Mamane Mamadou Zarami : «Les journalistes étaient craints par certains responsables parce que Kountché leur permettait de critiquer ce qui se passait»

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Mamane Mamadou Zarami : «Les journalistes étaient craints par certains responsables parce que Kountché leur permettait de critiquer ce qui se passait»
Mamane Mamadou Zarami : «Les journalistes étaient craints par certains responsables parce que Kountché leur permettait de critiquer ce qui se passait»

Africa-Press – Niger. A l’occasion du cinquantenaire de votre journal ‘‘Le Sahel’’, nous sommes allés à la rencontre de Mamane Mamadou Zarami, un journaliste capitalisant une cinquantaine d’années d’expérience dans le domaine pour faire revivre les heures glorieuses de ce journal traversant les époques. Il n’était certes pas véritablement parmi les pionniers de la presse. Mais pour les avoir côtoyés, il reste et demeure un témoin privilégié de la vie de ce journal qui souffle ce jour ses 50 bougies avec plus de 10700 numéros au compteur.
Le 29 avril 1974, le journal Le Sahel paraissait pour la première fois: comment avait-il été accueilli par les Nigériens ?

C’était avec un grand ouf de soulagement que les Nigériens l’ont accueilli, parce que simplement par le passé, le journal ‘’Le Niger’’ était lié au parti au pouvoir le PPN/RDA. Tout ce qui se faisait, c’était l’éloge des gens du parti. Le journal d’alors était dans la main du PPN/RDA. Mais avec l’avènement du régime du Conseil militaire suprême (CMS), les choses ont évolué. Il y’avait surtout un changement de ton des journalistes, dans la mesure où ils se permettaient de critiquer. A la différence du régime précédent, sous le régime de Kountché, les journalistes avaient la possibilité de faire et de publier n’importe quel reportage dans Le Sahel, de critiquer certains travers. Le seul problème est qu’ils ne pouvaient pas critiquer le régime lui-même. Mais par contre, on pouvait critiquer un ministre, un directeur sur leurs actions. Il n’y avait aucun problème. D’ailleurs à cette époque-là, c’est les journalistes qui étaient un peu craints par certains responsables parce que Kountché leur permettaient de critiquer ce qui se passait.

Qu’est-ce qui différenciait Le Sahel de son prédécesseur Le Niger et qu’est-ce qui le caractérisait singulièrement ?

Oui, il y avait une différence. Disons, il y’avait deux aspects. Primo, il y’avait le ton qui avait changé. Deuxièmement, il y a eu une race de journalistes qui sont venus et qui ont un certain niveau. Certains ont même fait l’université. Ça permettait à ces jeunes journalistes de bien écrire. Il faut souligner que parmi eux, il y’en avait qui étaient des écrivains comme Idé Oumarou, Amadou Ousmane ou Diado Amadou. C’était des gens qui avaient de la plume. Et il s’agissait tout simplement pour eux de s’aligner à la déontologie. Au début, ils n’étaient pas des journalistes de formation, mais ils étaient de bons rédacteurs. C’est après qu’ils se sont formés. Mais rassurez-vous et rappelez-vous que le journalisme a existé avant l’école du journalisme. Les animateurs de ce journal se sont formés et leur plume aidant, ils sortaient de très bons produits. Et c’est ça qui a fait la différence avec le passé où il fallait faire l’éloge du parti. Cette fois-là, il fallait parler du programme mis en œuvre par le régime du CMS. Vous savez, en son temps, Kountché ne permettait pas qu’on le flatte. Pour une petite anecdote, une fois on était parti dans la région de Tahoua et, le chanteur Harouna de Bouza avait chanté pour le régime militaire. Kountché nous a appelés pour nous avertir que si nous diffusons cette chanson, nous aurons des problèmes. Il a empêché de diffuser cette chanson qui n’a commencé à être diffusée qu’après sa mort.

Sachant qu’il s’agissait d’un régime militaire d’exception, est-ce qu’on sentait une certaine liberté à travers la production ?

Oui, surtout dans les années 80. Il y’avait une nouvelle race de jeunes journalistes sortis des grandes écoles de Lille, Paris, Dakar et certains ont même fait l’université, comme je le disais. Ils avaient le bagage intellectuel nécessaire, un certain background pour faire un bon travail correct de journalistes. Ils sont nombreux ces jeunes journalistes qui ont rejoint les plus anciens et donné un certain souffle nouveau au journal ‘’Le Sahel’’. C’est le cas d’Abdoulaye Touré Boureima, Sadou Hassane, Boubacar Soumaré, Bori Seyni et bien d’autres talentueux journalistes sont arrivés étoffer l’équipe.

Il parait que feu Seini Kountché aimait lire Le Sahel: qu’en est-il vraiment ?

Ah oui, aucun doute là-dessus ! Kountché était un grand lecteur justement. Il lisait beaucoup les journaux. Lire Le Sahel, c’était sa tasse de thé. Dès qu’il vient au bureau le matin, on le lui apporte et il le parcourait entièrement. Surtout qu’il y ‘avait certaines rubriques qui étaient très bonnes à lire comme ‘’Les Propos d’Arbi’’ d’Amadou Ousmane, les éditos de Sahidou Alou. Kountché était lui-même une sorte de rédacteur en chef de circonstance. Je m’explique, quand il y a un éditorial à faire, il appelait les éditorialistes qui étaient deux ou trois à qui il donnait l’information. Et là, il leur dit: attention, je vous ai donné l’information, je vous demande de faire un éditorial. Mais je ne vous demande pas de citer de gens, d’insulter ou de diffamer. Et les éditorialistes faisaient leur travail, un travail extraordinaire car, c’est des gens qui écrivaient bien. Le cas exceptionnel de Sahidou Alou en est l’illustration. J’ai plus de 50 ans de carrière journalistique, mais jusqu’à présent, je n’ai pas vu quelqu’un qui a la trempe de Sahidou Alou en matière d’éditorial. Et d’ailleurs, il participait à la rédaction des discours du chef de l’Etat. Une fois, le Président nous avait appelés pour un éditorial. Je suis allé dans mon bureau pour faire mon édito, Sahidou Alou a fait le sien. Et chacun avait son style. Comme moi j’étais jeune, je suis allé voir Sahidou, je lui ai amené mon édito. Il l’a lu, il me regarde et dit: ‘’mais Mamadou, qu’est-ce que tu veux que j’ajoute ? Tu as ton style, j’ai le mien. Autant tu admires ce que j’écris, autant j’admire ce que tu écris’’.

Si on vous demandait de faire un parallèle entre Le Sahel d’hier et d’aujourd’hui, qu’allez-vous dire ?

Vous savez que dans les années 90, les choses ont changé avec la conférence nationale. Au moment de cette transition, on n’avait rien à reprocher au journal Le Sahel. Les journalistes écrivaient comme ils voulaient. Le ton utilisé à cette époque-là et aujourd’hui, il y a évidemment une certaine différence. Aujourd’hui, ce n’est pas qu’il n’y a pas la liberté. Mais souvent, c’est nous-mêmes qui nous censurons parce qu’on appartient à un parti politique ou qu’on a des relations privilégiées avec x ou y. Les gens font de l’autocensure. Sinon à un moment de l’histoire, c’était la liberté totale. Aujourd’hui, les choses commencent à changer. Ça s’explique un peu parce que l’Etat subventionne et les gens qui travaillent dans les médias publics sont plutôt comme des fonctionnaires et ce n’est pas tout le monde qui prend le risque d’écrire quelque chose. Si vous n’avez pas un chef qui vous défend, dans le cas où vous faites une bêtise, vous aurez des problèmes. Et c’est pour cela que les gens sont limités, surtout sur les sujets politiques.

 

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