Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Niger. Dans le cadre de la réflexion autour des nouvelles orientations françaises vis-à-vis de l’Afrique et les défis auxquels la France devrait s’attendre, le Parlement français a entamé ses débats, le 21 novembre 2023, autour d’un rapport préparé par des experts sur la politique française en Afrique, dans un contexte caractérisé par un déclin qualitatif et accéléré de l’influence française sur le continent africain.
Aperçu de l’approche parlementaire de la politique africaine de la France
Le long rapport parlementaire composé de 166 pages, passe en revue les raisons du déclin de l’influence française en Afrique, dont les plus importantes ont été énumérées comme ci-dessous :
• La formulation de la politique africaine de la France s’est concentrée dans les cercles de la Présidence de la République (le soi-disant « Pôle Afrique » à l’Elysée), sans l’implication d’autres institutions publiques, à une époque où le déclin d’une connaissance précise et sobre des conditions africaines a été observé.
• La politique africaine de la France se concentre sur le domaine de la sécurité au détriment des domaines social et de développement, incarné dans les politiques de lutte contre le terrorisme et d’intervention militaire sans s’attaquer aux racines profondes des déséquilibres institutionnels des pays africains, malgré quelques mesures positives limitées dans les domaines du sport, de la créativité et de la santé.
• La réduction les moyens civils et militaires de la politique étrangère française en Afrique à la fin du XXe siècle, avec une mauvaise utilisation des outils et mécanismes d’influence disponibles, ce qui a affecté négativement la marge de décision disponible sur le continent.
Trois orientations stratégiques proposées pour la politique africaine de la France dans un avenir proche, identifiées dans ce rapport :
A. Rétablir l’harmonie et la clarté des politiques pratiques, ce qui passe notamment par l’élaboration de plans stratégiques transparents et ambitieux, l’amélioration de la performance des politiques publiques à travers la création d’un grand ministère des affaires africaines, la conclusion de partenariats fructueux et efficaces avec les pays africains et l’implication des instances de citoyenneté et de représentation populaire dans la politique africaine de l’État.
B. Changer la façade et la forme des politiques menées à l’égard des pays africains, ce qui nécessite notamment d’arrêter le cours des « deux poids, deux mesures », de clarifier l’approche de la conditionnalité démocratique, de compléter le projet de réforme du système monétaire africain lié à la France, de revoir radicalement la politique de accorder des visas tout en contrôlant les mouvements de migration et de déplacement, et en abandonnant la politique de tutelle parentale poursuivie vis-à-vis des pays africains.
C. Améliorer et rendre plus efficace la gestion de la politique africaine de la France, ce qui passe par faire de l’aide au développement la pierre angulaire de la stratégie d’influence sur le continent, faire progresser l’activité diplomatique en Afrique, doubler les avantages comparatifs de la France dans la région, miser sur le développement économique et l’investissement, et formuler une stratégie intégrée en matière de communication et de médias et lutter contre les médias trompeurs qui déforment l’image de la France sur le continent.
Il importe de noter que le rapport consacre de nombreux paragraphes à l’influence croissante des puissances internationales traditionnelles et émergentes en Afrique, comme les États-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie, en mettant l’accent sur le rôle de la Russie, qui est au cœur de l’hostilité envers la France, tout en cherchant à occuper sa position traditionnelle sur le continent à travers la carte de sécurité militaire.
Les défis des nouvelles orientations françaises vers l’Afrique
Bien que le rapport parlementaire sur la politique africaine de Paris soit encore en cours de discussion et n’ait pas été officiellement adopté, les nouvelles orientations françaises vers l’Afrique présentées dans le rapport se heurtent quand même à un certain nombre de défis, dont les plus notables peuvent être cités comme suite :
• Il n’est pas facile pour le gouvernement français de regagner la confiance des dirigeants au pouvoir sur le continent, dont la plupart sont soit de jeunes militaires ayant étudié dans des académies militaires africaines, soit des personnalités radicales de la société civile, d’autant plus que ces dirigeants acceptent de tenir la France pour responsable des crises politiques, sécuritaires et économiques dont sont témoins les pays du continent.
• La France ne semble pas être en mesure de supporter le coût économique et financier de sa politique africaine proposée. Bien qu’elle ait augmenté ses allocations pour la coopération économique avec l’Afrique pour atteindre 14 milliards d’euros, ce montant reste faible par rapport aux offres faites par les institutions publiques et privées chinoises, et en échange des bénéfices tirés des échanges commerciaux avec les marchés émergents de Turquie, du golfe Persique, de l’Inde et du Brésil.
• En plus, Il est difficile pour la France de sortir de la logique des pressions démocratiques, qui est l’un des fondements de sa politique étrangère, mais aussi de la politique des pays de l’Union européenne en général. Alors que la démocratie électorale connaît un déclin tangible et croissant sur le continent, elle est tenue pour responsable de l’effondrement institutionnel et sécuritaire des pays. Par conséquent, le fossé entre les nouvelles générations dirigeantes en Afrique et l’État français risque de s’aggraver et sera difficile à surmonter dans un avenir prévisible.
Cet article passe entre-autre en revue les contenus les plus importants du rapport en l’évaluant dans le contexte des transformations récentes observées dans les relations franco-africaines, tout en pointant du doigt les points clés de ce projet, dont en particulier :
« Le projet de nouvelle politique étrangère française envers l’Afrique reflète l’ampleur de la crise réelle entre Paris et ses anciennes colonies sur le continent ».
Contexte général du rapport
Après que le président français Emmanuel Macron s’est entretenu avec les chefs des partis politiques au sujet des récentes transformations en Afrique, le 30 août 2023, celui-ci a envoyé aux chefs des partis une lettre datée du 7 septembre, soit une semaine après, dans laquelle il annonçait que le Parlement discuterait lors de sa session d’automne de la politique française en Afrique, et ce, après que les liens de la France avec ses anciennes colonies du continent aient connu un net revers, notamment dans la région du Sahel.
Cette baisse peut être soulignée par plusieurs indicateurs :
1. Retrait militaire de nombreux pays africains, notamment de la région du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger).
La présence militaire en Afrique s’est réduite à un niveau sans précédent et ne dépasse plus trois bases au Sénégal (350 soldats), au Gabon (350 soldats) et en Côte d’Ivoire (800 soldats).
À l’exception du Tchad, où la France dispose encore de quelques conseillers militaires, Paris n’a plus de présence militaire dans la région africaine du Sahel. Le principal résultat de ces variables est le déclin de la capacité de la France à intervenir militairement directement sur le continent, après qu’elle ait procédé à une telle intervention au moins 52 fois au cours de la période 1964 à 2014, selon l’Institut français des relations internationales.
2. Déclin économique malgré le rôle continu des grandes entreprises françaises (Total, BNP, Bouygues, Orange, Alston, Orano), et malgré le fait que la zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest et du Centre reste liée au Trésor français.
Selon le journal « Le Monde », le volume des échanges commerciaux avec l’Afrique ne dépasse pas 2% du commerce extérieur français en 2021, sachant qu’en 2014, le volume des échanges commerciaux entre les pays africains anciennement colonisés par la France atteignait moins de 15% de ses devises (contre les deux tiers en 1969).
3. Déclin politique dû à l’échec de la politique de pression démocratique que la France a initiée en Afrique depuis 1990.
Les nouvelles élites africaines ont accusé la France de faire preuve de deux poids, deux mesures dans sa gestion de la situation politique sur le continent, en soutenant les régimes autoritaires qui lui sont fidèles au Congo, au Cameroun et au Gabon, et accepter de modifier la constitution de certains pays pour empêcher le transfert du pouvoir, comme cela s’est produit en Côte d’Ivoire en 2020, et également bénir les coups d’État militaires, comme cela s’est produit au Tchad le 20 avril 2021 après l’assassinat du président Idriss Deby, et ce qui s’est passé en Guinée le 5 septembre 2021, avec un rejet ferme des coups d’État militaires survenus au Mali et au Niger, avec des accusations croissantes contre la France d’implication dans le coup d’État au Gabon, survenu le 30 août 2023.
4. Déclin culturel malgré le maintien de l’Association francophone, qui regroupe 20 pays africains dont la langue officielle est le français.
Après le Rwanda, qui a adopté en 2010 l’anglais comme langue d’enseignement au lieu du français, le Gabon et le Togo ont rejoint le Commonwealth (britannique) en juin 2022, et l’Algérie a décidé en mai 2023 d’adopter l’anglais au lieu du français comme langue d’enseignement universitaire, et le Royaume du Maroc a décidé lui aussi d’élargir la portée de l’anglais dans l’enseignement public dès le stade de l’école préparatoire, et ce dans le cadre d’une stratégie à long terme visant à donner la priorité à l’anglais à tous les niveaux d’enseignement.
5. Déclin des mouvements humains qui ont diminué en raison des restrictions accrues à l’immigration et de la limitation des visas accordés aux Africains, tandis que le rythme des mouvements des pays africains vers la Turquie et les pays asiatiques s’est accéléré au détriment de la destination française auparavant préférée par les Africains.
Selon la loi sur l’immigration actuellement présentée au Parlement français, le processus d’expulsion des personnes condamnées dans des affaires publiques sera facilité, les procédures de rapatriement des proches seront compliquées et les prestations médicales et sociales pour les étrangers seront limitées, ce qui limitera pratiquement les mouvements de l’immigration africaine vers la France.
Finalement, pour résumer, on peut dire que le nouveau projet de politique étrangère française envers le continent reflète l’ampleur de la crise réelle entre Paris et ses anciennes colonies sur le continent, et identifie quelques solutions pratiques pour surmonter la crise, mais il reste limité en termes d’impact et d’impact dans la pratique.
La politique française en Afrique sujette à de nombreuses critiques
Lors des débats encours, certains députés ont donné cours leurs critiques, comme le député centriste Bruno Fuchs, qui a déclaré :
« Nous n’avons pas vu ou voulu voir l’Afrique changer ».
Les critiques se sont fait entendre autant de l’opposition que de la majorité présidentielle. Il s’agit là d’un sujet sur lequel le gouvernement fait l’objet de nombreuses critiques, et c’est pour cette raison qu’il a décidé d’organiser ce débat autour de la politique africaine de la France.
L’Hexagone connaît en effet des déboires, notamment au Sahel où trois pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont connu des coups d’Etat et porté au pouvoir des juntes militaires hostiles à l’ancienne puissance coloniale.
A rappeler que les députés Michèle Tabarot (LR) et Bruno Fuchs (Modem), avaient déjà critiqué l’aveuglement de la diplomatie française et de l’Elysée, appelant à clarifier l’action de la France au Sahel et en Afrique subsaharienne, souvent jugée contradictoire voire même « incompréhensible ».
Par ailleurs, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, qui avait pris la parole à la tribune parlementaire, s’est défendue contre de telles critiques accusatrices, jugeant qu’il n’était pas opportun de réduire l’Afrique aux trois pays du Sahel dans lesquels l’Hexagone rencontrait des difficultés.
« Tout irait forcément mal en Afrique et la France serait forcément à la traîne », a répondu la ministre.
Et parallèlement, a estimé Bruno Fuchs, « la position de la France vis-à-vis des régimes non démocratiques est devenue illisible ». Il faut urgemment « changer de logiciel et redéfinir une politique claire afin d’éviter la contagion et la perte d’influence sur tout le continent », a-t-il insisté.
Pour Maline Le Pen, la patronne du Rassemblement national, « le Parlement doit être remis au cœur de la politique africaine de la France, car la mainmise présidentielle sur le sujet n’est pas glorieuse », tout en poursuivant : « Il n’y a plus, en effet, de politique africaine de la France. Sous Emmanuel Macron, celle-ci a disparu. Elle s’est envolée, volatilisée dans un magma d’erreurs, d’incohérences et de contradictions, dont la sinistre mésaventure nigérienne de ces derniers mois aura été le point d’orgue. »
En réplique à ces critiques, notamment en rapport avec la gestion des crises au Mali, Niger et Burkina Faso, Catherine Colonna a préféré se mettre sur la défensive : « Alors oui, mesdames et messieurs les députés, face à de tels régimes, nous ne pouvons pas maintenir nos coopérations comme si de rien n’était. Nous ne pouvons pas poursuivre la lutte anti-terroriste avec des putschistes. »
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