin du soutien populaire à la présence française, compte tenu de l’intervention de Paris pour stopper les attaques rebelles et les bombarder avec ses avions, comme cela s’est produit en 2019. Un référendum constitutionnel est prévu en décembre 2023 et des élections présidentielles auront lieu fin 2024. Même s’il est fort probable que Deby remporte les élections, cependant, cela n’exclut pas la survenue d’un nouveau coup d’État militaire qui pourrait conduire à forcer les Français à quitter le Tchad.
• Les limites de l’adaptation de Paris à la diversification de la coopération sécuritaire
Les Africains s’efforcent de diversifier leurs partenariats dans divers domaines, et si la France ne s’adapte pas à cette réalité et continue d’insister sur l’exclusivité des relations sécuritaires et économiques avec les pays africains, elle pourrait se voir contrainte de laisser de nouvelles places dans son arrière-cour.
La diversification de la coopération s’est déjà produite à Djibouti, où il existe plusieurs bases militaires en plus des bases françaises, et il semble que ceci risque de se répéter au Tchad.
Une force hongroise de 200 à 400 soldats devrait arriver mi-2024, ce qui semble avoir surpris les dirigeants français, tandis que des sources officielles tchadiennes ont confirmé que le départ des Français n’est pas à l’ordre du jour, « mais nous travaillons à diversifier nos partenaires ».
Quant au Sénégal, il cherche également à diversifier ses partenariats sécuritaires, notamment avec la Turquie et les États-Unis, et à ne pas les limiter seulement à la France.
• La capacité de Paris à absorber l’opinion locale en Afrique
Les opinions des citoyens des pays africains où sont situées les bases militaires françaises, peuvent influencer les décisions des gouvernements africains de conserver ou de demander à ces bases de quiller les lieux, ainsi les efforts français tentent donc d’étudier les raisons qui ont conduit à l’échec de la conquête de l’opinion publique africaine dans certains pays du Sahel, alors qu’entre 2020 et 2022, la France a accordé un montant estimé à 15,5 milliards d’euros au continent africain, sous forme de prêts et de dons.
Certains avis suggèrent que les politiques qui ont supervisé cette aide au développement étaient erronées et d’une efficacité douteuse, et que l’Agence française de développement (AFD) devrait être réformée, étant donné qu’une large partie de l’opinion publique africaine considère que l’aide accordée à travers cette agence n’est qu’un moyen français pour favoriser la survie des régimes politiques existants. Les chiffres montrent également qu’environ 30 % de ces financements accordés ont été consacrés à de grands projets d’infrastructures, alors qu’ils auraient pu être investis. Les petits projets peuvent être mis en œuvre rapidement et leurs résultats sont clairement visibles à court terme pour les résidents locaux.
En fin de compte, la reconsidération par la France de la question de sa présence militaire en Afrique doit donc tenir compte de deux approches contradictoires:
• si elle continue à y rester, elle sera critiquée pour son ingérence dans les affaires intérieures des pays africains,
• et si elle se retire, elle sera attaquée pour avoir éludé ses responsabilités.
Ainsi, pour prendre la bonne décision, la France doit trouver la juste distance entre ces deux approches..
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