La Turquie Vise L’Uranium du Niger Après le Retrait des Licences Françaises

52
La Turquie Vise L'Uranium du Niger Après le Retrait des Licences Françaises
La Turquie Vise L'Uranium du Niger Après le Retrait des Licences Françaises

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Niger. La visite effectuée à Niamey, par le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, le mercredi 17 juillet 2024, est venue refléter l’intérêt croissant de la Turquie pour l’expansion de son influence et de sa présence stratégique au Sahel et en Afrique de l’Ouest, notamment à travers la grande porte du Niger, à partir de laquelle Ankara cherche à sécuriser son accès à l’uranium nigérien pour garantir la continuité de son industrie nucléaire émergente, à la lumière des changements fondamentaux dans les relations du Niger avec certains acteurs internationaux, notamment la France et les États-Unis, qui laissent la voie ouverte à leurs concurrents stratégiques, comme la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, pour combler le vide.

Cette visite tire son importance de plusieurs aspects:

• D’abord le timing

Une visite qui intervient à un moment charnière que traverse la région du Sahel suite à l’annonce de l’inauguration de la Confédération des pays du Sahel le 6 juillet 2024 par le Niger, le Mali et Le Burkina Faso, qui se sont retirés de la CEDEAO en janvier 2024, sur fond de spéculations, en remodelant l’équilibre des pouvoirs internationaux et régionaux au Sahel, coïncidant avec le déclin de l’influence occidentale, notamment française, dans la région en échange de la montée de la présence russe.

Il est donc clair que les pays de la nouvelle alliance tripartite, et en particulier le Niger, doivent élargir le cercle de leurs alliances internationales afin de maximiser leurs intérêts vitaux sur certaines questions, comme la guerre contre le terrorisme et le développement économique.

• Puis la nature de la délégation turque accompagnant le ministre des Affaires étrangères turc

Cette délégation était composée du ministre de la Défense Yaşar Guler, du directeur des renseignements nationaux turcs Ibrahim Kalin, du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Alp Arslan Bayraktar, du vice-ministre du Commerce, outre le chef des industries de défense Haluk Gurgun, ce qui reflète que les objectifs de la visite sont liés au renforcement de la coopération en matière de sécurité qui assure la promotion des industries d’armement turques au Niger et dans la région. Outre la coopération économique et commerciale et l’assurance énergétique pour la Turquie, ils constituent des passerelles vitales pour renforcer l’influence turque au Niger et dans la région en général.

Considérant que les déplacements turcs dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest révèlent leur vision globale de l’Afrique comme une arène stratégique à travers laquelle ils cherchent à acquérir un statut et un rôle aux niveaux international et régional, cependant, Ankara risque de se heurter à la résistance de certaines forces actives qui considèrent l’influence turque comme une menace pour ses intérêts vitaux dans la région.

Par ailleurs, il faut reconnaître que cette poussée turque vers le Niger intervient quelques semaines après la publication d’informations selon lesquelles l’Iran, étouffé par les sanctions internationales, chercherait à conclure un accord lui permettant d’obtenir d’importantes quantités d’uranium du Niger après que les autorités de transition nigériennes ont fermé les sociétés occidentales travaillant dans ce domaine et résilié leurs contrats.

Dans cette optique, les analystes estiment qu’Ankara a fait une offre à la junte militaire au Niger basée sur l’envoi d’équipements militaires avancés et de personnel militaire de haut niveau pour former l’armée nigérienne en échange de fournitures d’uranium.

• Le développement des relations turco-nigériennes au cours des dernières années et leurs différents aspects

Il importe de rappeler qu’il existe de nombreuses tendances et dimensions dans le développement des relations turco-nigériennes au cours des dernières années, et les dimensions les plus importantes du rapprochement entre les deux pays peuvent être énumérées comme suit:

1- L’importance stratégique du Niger

À la lumière des efforts turcs pour être présents à proximité des scènes d’événements régionaux, tant à l’intérieur de l’Afrique que dans les zones stratégiques du voisinage, l’importance géostratégique du Niger pour Ankara est soulignée, d’autant plus qu’il est considéré comme le plus grand pays du Sahel géographiquement et se trouve au milieu d’une région importante dans laquelle il est considéré comme un lien entre l’Afrique du Nord et les pays d’Afrique subsaharienne, d’autant plus qu’il partage des frontières avec 7 pays de la région, y compris ses frontières directes de voisinage avec la Libye, qui représente un axe important de la politique turque au Moyen-Orient et en Afrique, et est également un point de passage important pour les eaux chaudes grâce à son voisinage direct avec l’Algérie (afro-méditerranéenne) et le Nigeria (afro-atlantique), lui procurant de nombreux avantages stratégiques pour maximiser ses intérêts vitaux dans la région.

Ainsi, on peut dire que la présence turque au Niger assure le bénéfice des richesses et des ressources naturelles et minérales dont bénéficie Niamey, comme l’or et l’uranium, d’autant plus qu’elle possède environ 5% de ses ressources mondiales, et qu’elle figure également parmi les 10 plus grands exportateurs d’uranium dans le monde, selon l’Association nucléaire internationale. Outre l’implication de la Turquie dans toute initiative régionale ou internationale concernant la sécurité régionale au Sahel et le processus d’intégration régionale, notamment avec l’annonce de deux projets de connectivité régionale:

1.1 Le corridor commercial continental tuniso-libyen, annoncé en août 2023, et qui relie les deux pays à cinq pays du Sahel, dont le Niger,

1.2 L’Initiative atlantique lancée par le Maroc en novembre 2023 dans le but de permettre aux pays du Sahel d’accéder aux eaux chaudes de l’océan Atlantique. Cela double l’intérêt international, notamment turc, pour le Niger.

• 2- Relations politiques et diplomatiques croissantes

Malgré le rapprochement constant entre Ankara et Niamey depuis la dernière décennie, notamment après l’ouverture de l’ambassade de Turquie en 2012, Ankara a intensifié ses relations politiques et diplomatiques avec la junte militaire depuis son arrivée au pouvoir, et cela était évident dans le rejet par la Turquie de la menace d’intervention militaire du bloc de la CEDEAO au Niger, sur fond de répercussions du récent coup d’État militaire qui a éclaté dans le pays en 2023, faisant d’Ankara un allié fiable pour la nouvelle armée au pouvoir, d’autant plus qu’il n’a pas adopté de position hostile à l’égard du coup d’État.


La délégation reçue par le président de transition Abderrahmane Tiani

Cela a été suivi d’un échange de visites officielles entre responsables des deux pays, comme la récente visite du ministre turc des Affaires étrangères et sa rencontre avec le président de transition, Abderrahmane Tiani, et son premier ministre, Ali Lamine Zain, qui a fait une déclaration officielle à l’issue de sa visite à Ankara en janvier 2024 pour tenter d’élargir le cercle des alliances internationales du Niger dans le but d’atténuer les pressions régionales et internationales du bloc de la CEDEAO et de l’Occident.

• 3- Aspiration à renforcer les relations économiques

Il n’échappe pas aux observateurs qu’Ankara considère le Niger comme un vaste marché pour offrir des produits turcs et les promouvoir au niveau régional dans les pays voisins, notamment à la lumière des efforts turcs visant à créer un centre régional dominant sur les marchés de consommation de la région, y compris l’expansion des exportations d’armes turques dans la région, profitant du contexte sécuritaire régional turbulent en raison de la propagation des organisations terroristes et de l’escalade des troubles et des conflits politiques et frontaliers.

Dans ce contexte, on constate que les entreprises turques sont actives au Niger dans un certain nombre de secteurs, notamment l’énergie, les minéraux, les services et la sous-traitance.

C’est ainsi que parmi les projets les plus importants mis en place par les Turcs figurent:

3.1 – Le développement de l’aéroport de Niamey, d’une valeur de 152 millions de dollars, géré par la société turque « Suma » pour une période de 25 ans,

3.2 – Une installation de production de bouteilles de gaz liquéfié par la société « Repcon »,

3.3 – Exploration de plusieurs champs miniers du pays, notamment Kolbaga-1, Kolbaga-2 et Dars Salam-2 au sud-ouest du Niger.

D’autres entreprises turques pourraient tenter d’entrer comme alternative aux entreprises françaises et canadiennes qui ont été expulsées du marché de l’uranium du pays, améliorant ainsi les gains économiques d’Ankara au cours de la prochaine étape, en plus de garantir qu’elle obtienne l’uranium dont elle a besoin pour ses industries..

Malgré la faiblesse des échanges commerciaux entre les deux pays, ces échanges ont connu une augmentation au cours des deux dernières années, le volume des échanges bilatéraux entre les deux pays a diminué à 58 millions de dollars en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, contre environ 72 millions de dollars en 2019, avant de passer à 85 millions de dollars en 2021, et de doubler pour atteindre 203 millions de dollars en 2023.

Considérant que le facteur économique est un élément important pour Ankara pour renforcer sa présence au Niger, cela s’est manifesté dans la récente visite turque dans l’intérêt de signer un certain nombre d’accords de coopération dans le domaine économique, comme la signature d’une déclaration d’intention entre les deux pays concernant la coopération dans le domaine du pétrole et du gaz naturel, on s’attend à ce que la prochaine étape soit marquée par une expansion des domaines de coopération économique entre les deux pays.

• 4- Renforcer la coordination en matière de sécurité et de défense

Certes, Ankara tente d’utiliser le développement de ses relations de sécurité et de défense avec le Niger pour promouvoir son modèle de guerre contre le terrorisme dans la région, qui a connu une escalade de l’activité des organisations terroristes ces dernières années, avec un échec régional et international à y éliminer les menaces à la sécurité.

Il s’agit là de renforcer son influence et de remplir un large espace stratégique au détriment de ses concurrents.

Ankara s’appuie sur son association aux accords de coopération en matière de sécurité et de défense avec la plupart des gouvernements africains de la région, dont l’accord de défense avec le gouvernement du Niger en 2020, afin de consolider son influence dans la région, ce qui garantit sa proximité avec certaines régions stratégiques comme la Libye. Cela a également été motivé par certains rapports indiquant qu’Ankara avait envoyé environ 1 500 mercenaires syriens au Niger depuis septembre 2023 pour sécuriser les quartiers généraux du gouvernement et de l’armée et participer à des missions de combat aux côtés des forces armées nigériennes dans le pays au lieu d’impliquer des soldats turcs, face à la volonté de la Turquie de ne pas répéter l’expérience française d’intervention militaire directe au Sahel depuis 2013, mais de s’appuyer plutôt sur l’apport d’un soutien logistique, notamment de drones, et de formation aux armées de la région.

Ankara tente également de devenir un fournisseur de systèmes d’armes et de formation militaire, et les entreprises turques s’efforcent de créer un environnement commercial pour une activité intégrée de fabrication d’armements et de produits militaires s’étendant du centre du Maghreb jusqu’aux côtes de l’Afrique de l’Ouest, y compris l’exportation de son expérience militaire dans le domaine des drones « Bayraktar » vers les pays du Sahel, dont le Niger, qui a reçu six avions, ainsi qu’un avion Horcus, et quelques véhicules blindés.

• 5- L’escalade du rôle de développement de la Turquie

La Turquie fait bon usage de son soft power et de son approche de développement pour conquérir les cœurs et les esprits des Africains, à travers plusieurs outils visant à renforcer l’influence turque, notamment certaines organisations non gouvernementales qui fournissent de nombreux activités caritatives, éducatives, et de développement. Les universités turques accueillent quant à elles un certain nombre d’étudiants nigériens pour étudier, et le Turkish Knowledge Endowment compte environ 13 écoles à travers le Niger avec environ 1 613 étudiants.

En plus, l’agence turque TIKA fournit certains services de santé, comme l’hôpital de l’amitié turco-nigérienne, qui fournit ses services médicaux depuis 2019, et d’autres services humanitaires.

• 6- A propos d’uranium nigérien

Il importe dans ce contexte, de rappeler que le Niger a mis fin au permis d’extraction et d’exploitation d’uranium accordé à la société nationale française d’énergie nucléaire « Orano », comme indiqué dans le communiqué publié par Orano, en juin dernier, indiquait que le gouvernement militaire du Niger avait mis fin au permis d’exploitation de la « mine d’uranium d’Imouraren », dans le nord du pays.

Imouraren est considéré comme l’un des gisements d’uranium les plus importants au monde, avec une réserve d’environ 200.000 tonnes, sachant qu’Orano a suspendu ses opérations lorsque le marché de l’uranium s’est effondré après la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011.

La Turquie cherche donc à exploiter ce qu’on appelle le « gâteau jaune » (l’uranium) pour assurer l’approvisionnement du réacteur d’Akkuyu, une centrale nucléaire située dans le sud de la Turquie, sur les bords de la mer Méditerranée, à 80 km au sud-ouest de la ville de Mersin, et à environ 100 km au nord de l’île de Chypre.

Selon la presse locale nigérienne, Ankara chercherait entre-autres à établir une base militaire turque dans la région d’Agadez, au nord du Niger, qui bénéficie d’une situation géographique stratégique, car en contact avec le Tchad, la Libye et l’Algérie.

La province d’Agadez est considérée comme un centre de mines d’uranium et les autorités de Niamey cherchent à la contrôler et à la protéger des attaques des rebelles et des mouvements armés.

Le Mot de la fin

Dans le cadre d’un soutien de la nouvelle « Alliance tripartite des Etats du Sahel », Ankara pourrait chercher à utiliser ses relations en développement avec le Niger pour renforcer les relations stratégiques avec les pays de la Confédération des pays du Sahel, qui comprend également le Mali et le Burkina Faso (et qui reste ouverte à d’autres pays), de manière à renforcer la légitimité de la nouvelle entité régionale.

La Turquie pourrait être poussée à accroître ses exportations d’armes en soutenant la coalition avec des armes turques pour lutter contre le terrorisme, qui reste la porte d’entrée la plus importante pour pénétrer sur la côte et y acquérir une plus grande influence stratégique.

Quant à l’escalade de la concurrence internationale dans le Sahel africain, on devrait s’attendre à ce que les puissances internationales et régionales se disputent les ressources et les richesses africaines, en particulier l’uranium, en profitant du besoin des pays de la région de nouveaux partenaires en dehors de l’Occident.

Il est probable donc que de nombreuses autres puissances seront impliquées aux côtés de la Turquie, ce qui pourrait intensifier la concurrence internationale dans ce pays et la question pourrait se transformer en affrontement à la lumière du conflit d’intérêts internationaux qui y règne, ce qui aura un impact négatif sur la sécurité et la stabilité du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.

Pour revenir à la visite effectuée par l’importante délégation turque à Niamey, on peut dire que cette visite entraînerait un certain nombre de répercussions potentielles aux niveaux local, régional et international, sur lesquelles nous reviendrons au moment opportun.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Niger, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here