Comment l’Afrique veut conquérir sa souveraineté alimentaire

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Comment l’Afrique veut conquérir sa souveraineté alimentaire
Comment l’Afrique veut conquérir sa souveraineté alimentaire

Africa-Press – Niger. Avec 65 % des terres arables du monde, le continent, conscient de la nécessité de remodeler son agriculture, a avancé, à Dakar, des pistes d’action.

La crise alimentaire mondiale et l’inflation causées à la suite de la guerre en Ukraine et de la hausse des cours des céréales et de l’énergie a rendu d’une actualité pressante la recherche de l’autosuffisance alimentaire en Afrique. Fragile et dépendant, le continent africain rêve de renforcer sa souveraineté, alors que sa population augmente plus rapidement que sa production alimentaire. Le sujet est au cœur des préoccupations des dirigeants et des institutions, notamment la Banque africaine de développement, fer de lance de plusieurs initiatives. « Le temps de l’action est venu. L’heure est venue pour la souveraineté et la résilience pour l’Afrique », a lancé, Akinwumi Adesina, président de la BAD, qui coorganise avec l’État du Sénégal un sommet exceptionnel de trois jours centré sur le thème : « Nourrir l’Afrique : souveraineté alimentaire et résilience ». Le Nigérian a estimé depuis Diamniado, à l’est de la capitale sénégalaise que « ce que l’Afrique fera dans l’agriculture déterminera l’alimentation du monde », a-t-il dit, rappelant à ce propos que « 65 % des terres arables du monde sont en Afrique ». Une manière de souligner l’immense potentiel dont dispose l’Afrique pour résoudre cette crise aiguë, alors que plus de 283 millions d’Africains souffrent quotidiennement de la faim.

Concrètement, face à une situation critique dans de nombreux pays, Sierra Leone, Zimbabwe, Angola en tête, notamment à cause de l’inflation alimentaire, (+ 13,8 % en 2022 contre 12,9 % en 2021, source BAD), au plus haut depuis plus d’une décennie, la BAD, a annoncé qu’elle va consacrer dix milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour le développement agricole et la souveraineté alimentaire du continent africain. Ce financement s’articulera autour d’un appui direct dans la livraison d’intrants agricoles et alimentaires. « L’agriculture doit devenir le nouveau pétrole de l’Afrique » et, pour ce faire, il faut « des moyens adéquats et durables » pour attirer les jeunes vers les champs et un soutien conséquent aux agriculteurs, surtout les petits exploitants agricoles dont la majorité sont des femmes, a insisté le président de la BAD devant un parterre de chefs d’État mais aussi de représentants du secteur privé, des exploitants agricoles, des partenaires au développement et des dirigeants d’entreprise. Le scénario du pire, avec des « ouragans de famine », comme le craignait l’ONU, a été évité grâce à la reprise des exportations ukrainiennes cet été, mais les prix resteront soutenus en 2023, avec toujours une forte volatilité, a averti l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

L’Afrique doit donc d’urgence passer à l’action. « Il y a sur le chemin de l’Afrique des problèmes qui nous maintiennent dans le statu quo d’une agriculture qui continuera à nous exposer à la précarité alimentaire et aux aléas climatiques, mais il y a également l’Afrique des solutions », a esquissé le président sénégalais Macky Sall. Pour le président sénégalais, la question de la souveraineté alimentaire est « devenue une urgence de première nécessité » au moment où les pays d’Afrique « subissent de plein fouet l’effet combiné du changement climatique, de la pandémie et d’une guerre majeure ». Le président du Kenya, William Ruto, a abondé dans le même sens : « C’est une honte que 60 ans après notre accession à l’indépendance, nous soyons réunis pour discuter de la façon dont nous allons pouvoir nous nourrir. Nous pouvons et nous devons faire mieux ».

Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine, va plus loin et fait de la question de la sécurité alimentaire un enjeu pour la trajectoire historique de l’Afrique, « Dans le temps africain actuel, la souveraineté alimentaire et nutritionnelle devrait être l’âme de notre nouvelle libération de la dépendance alimentaire des fluctuations des marchés et cours céréaliers. Comment nous considérer comme hommes libres alors que nous dépendons pour vivre des vivres d’autrui ? » « Le potentiel est là, mais le potentiel ne se mange pas », a insisté, Akinwumi Adesina.

Pour la BAD, les obstacles au développement du secteur agro-industriel privé sont à la fois structurels (petite taille de la majorité des exploitations, manque d’infrastructures et de financements) et conjoncturels (volatilité des prix, perturbation des chaînes d’approvisionnement, chocs climatiques). L’institution a d’autre part évalué les besoins en financements non satisfaits du secteur agricole en Afrique à entre 27 et 65 milliards dollars par an. « La technologie à elle seule ne suffit pas. Nous avons également besoin d’infrastructures, de routes, d’énergie, de stockage, d’irrigation. Nous avons besoin des marchés, de l’industrie alimentaire, de politiques de soutien et de financement… Maintenant, transformons la volonté politique en actions décisives », a dit Adesina.

Pour le président nigérian Muhammadu Buhari, au vu de l’envol des prix de matières premières de base telles que le blé et le maïs, l’Afrique doit « accélérer l’impératif » d’aller vers de plus grands investissements en vue de pouvoir se nourrir elle-même « aujourd’hui et dans le futur ». Entre autres, il a préconisé d’accroître la productivité agricole du continent par des mécanismes innovants de financement « pour assurer (sa) propre sécurité alimentaire et arrêter de continuer de dépendre de l’importation des produits alimentaires ».

Dans son pays, le Nigeria, la Banque africaine de développement a dévoilé une partie de sa stratégie contenur notamment dans le programme « Nourrir l’Afrique 2016-2025 » – qui consiste à développer des chaînes de valeurs intégrées au sein d’« agropoles », afin de capter une plus grande part de la valeur ajoutée. Il y a quelques mois, avec Abuja, la BAD a lancé des zones spéciales de transformation agro-industrielles dans plusieurs régions. « Les Zones spéciales de transformation agro-industrielle changent la donne en matière de développement structurel des secteurs agricoles, a déclaré, le chef de l’État nigérian. Elles nous aideront à créer de la richesse, à développer des infrastructures intégrées autour de ces zones spéciales de transformation agro-industrielle, et à ajouter de la valeur. » Ces dernières années, c’est toute l’Afrique qui mise sur ces espaces pour créer de la valeur localement.

Mais comment relever le défi durablement alors que d’un côté, les pays africains sont parmi ceux dont les rendements agricoles sont les plus faibles et que l’importation de produits alimentaires représente encore plus de 46 milliards de dollars par an ? Pourtant, l’agriculture, au sens large, occupe une place économique et sociale centrale, puisqu’il représente 23 % du PIB du continent et occupe près de 55 % de la population active. On estime également que 70 % des Africains vivent dans les zones rurales (soit près d’un milliard de personnes) et que 60 % des terres arables disponibles dans le monde se trouvent en Afrique. Cependant, concrètement, aujourd’hui encore, les producteurs africains sont perdants quel que soit l’état du marché : s’il est trop haut, comme actuellement, le prix des intrants est inaccessible ; s’il est trop bas, leur production n’est pas compétitive.

C’est pourquoi la BAD veut accélérer ses initiatives pour donner la capacité aux États de mener des politiques qui permettent l’émergence de productions locales. « Je ne peux m’empêcher de pointer du doigt, les hésitations des banques et institutions financières, j’espère que l’exemple de BAD fera date, la déficience du secteur privé toujours hésitant et dubitatif vis-à-vis du secteur agricole, le scepticisme des partenaires à l’égard des modèles innovants et des réussites locales », a pointé, Moussa Faki Mahamat. Et les instruments ne manquent pas, parmi les plus cités l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, la Stratégie de Malabo, la Zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf) et le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Autant d’éléments qui résument la bataille de longue date que mène le continent africain pour assurer sa souveraineté alimentaire.

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