Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Niger. La position de l’administration du président américain Joe Biden concernant le coup d’État militaire au Niger dépend de la nécessité de garder ses options ouvertes, car les Américains ont toujours l’espoir de transférer pacifiquement le pouvoir de l’armée à un nouveau gouvernement démocratique.
Indépendamment de l’évolution de la situation politique au Niger, les États-Unis pourraient trouver un moyen de travailler avec les forces armées nigériennes en raison des engagements et des intérêts américains importants dans la région sahélo-saharienne.
En même temps, la position américaine sur les coups d’État militaires au Mali et au Burkina Faso, et le rôle américain pour mettre fin aux combats en cours au Soudan, révèlent les limites du rôle américain dans la restauration de la démocratie au Niger, en aidant les pays du Sahel à se défendre contre les mouvements armés et en empêchant la Russie de profiter de l’instabilité des pays partenaires des États-Unis dans la région et à faire face aux organisations terroristes en Afrique.
Les Etats-Unis sont le pays ayant le plus profité de la crise du Niger
Les États-Unis ont adopté la même politique à l’égard du coup d’État militaire au Gabon comme ils l’ont fait à l’égard du coup d’État au Niger, en appelant à une solution pacifique, et comme le dit le dicton ils ont su tenir « le bâton au milieu ».
Selon les experts, les Etats-Unis n’ont pas soutenu le coup d’État, ni pris une position de boycott, ni évité de figurer sur la liste des ennemis des peuples des deux pays.
Les déclarations les plus récentes des responsables américains à ce sujet ont été celles du porte-parole du Pentagone, Patrick Ryder, selon lesquelles le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a eu un appel téléphonique avec son homologue français, Sébastien Lecornu, au cours duquel ils ont exprimé leur désir de parvenir à une « solution diplomatique », quant à la situation au Niger.
De même, John Kirby, le porte-parole pour la sécurité nationale à la Maison Blanche, a déclaré à son tour : « Nous recherchons toujours ce que nous pensons être des solutions diplomatiques qui pourraient être en mesure de garantir le respect des institutions démocratiques dans les deux pays, c’est-à-dire au Niger et au Gabon ».
Quant à la secrétaire d’État adjointe américaine aux Affaires africaines, Molly Phee, elle s’est rendue la semaine dernière chez les voisins du Niger, notamment le Nigeria et le Tchad, outre le Ghana, pour tenter de résoudre la crise qui dure depuis plus d’un mois.
En plus, des analystes politiques ont évoqué les gains obtenus par les Etats-Unis d’Amérique compte tenu de leur position ambiguë, qui leur a permis de maintenir leurs relations avec les putschistes y compris la présence de leurs forces estimées à 1.100 soldats au Niger.
Un général militaire proche des « Yankees » serait l’un des meneurs du coup d’État au Niger
Général de brigade Moussa Salaou Barmou
Les États-Unis n’ont cessé de revendiquer le droit du président nigérien Mohamed Bazoum de récupérer au plus vite son pouvoir et de condamner le coup d’État militaire perpétré par la garde présidentielle le 26 juillet dernier, cependant, la présence d’un nom particulier (Moussa Salaou Barmou) parmi les dirigeants responsables du coup d’État a suscité une controverse au sein de la communauté internationale.
En effet, dans les colonnes du journal américain « The Wall Street Journa », on pouvait lire que l’un des généraux nigériens les plus proches des États-Unis est l’un des dirigeants du coup d’État militaire, à savoir le général de brigade Moussa Salaou Barmou, qui est très proche de Washington qui a toujours fourni des témoignages positifs en sa faveur, sous prétexte qu’il luttait contre le terrorisme dans la région.
Moussa Barmou serait donc l’un des trois autres putschistes qui soutiennent le président de la période de transition au Niger, le général Abderrahmane Tchiani, sachant que Barmou fût nommé après le putsch « Chef d’État-major des forces armées nigériennes ».
Ce général, qui a reçu une formation aux Etats-Unis, est quelqu’un qui a travaillé en étroite collaboration avec les forces spéciales américaines pendant de nombreuses années.
Cela indique pourquoi la première tentative de communication après le coup d’État entreprise par des diplomates américains à Niamey, a été une rencontre avec lui (Moussa Barmou), et ceux qui l’ont rencontré ont parlé de « promesses » de ne pas traiter avec le groupe privé russe « Wagner ».
Pour rappel, Washington dispose d’une base militaire au Niger et craint qu’en cas de chaos, elle en soit affectée et perde ses intérêts.
Profits réalisés par Washington au Niger
Ci-après, selon les experts, ce qui peut être considéré comme des gains réalisés par Washington, contrairement à la France :
• Les Etats-Unis ont su maintenir un canal de communication actif avec les putschistes et ont nommé Kathleen Fitzgibbon comme ambassadrice à Niamey, mettant ainsi fin à deux ans d’absence diplomatique dans ce pays
• Les Etats-Unis ont misé sur Moussa Barmoo, formé à Fort Moore et à la National Defense University en Amérique, pour renforcer leurs futures relations avec le Niger
• Les Etats-Unis ont également maintenu leur présence militaire pour pouvoir contenir l’expansion des groupes armés dans la région du Sahel et y soutenir leurs capacités de renseignement
• Cette présence diplomatique et militaire leur permet ainsi d’empêcher Moscou de combler le vide, en surveillant l’activité du groupe Wagner, présent dans les pays voisins du Niger.
Position équilibrée
Grâce à sa stratégie, Washington a obtenus des gains que l’on peut résumer comme le dit le slogan « Ce qui n’est pas entièrement réalisé, ne peut être entièrement abandonné ».
Si l’on compare cela à la position de la France, on peut affirmer que Washington, contrairement à son allié Paris, n’a pas annoncé sa colère ni menacé d’intervention militaire, ni réduit l’aide à la sécurité et à la formation au Niger, ce qui conforte la présence de Washington au nom de la lutte contre le terrorisme et constitue une pierre d’achoppement à l’expansion russe.
L’impact de cette situation sur l’image de Washington au Niger, se résume ainsi :
• Sa position équilibrée a contribué à réduire la haine populaire à son égard et, ce faisant, elle a exporté le problème du côté français, qui tente par diverses manières de renverser les dirigeants du coup d’État.
• Le renforcement de sa présence pour maintenir son bénéfice des ressources minérales, et pour que son commerce ne faiblisse pas dans cette région riche en uranium.
La haine de nombreux Nigérians à l’égard de la France s’est manifestée dans les manifestations qui ont dénoncé ce qu’ils considéraient comme sa position hostile après le coup d’État, et scandé « A bas la France », tout en exigeant le départ de ses forces installées au Niger, sans que les slogans anti-américains n’apparaissent publiquement.
Stratégie américaine adoptée au Niger
Le président américain Joe Biden
La position de l’administration du président Joe Biden sur l’évolution du coup d’État militaire au Niger ne diffère pas beaucoup de la réponse américaine au processus de transition démocratique chancelant au Soudan, qui connaît une étape de détérioration à la lumière du conflit persistant entre l’armée et les Forces de soutien rapide, depuis le 15 avril dernier jusqu’à aujourd’hui. Les caractéristiques les plus marquantes de la démarche américaine actuelle pour faire face au développement du coup d’État militaire au Niger peuvent être énumérées comme suit :
• L’accent mis sur le rôle diplomatique
La position américaine face au coup d’État militaire contre le président Bazoum était basée sur une priorité particulière accordée aux efforts diplomatiques visant à restaurer le système démocratique et à libérer le président détenu. D’ailleurs, le 3 août 2023, le président Joe Biden avait appelé à la libération immédiate de Mohamed Bazoum, détenu avec sa famille, par les putschistes, soulignant l’importance de défendre les valeurs démocratiques.
Les États-Unis croient toujours qu’il existe une opportunité diplomatique de remettre de l’ordre au Niger alors que les pays d’Afrique de l’Ouest continuent de faire pression sur les putschistes.
Dans ce conteste, moins de deux semaines après, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken avait déclaré aux journalistes : « Nous sommes toujours très concentrés sur la diplomatie pour obtenir les résultats que nous souhaitons, c’est-à-dire le retour à l’ordre constitutionnel », tout en ajoutant : « Je pense qu’il y a encore de la place pour la diplomatie.
Pour rappel, un jour avant, soit le 14 août, les Nations Unies avaient exprimé leur mécontentement face à l’annonce par la junte militaire au Niger de son intention de juger le président Mohamed Bazoum pour « haute trahison », car il s’agit d’une étape qui pourrait accroître la tension croissante depuis le coup d’État du 26 juillet dernier.
Dans le cadre des efforts diplomatiques américains visant à restaurer le système démocratique au Niger, la sous-secrétaire d’État américaine pour les Affaires politiques, Victoria Nuland, s’était rendue à Niamey pour tenter d’avoir des entretiens avec de hauts responsables de la junte militaire et de la société civile nigérienne, pour souligner l’engagement américain à soutenir la démocratie et le système constitutionnel. Mais la visite n’a pas abouti, car les responsables de la junte militaire que Nuland a rencontrés n’étaient pas intéressés par les propositions des États-Unis concernant la restauration du système démocratique, et sa demande de rencontrer le président déchu du Niger, Mohamed Bazoum, fût rejetée par la junte militaire, dont elle n’a pas rencontré le chef.
• L’évacuation d’Américains du Niger
Malgré les craintes américaines d’une détérioration des conditions de sécurité au Niger, les États-Unis n’ont pas cherché à une évacuation complète des citoyens américains du Niger, contrairement à ce qui s’est passé récemment au Soudan. Ceci reflète l’incertitude américaine quant à l’évolution de la situation dans le pays, qui, selon les responsables américains, est encore ambiguë.
• Ne pas décrire ce qui s’est passé comme un « coup d’État »
L’administration du président Joe Biden refuse de qualifier de « coup d’État » le renversement du président du Niger par l’armée, parce que cette description mettrait fin à l’assistance sécuritaire américaine, à la formation et peut-être à l’aide militaire conformément à la loi américaine, ce qui affecterait les efforts américains de lutte contre les organisations terroristes dans la région sahélo-saharienne et limiterait l’influence russe en Afrique. Dans ce contexte, des responsables militaires affirment que le département américain de la Défense (le Pentagone) n’envisage pas de transférer des soldats ou du matériel militaire américains du Niger.
• Ne pas soutenir une action militaire au Niger
Alors que les chefs d’état-major des armées de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont examiné toutes les opportunités d’une éventuelle action militaire au Niger, l’administration américaine, elle, n’a pas précisé si elle fournirait des services logistiques ou si elle soutiendrait ou non l’intervention militaire de la CEDEAO.
Néanmoins, les responsables américains ont exprimé leur scepticisme quant à l’intervention militaire de la CEDEAO, en partie à cause des inquiétudes concernant la mort de civils et le statut du président Mohamed Bazoum.
Mais les Etats-Unis estiment qu’une intervention militaire contre les putschistes au Niger ne devrait être qu’un « dernier recours ».
Bref retour sur la position française
Le président français Emmanuel Macron
La position de la France au Niger, est sensible à l’heure actuelle car elle est une ancienne puissance coloniale, mais elle est claire et n’a pas changé depuis le coup d’État du général Abderrahmane Tchiani, qui est la nécessité de revenir au système constitutionnel et de rétablir Mohamed Bazoum à son poste.
Le président français Emmanuel Macron avait exprimé son rejet de « toute faiblesse » dans la région du Sahel face à ce qu’il a appelé « l’épidémie de coups d’État », affirmant : « Notre politique est la bonne politique envers le courage du Président Bazoum, et envers l’engagement de notre ambassadeur sur le terrain », qui est resté malgré les pressions et malgré toutes les déclarations des autorités illégitimes.
La France et les Etats-Unis n’utilisent guère le même langage de dialogue, et leur accord se limite à rejeter le coup d’État perpétré par les militaires et la nécessité du seul retour au pouvoir de l’ancien président.
Il convient de noter entre-autres que la France compte 1.500 soldats au Niger et 1.000 soldats américains. Les deux pays assurent la formation, le financement et l’armement des forces armées du Niger, mais cela s’est arrêté tout juste près le coup d’État, sachant que le point central de la présence américaine dans cette région est la base de drones au Niger, qui assure des capacités de surveillance et des frappes chirurgicales dans toute la région subsaharienne.
La France a quant à elle des intérêts sécuritaires similaires ainsi que des intérêts économiques importants au Niger. Leur approche envisage une coopération plus directe avec les forces de sécurité locales. La présence militaire française comprend donc un contingent plus important d’infanterie et de parachutistes qui mènent des opérations antiterroristes, souvent en coopération directe avec leurs partenaires nigériens sur le terrain.
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