Les énergies renouvelables, un marché en construction

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Les énergies renouvelables, un marché en construction
Les énergies renouvelables, un marché en construction

Africa-Press – Niger. Encore une drôle d’année sur le marché africain des énergies renouvelables. « C’est un marché concurrentiel pour les avocats. Nous devons nous assurer de répondre aux exigences des parties, que le projet soit capable de générer des revenus suffisants et de s’adapter aux réglementations qui ne cessent d’évoluer », résume Pierre Bernheim, avocat associé du cabinet Trinity International, désigné meilleur spécialiste des énergies renouvelables sur le continent par le Top 100 des avocats d’affaires qui ont marqué 2022, établi par Jeune Afrique et Africa Business +.

Des coûts de construction en hausse
Le solaire reste la star des politiques d’énergies renouvelables des États, mais le vent pourrait tourner. Depuis le début de la crise du Covid, l’importation des panneaux solaires, essentiellement produits en Chine et en Inde, a été fortement freinée, entraînant une hausse importante des coûts couplée à celle des matières premières dont l’acier.

« Dans tous les pays, les développeurs ralentissent le rythme des projets », constate Delphine Siino-Courtin, avocate associée du cabinet Clifford Chance. Par exemple, l’important projet Djermaya Solar, développé au Tchad, n’a toujours pas été définitivement conclu financièrement à cause de l’augmentation exorbitante des coûts de construction. L’Algérie a allongé deux fois le délai de réponse à l’appel d’offres de Solar 1000, un projet de centrales solaires photovoltaïques qui prévoit le déploiement de 1GW.

Selon les d’experts, les deux problèmes majeurs de ce type de projets sont la disponibilité de financement à long terme et leur rentabilité. « Pour financer ces projets, les prêteurs demandent généralement que les coûts de construction soient figés dès le départ. Les constructeurs n’acceptent de s’engager sur des prix fixes qu’en augmentant significativement leurs prix pour intégrer le risque de volatilité », insiste Victor Grandguillaume, avocat associé du cabinet Gide.

Pour autant, « cette augmentation des coûts peut accélérer certains projets. Le constructeur met d’une certaine façon un ultimatum pour être payé dans le délai imparti, sinon ses coûts augmenteront », considère Pierre Bernheim, qui appuie plusieurs dizaines de dossiers solaires de taille moyenne ou grande, en particulier dans le cadre du programme international Scaling Solar, lancé par la Banque mondiale.

De nouvelles clauses aux contrats
Le coût des transports finira par baisser une fois que le trafic maritime aura repris un rythme un peu plus normal, mais les matières premières risquent de continuer à s’envoler. « Tous les acteurs sont conscients de l’évolution des prix. L’inconnu pour le moment est la question suivante : est-ce que cette augmentation pourra être absorbée ou sera-t-elle répercutée dans le prix de vente en gros de l’électricité, voire dans le prix de vente au détail dans les marchés régulés ? », s’interroge l’associé du cabinet Trinity International.

LES ÉTATS DOIVENT BIEN COMPRENDRE L’ÉCONOMIE DU PROJET POUR NÉGOCIER LES CLAUSES LES PLUS APPROPRIÉES

De quoi modifier les contrats déjà conclus et envisager de nouvelles conditions – comme la « clause de rendez-vous » – pour ceux en cours de négociation. « Cette clause explique le prix arrêté à un instant T et l’augmentation prévue. Les parties s’engagent à se retrouver six mois après la conclusion du contrat pour l’augmentation des coûts et le prix du contrat. Si elles ne s’accordent pas, le projet peut être réduit, ce qui pose alors un problème de financement », développe Delphine Siino-Courtin.

Le contrat Cuamba Solar de construction d’une centrale solaire de 20 MW au Mozambique contient, par exemple, une telle clause. « Les clauses de prix sont tout aussi importantes et variées, et les États doivent être en mesure de bien comprendre l’économie du projet pour négocier les clauses les plus appropriées » précise Éric Diamantis, fondateur du cabinet Diamantis & Partners.

Le privé de plus en plus présent dans la distribution d’électricité
Ces nouvelles pratiques de marché se sont ajoutées à des difficultés plus structurelles comme la difficile appréciation de la solvabilité des acheteurs, qui prend plus de temps surtout depuis le début de la pandémie. Il sera intéressant d’observer si ces difficultés économiques vont pousser au développement de projets de partenaires privés. De plus en plus de projets de mini-réseaux photovoltaïques voient le jour. En RDC, IFC va allouer 400 millions de dollars à un premier projet pilote, qui vise 1,5 million de foyers dans les villes de Mbuji-Mayi et de Kananga, dans la région du Kasaï.

Le Togo et le Benin ont aussi organisé des appels d’offres pour tels projets. Les États ont un intérêt général à donner accès à une électricité fiable et la moins chère possible – le concessionnaire se rémunère sur le prix qu’il vend aux consommateurs –, mais des tensions se font ressentir avec les compagnies nationales d’électricité, qui voient leur monopole se réduire.

« Ces projets sont difficiles à financer car cette production privée et décentralisée s’éloigne du modèle traditionnel des centrales électriques rattachées aux réseaux nationaux. Ils nécessitent souvent des viability gap funding », précise Pierre Bernheim. Ce mode de financement compensatoire, par le biais de dons notamment, destiné à assurer la viabilité des projets, se multiplie. Ces financements sont un levier intéressant pour l’économie locale à ne pas sous-estimer, même si à eux seuls ils restent insuffisants pour constituer des mini-réseaux.

Des règlementations encore en construction
Le cadre réglementaire applicable à ces centrales un peu particulières est aussi pour le moment assez complexe car la distribution et la vente sont réalisés par un acteur privé. Soutenus par des avocats, les États tentent de le standardiser. « La réglementation n’est pas toujours bien adaptée. Elle est parfois trop rigide, et les processus d’appel d’offre ne sont pas toujours adaptés à des petits projets hors grid qui ne posent pas de problèmes de concurrence et où les coûts peuvent être facilement contrôlés. Nous échangeons avec les États à ce sujet. Certains reconnaissent les problèmes, et certains les traitent, mais faire bouger une réglementation prend du temps », regrette Eric Diamantis, qui intervient sur de nombreux projets de mini-réseaux de centrales photovoltaïques.

Ce constat est valable pour d’autres énergies renouvelables. L’hydrogène vert, notamment, constitue l’un des grands chantiers du Maroc et de la Namibie. Considéré il y a encore peu de temps comme le prochain combustible sur lequel il fallait parier, la fabrication de l’hydrogène vert est passée un peu plus au second plan depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier. Tous ces projets sont chapeautés par les États, or ces derniers préfèrent se concentrer pleinement sur la production et l’exportation de gaz. Sans compter que là aussi, le cadre réglementaire est assez balbutiant. « L’avantage et que nous pouvons aider les gouvernements à le mettre en place en s’inspirant de modèles européen et américain par exemple », explique Delphine Siino-Courtin, qui a fait partie du trio de tête des meilleurs avocats spécialistes des énergies renouvelables selon le Top 100 des avocats d’affaires qui ont marqué 2022.

Accompagnés par les professionnels du droit, les gouvernements mettent en œuvre des programmes contraignants de politique de développement d’hydrogène vert avec des objectifs précis. C’est une première étape avant une réglementation attirant des investisseurs, comme c’est le cas pour l’éolien.

Un profil climatique régional plus difficile à établir
Première énergie développée en Afrique de l’Ouest, bien avant le solaire, l’éolien est toujours largement favorisé. Néanmoins, les prêteurs se rendent comptent que le réchauffement climatique a un impact sur la qualité du vent et sa force. Il devient difficile de prévoir sur les 25-30 prochaines années le profil climatique de certaines régions d’Afrique.

La solution passerait-elle par l’hydroélectrique, cette énergie si décriée notamment à cause de ses conséquences sur l’environnement ? Pas si sûr. Frappée par la sécheresse en juin 2021, la Côte d’Ivoire a dû rationner son électricité. Les barrages hydroélectriques étaient à sec, et une avarie survenue en avril à la centrale thermique d’Azito d’Abidjan, qui génère à elle seule le tiers de l’électricité du pays, a provoqué d’importantes coupures de courant.

Cependant, les besoins de construction de gros barrages sont colossaux en vue de constituer une puissance de base sur les réseaux distribuables. « Certains acteurs commencent à envisager le financement de la rénovation et de l’extension de centrales hydroélectriques existantes sur le continent. Cela permettrait de dégager des capacités de production supplémentaires tout en limitant l’impact environnemental généralement associé aux nouveaux barrages », veut croire, confiant, Victor Grandguillaume.

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