Manon Laplace
Africa-Press – Niger. Plus de cent jours après le coup d’État qui a renversé Mohamed Bazoum à Niamey, l’opération envisagée par l’organisation ouest-africaine semble définitivement écartée.
La menace a été brandie aux premières heures du putsch. Ce mercredi 26 juillet, Niamey s’éveille aux bruits des bottes de la garde présidentielle. Au petit matin, le corps d’élite censé assurer la sécurité du président Mohamed Bazoum s’est retourné contre lui et en a fait son otage.
À un millier de kilomètres au sud de la capitale nigérienne, le président béninois Patrice Talon est en visite officielle à Abuja auprès de son homologue nigérian, Bola Tinubu. Premiers chefs d’État de la région à réagir, les deux hommes, qui scellent le réchauffement des relations entre leurs deux pays, font front commun face aux putschistes nigériens et optent pour la fermeté.
« Tous les moyens seront utilisés pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger, mais l’idéal serait que tout se fasse dans la concorde. Les actions de médiation seront renforcées ce soir même pour que la situation s’arrange dans la paix », déclare d’emblée Patrice Talon depuis le perron du palais présidentiel nigérian.
Oppositions internes au Nigeria
Dès le 10 août, les dirigeants de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) réunis à Abuja, mettent officiellement l’option militaire sur la table afin de rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions. Ordre est donné de mobiliser « immédiatement » la « Force en attente » de l’organisation sous-régionale et de déployer ses éléments.
Pourtant, déjà, la donne a changé. Bien sûr la voie diplomatique demeure l’option privilégiée et le recours à la force ne sera retenu qu’en dernier recours, répètent les chefs d’État de la région. Mais dans les faits, la possibilité d’une intervention armée s’éloigne.
« Bola Tinubu et Patrice Talon ont brandi la menace d’une intervention militaire au premier jour du putsch. Le 26 juillet, l’armée du Niger n’avait pas encore rallié les putschistes de la garde présidentielle et menaçait, avec la garde nationale d’attaquer les mutins. Ce jour-là, la rue de Niamey s’était aussi mobilisée en faveur de Bazoum », rappelle un proche de Patrice Talon.
Le ralliement de l’armée aux tombeurs du président nigérien menés par le général Tiani dès le 27 juillet et les mobilisations populaires en faveur des putschistes dans les rues de Niamey sont un premier coup pour les partisans d’une ligne dure au sein de la Cedeao.
Les réticences internes auxquelles se heurte Bola Tinubu n’arrangent rien. La représentation parlementaire nigériane se montre frileuse à l’idée d’une intervention armée au Niger. Plus encore, le chef de l’État fait face à l’opposition farouche des notables du Nord du pays, déjà ébranlé par l’activité des groupes armés, et qui ne veulent pas d’un nouveau conflit à leur porte.
Voix dissonantes au sein de la Cedeao
S’ajoutent à cela des dissensions au sein même de la Cedeao. Le Togo de Faure Gnassingbé, rare pays membre qui entretient des relations amicales avec ses voisins putschistes, notamment Assimi Goïta au Mali, s’oppose à l’idée d’une intervention militaire. En coulisse du moins. « Lors de la réunion des chefs d’États de la Cedeao, le 30 juillet, il n’y a pas eu la moindre voix discordante. Pas même celle du président togolais », tacle le collaborateur d’un chef d’État présent ce jour-là.
Lomé, qui mène une discrète médiation en parallèle avec les putschistes nigériens, ne manque pourtant pas de faire publiquement part de sa position quelques semaines plus tard. À la tribune des Nations unies, en septembre, Robert Dussey, le chef de la diplomatie togolaise, s’exprime sans détour.
« La guerre est une négation de la dignité de la personne humaine. Le Togo est un pays de paix, et le Togo s’oppose à la guerre quelles que soient ses raisons. Depuis notre indépendance, jamais le Togo n’a fait la guerre à ses voisins, jamais le Togo n’a agressé ses voisins ou un quelconque pays, jamais le Togo n’a servi de base arrière pour une quelconque agression contre un pays frère. »
Rappel des soldats à Cotonou
Plus de trois mois après le coup d’État, et alors que Mohamed Bazoum est toujours séquestré à Niamey, l’idée d’une intervention armée au Niger semble définitivement enterrée.
Les tenants de la ligne dure, au premier rang desquels le Nigérian Bola Tinubu, l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Sénégalais Macky Sall et le Béninois Patrice Talon, sont notamment freinés par leur propres états-majors. Au mois d’août pourtant, le déploiement de la force de la Cedeao semblait en marche.
Au Bénin, dès la mi-août, 1 500 soldats sont positionnés à Bembéréké, dans le Nord du pays, à quelque 200 kilomètres de la frontière nigérienne. Des contingents des armées de terre sénégalaise et ivoirienne doivent les y rejoindre. Prêts à intervenir au Niger quand l’ordre sera donné, les troupes au sol bénéficieront de l’appui aérien du Nigeria. Mais il n’en sera rien. Les soldats sénégalais et ivoiriens n’arriveront pas, et les Béninois seront démobilisés et renvoyés dans leurs casernes à la mi-septembre.
« Les chefs d’État de la Cedeao se sont heurtés à leur hiérarchie militaire, globalement défavorable à l’intervention », fait savoir un haut gradé ouest-africain, aux avants-postes de l’organisation de l’intervention.
Dans l’ensemble de la sous-région, l’idée d’une intervention armée au Niger divise les armées nationales. « Il ne s’agissait pas d’attaquer un ennemi extérieur, mais leurs frères d’armes avec qui certains partagent des liens ethniques ou ont été formés. Il y a eu des réticences importantes », commente l’officier.
« Fantasme » de l’intervention
Alors que des tentatives de médiations sont de nouveau lancées depuis Abuja, l’option militaire s’est progressivement étiolée. Au point de commencer à démobiliser les contingents de la force en attente de la Cedeao. Comme l’a récemment révélé Jeune Afrique début novembre, Alassane Ouattara a lui aussi décidé de démobiliser, à compter de ce 6 novembre, les 700 à 800 soldats ivoiriens prévus pour l’intervention.
Si aucune annonce officielle n’a été faite en ce sens, l’option armée pour rétablir Mohamed Bazoum est déjà un lointain souvenir, souffle-t-on dans les couloirs d’un palais présidentiel de la région. « Après plus de cent jours en captivité, comment voudrait-on encore rétablir Mohamed Bazoum ? Et si on le faisait, qui pourrait-il bien gouverner ? »
De quoi conforter la junte au pouvoir à Niamey. Présent au sommet sur la paix et la sécurité organisé à Lomé en octobre, le général nigérien Mohamed Toumba, ministre de l’Intérieur, qualifiait de « fantasme » l’intervention de la Cedeao. Et d’ajouter que « militairement, on sait que c’est impossible […] sauf si c’est pour venir chercher le cadavre [de Mohamed Bazoum] ».
Source: JeuneAfrique
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