Thaïs Brouck
Africa-Press – Niger. SOUVERAINISME ÉCONOMIQUE: LA FRANCE PASSE À LA CAISSE (1/2) – Orano, TotalEnergies, Orange… Les mauvaises relations diplomatiques entre la France et un nombre grandissant de pays africains contaminent le monde des affaires. Mais jusqu’à quel point ?
Du blanc, du rouge et un grand « Bonjour » sur le fronton. Du Zimbabwe au Maroc, du Kenya à la Côte d’Ivoire, les stations-service de TotalEnergies sont reconnaissables en un clin d’œil. Avec ses 4 700 points de vente répartis dans 35 pays du continent, le géant français est le leader de la distribution pétrolière en Afrique.
Ainsi, lorsque le groupe français annonce son départ du Mali, la décision a tout du symbole. Fin janvier, TotalEnergies a conclu un accord pour céder son réseau de 80 stations-service, ainsi que ses opérations de distribution aux sociétés minières et à l’aviation, à Coly Energy Mali, une société liée au groupe béninois Bénin Petro. La direction de TotalEnergies s’est refusée à commenter cette transaction. Mais selon nos informations, le groupe avait fait l’objet d’un redressement fiscal et, en novembre, des travailleurs en grève ont exigé le départ du directeur général. « Il est évident que les tensions diplomatiques entre Paris et Bamako n’ont pas non plus incité le groupe à s’éterniser dans le pays », analyse une source entrepreneuriale française.
Fin des conventions fiscales
Une autre décision semble avoir accéléré les choses. En 2023, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont dénoncé unilatéralement les conventions fiscales visant à éliminer la double imposition qui était jusque-là en vigueur avec la France. Les trois pays dénonçaient « l’attitude hostile persistante de la France » et le « caractère déséquilibré de ces conventions causant un manque à gagner considérable ». La fin de ces accords bilatéraux a créé de facto une situation fiscale incertaine, générant potentiellement des doubles impositions pour les entreprises et les particuliers. « L’incertitude, ce n’est jamais bon pour les affaires », résume un économiste ouest-africain préférant conserver l’anonymat.
Selon les informations d’Africa Business+, TotalEnergies cherche aussi à se séparer de ses actifs au Burkina Faso. Si cela se concrétisait, en l’espace de trois ans, le groupe pétrolier se serait totalement désengagé de tous les pays du Sahel. En effet, l’entreprise mauritanienne Star Oil a racheté le réseau tchadien du groupe, en septembre 2023, après avoir acquis le réseau nigérien, un an plus tôt. « Avec la vente des stations-service en Centrafrique, il y a deux ans, le retrait géographique de Total en Afrique semble imiter celui opéré par l’armée française », sourit notre entrepreneur français.
De fait, les militaires français ont quitté la Centrafrique et le Mali en 2022, le Burkina Faso et le Niger en 2023, et le Tchad le mois dernier. Fruit du hasard ou stratégie délibérée ? « Il y a un peu des deux. Mais au Niger et au Tchad, la vente a eu lieu avant que les relations ne se dégradent », relativise notre entrepreneur. Par ailleurs, ces cinq dernières années, le groupe a également cédé ses réseaux de stations-service au Liberia et en Sierra Leone. « TotalEnergies semble se séparer de ses actifs les moins rentables. Tous ces pays sont parmi les plus pauvres et les moins dynamiques du monde », tranche notre source.
Orano poussé dehors
Mais c’est le sort d’une autre entreprise hexagonale qui a particulièrement défrayé la chronique ces derniers mois: Orano. Le spécialiste français de l’uranium, actif au Niger depuis plus d’un demi-siècle, a en effet subi les conséquences du coup d’État perpétré à l’encontre de Mohamed Bazoum, en juillet 2023. Les relations entre l’entreprise – dont le capital est détenu à 90 % par l’État français – et la junte du général Abdourahamane Tiani se sont particulièrement tendues à partir de juin 2024, lorsque le Niger a retiré à Orano le permis d’exploitation d’un des plus grands gisements au monde, celui d’Imouraren. Orano conservait néanmoins le permis d’exploitation de son autre filiale locale, la Somaïr.
Confronté à la fermeture des frontières entre le Bénin et le Niger et donc incapable d’importer les intrants nécessaires à l’exploitation du site, Orano a finalement décidé, en octobre 2024, de « suspendre ses activités », provoquant l’ire des autorités. « Dans le cas d’Orano, il semble clair que la junte a tout fait pour que l’entreprise fasse ses valises », analyse l’économiste ouest-africain précité. La multinationale a déposé une requête en arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi). Elle espère obtenir des dommages et intérêts et récupérer l’uranium encore stocké sur place, d’une valeur de 250 millions d’euros.
Mais l’entreprise Orano a-t-elle été poussée vers la sortie parce qu’elle est française ? « Ces tensions ressemblent à une dispute entre cousins, c’est vécu avec beaucoup de passion. Il y a parfois un ras-le-bol des discours condescendants, on en a marre d’être regardés de haut, témoigne un investisseur ouest-africain. Mais en tant qu’agent économique, nous sommes concentrés sur le business, peu importe la nationalité. Si c’est une entreprise française qui me propose le meilleur produit au meilleur prix, je lui prendrai. »
« Toutes les entreprises passent à la caisse »
« La grosse bagarre que mènent les autorités maliennes avec le canadien Barrick Gold prouve que cela n’a rien à voir avec la nationalité de l’entreprise », confirme l’économiste malien Modibo Mao Makalou. Pour le premier producteur d’or au monde, les ennuis ont commencé en 2023, avec l’adoption d’une nouvelle législation minière. Elle prévoit notamment la suppression d’une série d’exonérations douanières et fiscales, une hausse des redevances, et le droit, pour l’État malien, d’acquérir jusqu’à 30 % des parts dans tout projet minier. Mais Barrick Gold refuse de s’y plier. La junte d’Assimi Goïta a décidé de répliquer avec la manière forte: quatre employés du groupe ont été emprisonnés, un mandat d’arrêt a été émis contre Mark Bristow, le PDG, et un stock d’or a été saisi. En attendant, la mine de Loulo-Gounkoto, la plus importante du pays, est à l’arrêt.
« Il faut faire une distinction entre le souverainisme politique et les contraintes auxquelles sont confrontées les juntes sahéliennes, explique Modibo Mao Makalou. Suite au second coup d’État, le Mali a été confronté à une fuite des bailleurs de fonds internationaux. Cela représente une baisse des recettes d’environ un milliard de dollars par an. Pour compenser, toutes les entreprises du pays passent à la caisse. » Dans des pays où l’informel représente 98 % des emplois et des unités économiques, l’État n’a pas d’autre option que prendre les multinationales pour cible.
Le 11 février, les autorités ont d’ailleurs instauré de nouvelles taxes sur les boissons alcoolisées et les entreprises de télécommunications, notamment pour certains transferts d’argent sur mobile. Plusieurs entreprises françaises sont encore touchées: Bramali, filiale de Castel, pour les boissons alcoolisées et Orange pour la téléphonie. L’État, aux abois, espère ainsi récupérer, annuellement, près de 200 milliards de FCFA (305 millions d’euros) de nouvelles taxes. « Au bout du compte, ce sont les consommateurs qui vont payer l’addition, assure l’économiste malien. Même si cette stratégie peut fonctionner sur le court terme, sur le long terme, cela fait fuir les investisseurs et donc les perspectives de développement. »
D’autant que pour la France, les conséquences de ces tensions au Sahel sont à relativiser. Pour l’instant, les déconvenues dans cette région ne se sont pas propagées dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest. Et l’Afrique subsaharienne dans son ensemble ne représentait, en 2023, que 1,8 % des exportations françaises et 1,9 % de ses importations. C’est moins que les échanges réalisés avec l’Amérique latine par exemple. Et les principaux partenaires de la France ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Le Nigeria arrive largement en tête, suivi de l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire et de l’Angola.
Source: JeuneAfrique
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