Afrique-Caraïbes : cinq questions pour comprendre le décalage économique

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Afrique-Caraïbes : cinq questions pour comprendre le décalage économique
Afrique-Caraïbes : cinq questions pour comprendre le décalage économique

Africa-Press – Niger. « Il est temps de nous regarder en face et non plus de regarder vers le Nord », a plaidé auprès des représentants africains et caribéens présents Mia Mottley, Première ministre de Barbade, le 1er septembre, en ouverture du Forum Afrique-Caraïbes sur le commerce et l’investissement (#Actif2022) organisé à Bridgetown, la capitale du pays.

S’ils représentent un poids considérable au sein de multiples organisations multilatérales – tels que l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) et le Commonwealth – les pays africains et caribéens n’ont guère développé de relations économiques fortes, ni de stratégies communes au sein de ces institutions. Et leur partenariat demeure « sous-investi », selon la diplomate saint-lucienne Len Ishmaël, professeure affiliée à l’Université Polytechnique Mohammed VI (UM6P).

1 – Quel est l’état des relations commerciales et économiques entre les pays de l’Afrique et des Caraïbes ?
Selon le Centre du commerce international, dirigé par la Jamaïcaine Pamela Coke-Hamilton, les exportations des pays africains vers les Caraïbes sont passées d’un pic de 2,8 milliards de dollars en 2014 à 320 millions de dollars en 2020, soit moins de 0,1 % des ventes du continent africain. Parallèlement, si les Caraïbes exportaient 11 % de leurs marchandises vers l’Afrique en 2010, ce total a chuté à 0,8 % en 2020. Selon Carla Natalie Barnett, secrétaire générale de la Communauté des Caraïbes (Caricom), à la suite de la pandémie du Covid-19, les échanges entre les deux zones ont reculé à seulement 528 millions de dollars en 2021, contre plus de 1,4 milliard avant la crise.

« L’accent a toujours été mis sur le commerce avec l’Europe. Il est important que nous ne nous considérions pas comme des concurrents, mais comme des partenaires de développement et de business », a appelé de ses vœux Chandrikapersad Santokhi, président de Suriname et du Caricom, lors du forum de Bridgetown. « Nos horizons de coopération doivent maintenant s’élargir grâce à des investissements conjoints, à une coopération économique stratégique dans le domaine de l’alimentation, des TIC et de la connectivité par voie aérienne et maritime », a-t-il ajouté.

2 – Quels sont les obstacles au développement de relations économiques plus étroites ?
Il est estimé que 73 % des 39 millions de Caribéens sont d’ascendance africaine, rappelle Len Ishmaël, qui souligne que les dirigeants caribéens ont participé activement à la naissance du panafricanisme – la création de ce mot est d’ailleurs généralement attribuée au Trinidadien Henry Sylvester Williams. Pour autant, aucun accord de libre-échange régional n’a été signé entre les deux parties et peu de traités bilatéraux de ce type existent entre les deux régions, quand une trentaine ont été paraphés entre les Caraïbes et l’Amérique latine. Durant le forum de Bridgetown, plusieurs participants, dont Carla Natalie Barnett, ont appelé à la création d’une zone de libre-échange afro-caribéenne. Selon l’ICT, l’absence de ces facilités commerciales explique pourquoi les droits de douane sur certaines lignes tarifaires peuvent atteindre 28 %…

De la même façon, aucune ligne aérienne directe ne relie le continent aux îles des Caraïbes, un manquement que Mia Mottley et Benedict Oramah, patron de la Banque panafricaine d’import-export, espèrent voir corrigé d’ici à un an. Des discussions préliminaires ont déjà été lancées pour le transport de passagers, mais aussi de cargo avec un opérateur égyptien dont l’identité n’a pas été révélée, a indiqué la primature barbadienne, tandis qu’Ethiopian Airlines a été choisi pour assurer des vols charters entre le continent et Bridgetown dans le cadre du Forum.

3 – Dans quels secteurs la coopération est la plus prometteuse ?
Selon les chercheurs du Centre du commerce international, « il existe un potentiel de commerce bilatéral de plus de 1 milliard de dollars entre les deux régions, couvrant à la fois les biens et les services ». Dans le détail, le continent pourrait accroître de 171 millions de dollars, à l’horizon 2026, ses exportations vers les Caraïbes, soit une hausse de 26% sur le niveau de 2020, si les barrières commerciales sont levées et les investissements canalisés « vers les secteurs de marchandises présentant un potentiel de croissance », selon le Centre du commerce international. « Les Caraïbes, quant à elles, pourraient augmenter leurs exportations de marchandises vers l’Afrique de 80 millions de dollars », soit 29 % de plus qu’en 2020.

De plus, « l’Afrique a un potentiel d’exportation de services de 91,1 millions de dollars vers les Caraïbes », essentiellement dans le transport, les services aux entreprises et les voyages, selon le CCI. « Le potentiel d’exportation de services des Caraïbes vers l’Afrique est beaucoup plus important, avec 531,2 millions de dollars, soit le double de son potentiel d’exportation de marchandises », complète le centre basé à Genève.

4 – Quels sont les sources de divergence entre les deux zones ?
En plus du potentiel commercial, les deux zones partagent des problématiques communes, notamment dans le domaine de la dette – plusieurs pays caribéens dont la Barbade étant en pointe pour une restructuration pure et simple de cette dernière – ainsi que dans le financement de la lutte et l’adaptation face au changement climatique. Pour autant, les sujets d’opposition et les divergences d’intérêts subsistent.

Par exemple, lors du Forum, John Williams, président de Invest in Barbados, s’est ému de l’imposition de « politiques fiscales globales pour le monde entier » et des conséquences des politiques d’atténuation du risque (« derisking ») par des institutions financières internationales. Si les Caraïbes ont vu la sortie des banques canadiennes et le continent, celui des banques européennes, leurs intérêts ne sont pas nécessairement les mêmes.

Le continent subit de plein fouet les sorties illégales de capitaux, tandis que Trinité-et-Tobago figure toujours sur la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne, où l’ont accompagné pendant plusieurs années Anguilla, la Barbade, le Belize et la Dominique, autres pays membres du Caricom… En juin, l’organisation des pays ACP, basée à Bruxelles, s’était plainte de « la fermeture des comptes bancaires de plusieurs missions diplomatiques de l’OEACP » par des banques belges. Ces dernières justifient ces décisions au nom des règles européennes « en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ».

5 – Où en est l’accord commercial avec l’Union européenne ?
Conclu « au niveau politique » à la fin 2020 et paraphé en avril 2021, le nouvel accord de partenariat OEACP-UE, censé prendre la suite de l’accord de Cotonou, n’a toujours pas été signé par l’Union européenne, celle-ci échouant pour l’instant à obtenir le nécessaire accord unanime des États membres. En juillet, le diplomate angolais Georges Rebelo Pinto Chikoti, secrétaire général de l’OEACP, a regretté qu’en dépit « de nombreux échanges informels et des différentes prorogations des dispositions de l’accord de Cotonou, aucune avancée n’avait encore été réalisée en ce qui concerne la signature de l’accord ».

Conséquence : en juin, les deux partenaires ont décidé de proroger les dispositions de l’accord de Cotonou jusqu’au 30 juin 2023. Il est à noter d’ailleurs que cet accord ne marque pas une unité d’intérêts retrouvée pour les pays de l’ACP. En effet, il constitue « un socle commun », tandis que des trois protocoles régionaux – individuels donc – sont prévus entre l’UE avec l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique…

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