Africa-Press – Niger. La veille, Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, l’avait proclamé « icône et héros » pour « sa vision » et son leadership grâce auxquels le premier Forum Afrique-Caraïbes sur le commerce et l’investissement (#Actif2022) a pu être organisé à Bridgetown, du 1er au 3 septembre 2022. Dans le jardin d’Ilaro Court, sa résidence officielle, la cheffe de gouvernement – qui avait bouté, en novembre 2021, Elisabeth II et les Windsor hors de l’ordre constitutionnel de l’île en en faisant une République – a déclaré Benedict Oramah, président d’Afreximbank, « citoyen de la communauté caribéenne ». Lorsque ce dernier reçoit Jeune Afrique, c’est dans une salle épurée du majestueux Sandy Lane Hotel, à deux pas du complexe One Sandy Lane, où réside lors de ses passages à Barbade la chanteuse Rihanna.
Le cadre semble idéal pour une retraite de cadres d’une banque qui a distribué 113 millions de dollars de dividendes à ses actionnaires pour l’année 2021, ce qui ne représente que 30 % de ses bénéfices. Mais le tout récent sexagénaire qui nous accueille, en pantalon clair, chemise blanche et veste marron gris, sans cravate, paraît moins intéressé par ces mondanités que par le récit de la bataille qu’il a dû livrer avec les agences de notation pour obtenir une évaluation correcte du risque de crédit de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank). « Ces agences ont l’habitude de prendre les Africains de haut. Nous leur avons signifié que, primo, nous ne leur versions pas 100 000 dollars par an pour qu’ils nous parlent avec condescendance. Et que, secundo, leur méthodologie n’était pas la bonne ! », explique-t-il dans un éclat de rire.
Son ton légèrement hésitant et saccadé toute comme sa voix douce, qui semble toujours couver une crise d’hilarité, peuvent tromper : Benedict Oramah est on ne peut plus sérieux. Par d’incessantes discussions, des trésors de pédagogie et la mise en place d’un hypercomplexe « Crédit pour la protection du capital », la banque obtient une « note d’investissement » suffisante auprès de quatre agences internationales, dont Moody’s et Fitch Ratings, pour se financer à des coûts raisonnables et alimenter sa remarquable croissance. Entre 2016 et 2021, Afreximbank a déboursé plus de 51 milliards de dollars américains. Depuis 2015, le dividende annuel versé aux actionnaires a été multiplié par quatre. Mais la disparité des notations d’Afreximbank consterne son patron, qui y voit une preuve que ces agences « ne connaissent pas notre banque ». Une faiblesse dont on ne saurait l’accuser, lui qui y a passé la majorité de sa carrière.
Fils de chef
Benedict Okechukwu (« Okey ») Oramah naît en juillet 1961 dans une famille de notables originaires de Nnokwa, en pays Igbo, dans le sud-est du Nigeria. Son père « Chief » Lazarus A. Oramah appartenait à la chefferie traditionnelle locale. Son frère aîné, Chika, après des années dans les services diplomatiques nigérians occupe divers postes d’administrateur dans le secteur privé. Le benjamin de la fratrie, Chief Patrick (« Pat ») Ifeanyi, porte le titre traditionnel igbo d’Ozo, et compte des activités dans l’immobilier, l’aval pétrolier et le football. Une sœur, Chinwe, complète le quatuor. Au début des années 1980, c’est dans le sud-ouest Yoruba que Benedict Oramah poursuit ses études, d’abord à l’université d’Ibadan, où il décroche un bachelor en économie agricole, avant de rejoindre l’université Obafemi Awolowo, à Ife-Ife – où à cette époque étudient Ade Ayeyemi (futur DG d’Ecobank) et Akinwumi Adesina (président de la BAD) –, où il obtient un master puis un doctorat dans le même domaine.
Le jeune docteur est recruté un an après sa thèse par la Banque nigériane d’import-export (Nexim), qu’il rejoint en 1992. Deux ans plus tard, son premier mentor, Christopher Edordu, débauché de la direction de Nexim par les administrateurs de la nouvellement créée Afreximbank, l’emmène avec lui au Caire, où il lui confie la supervision des analyses. À la fin de 2008, Benedict Oramah est promu vice-président exécutif. À ce poste, il supervise le financement des projets, les prêts syndiqués ainsi que la banque d’investissement sous les ordres de l’Ivoirien Jean-Louis Ekra (président entre 2005 et 2015). Difficile d’imaginer meilleure préparation pour la présidence à laquelle il accède en septembre 2015.
Entre-temps, « Dr. Oramah » et son épouse, Chinelo, sont devenus les parents de trois filles : Adaora, diplômée en communication de la New York University et de la London School of Economics, aujourd’hui à la tête de la plateforme culturelle Amaka Studio ; Barbara, titulaire d’un master en ingénierie de Cornell University, aux États-Unis, désormais analyste technologique au sein d’Accenture ; enfin, Isioma poursuit des études en filmographie au Royaume-Uni et en Amérique.
Le désarroi de la « génération Afrique »
Les questions qui obsèdent Benedict Oramah durant ces années sont celles d’une classe d’âge, la « génération Afrique » comme il la nomme, venue au monde entre 1957 et 1965, avec une grande espérance mais sans être en mesure de répondre aux aspirations de ses pères ». Benedict Oramah formule ses interrogations avec une pointe d’irritation et de chagrin, mais sans défaitisme : pourquoi le commerce de l’Afrique « qui représentait près de 120 % de celui de l’Asie dans les années 1970 n’en représente plus que 9 % » ? Pourquoi les Africains « dotés de tant d’ardeur, d’ambition, d’énergie, d’un tel esprit d’entreprise et d’une histoire riche de réalisations et de contributions à l’humanité » sont aujourd’hui décrits comme « un peuple misérable et un cas désespéré » ?
LA FAIBLESSE DU COMMERCE INTRA-AFRICAIN FREINE L’ÉMERGENCE DE L’AFRIQUE EN TANT QUE PUISSANCE ÉCONOMIQUE MONDIALE
L’homme qui se pose ces questions est, de son propre aveu, un globe-trotter qui rêve d’apprendre le français et de visiter le golfe Persique. Malgré trois décennies en Égypte, ses prédilections vont à la nourriture de son enfance, le bleu ciel est sa couleur préférée, quand ses modèles demeurent le prix Nobel d’économie saint-lucien W. Arthur Lewis et le financier sénégalo-guinéen Babacar Ndiaye, cinquième président de la BAD (1985-1995), fondateur d’Afreximbank. Sa seule trace de vanité paraît cet attachement au titre de professeur décerné en juillet 2018 par Adeleke University au Nigeria.
Peu de ses pairs citent avec autant de régularité et d’évidente familiarité les figures tutélaires du panafricanisme : le théoricien jamaïcain Marcus Garvey, l’essayiste martiniquais Frantz Fanon, le père de l’indépendance du Ghana Kwame Nkrumah.
Rares sont les personnalités du monde économique africain à dénoncer avec une telle véhémence – et l’expertise appropriée – les déprédations des puissances européennes ainsi que leurs conséquences sur les structures profondes des économies du continent. « La genèse du déclin de l’Afrique remonte aux années 1 500, époque à laquelle l’Afrique a commencé à commercer très activement avec l’Europe », insiste le patron d’Afreximbank. Selon lui, le processus post-indépendances de détricotage de ce schéma multiséculaire a été brusquement interrompu dans les années 1970-80 par la crise des prix des matières premières. « Je suis arrivé à la conclusion que les très faibles niveaux du commerce intra-africain freinent l’émergence de l’Afrique en tant que puissance économique mondiale importante et durable », répète souvent le sexagénaire, qui s’étonne encore aujourd’hui que « l’Afrique du Sud importe de l’Inde du cuir à un prix qui est le double de celui auquel l’Éthiopie exporte cet intrant à travers le monde ».
Une inventivité stupéfiante
Réparer cette erreur est la tâche principale à laquelle il s’est astreint, avec une énergie et une inventivité stupéfiante, depuis sept ans. Pour les analystes de Fitch Ratings, Afreximbank constitue désormais « la principale banque multilatérale de développement chargée de soutenir les secteurs public et privé sur le continent africain ». À la fin de 2021, elle avait accordé 228 lignes de financement du commerce pour un total de 5,3 milliards de dollars. Sous l’impulsion d’Oramah, la banque est montée au créneau durant la crise du Covid-19, créant une plateforme d’acquisition d’équipements sanitaires et de vaccins, ainsi qu’une ligne de financement dédiée. En réponse au conflit en Ukraine, elle a débloqué des crédits pour l’acquisition de fertilisants. Sa Foire commerciale intra-africaine (ITF), biennale, a vu la signature de 36 milliards de dollars de transactions commerciales en 2021. Afreximbank a également lancé en janvier 2022 le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), permettant des paiements transfrontaliers instantanés en monnaies locales, censé réduire de « 5 milliards de dollars par an » le coût des transactions sur le continent.
LES AFRICAINS, PARTOUT DANS LE MONDE, CONSTITUENT UN RICHE RÉSERVOIR DE RESSOURCES ET DE RICHESSES
Au total, Afreximbank chapeaute aujourd’hui pas moins d’une dizaine d’initiatives et de structures liées à l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continentale africaine, promues en partenariat avec le secrétariat général de la Zlecaf et l’Union africaine. Cette dernière anticipe, en février 2023, d’accorder à Afreximbank le statut d’agence de l’Union africaine pour le commerce. « Afreximbank contribuera à la mise en place d’institutions financières africaines, notamment d’une Banque centrale africaine, d’une bourse continentale, de la Banque africaine d’investissement et du Fonds monétaire africain », a détaillé à Jeune Afrique Albert Muchanga, commissaire de l’UA pour le Commerce.
Pour Benedict Oramah, toutes ces activités découlent du mandat de la banque, qui est de faciliter le commerce entre Africains, qu’ils se trouvent sur le continent ou dans la diaspora. D’où sa proposition, à Bridgetown, d’accueillir les pays caribéens au capital de la banque, et d’y ouvrir à terme une banque caribéenne d’import-export, filiale dévolue à la promotion et au financement du commerce entre les deux rives de l’Atlantique. « Nous croyons sincèrement que les Africains, partout dans le monde, constituent un riche réservoir de ressources et de richesses. C’est en favorisant l’accroissement des échanges et des investissements entre nous que nous pouvons espérer tirer parti de cet atout pour notre prospérité collective. Cela a été testé et prouvé par les [diasporas parmi les] Juifs, les Indiens et les Irlandais ; cela fonctionnera aussi pour les Africains », a affirmé Benedict Oramah, durant le forum à la Barbade, déclenchant un tonnerre d’applaudissements.
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