Africa-Press – Niger. Ses ailes découpent le ciel provençal. Un aigle de Bonelli (Aquila fasciata) a trouvé refuge autour de la montagne Sainte-Victoire, située à quelques kilomètres d’Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. Lentement, il survole et veille sur les argiles rouges et les grès du parc départemental de Roques-Hautes, qui abritent l’un des gisements d’œufs de dinosaures les plus riches au monde. « Ce site vieux de 76 millions d’années est connu depuis 1947 et plusieurs milliers d’œufs ont déjà été recensés. C’est cette densité qui a valu à Roques-Hautes son surnom d’Eggs-en-Provence « , rappelle Thierry Tortosa, paléontologue et conservateur de la réserve naturelle nationale de Sainte-Victoire.
La petite histoire raconte que ce sont les paléontologues américains, émerveillés par la richesse du site (où pourraient reposer des millions d’œufs), qui ont adopté ce surnom dans les années 1960. Il a connu un écho médiatique immédiat et, depuis, il est employé aussi bien par les scientifiques que par les institutions locales.
Créée en 1994, la réserve naturelle nationale va s’étendre vers des terrains militaires qui jouxtent son cœur fossilifère, faisant passer la surface protégée de 139 hectares à 280 hectares. Une démarche qui devrait aboutir d’ici à la fin de l’année pour le côté administratif. Mais pour y avoir accès, les paléontologues devront attendre la dépollution des nouveaux terrains car le site était, autrefois, un champ de tir militaire.
« Nous avons porté ce projet pendant plusieurs années et conduit de longues négociations avec les ministères. Obtenir l’accord des Armées n’a pas été simple, mais cette extension était nécessaire pour préserver les œufs et élargir la réserve. Le département des Bouches-du-Rhône y a mis des moyens humains et financiers, sans quoi rien n’aurait été possible « , souligne Jean-Marc Perrin, conseiller départemental et délégué à la mise en relief de la paléontologie et de l’archéologie en Provence. « Cette intégration protège des affleurements encore peu explorés et elle élargit les séries sédimentaires disponibles. Parfois, en quelques centaines de mètres, le micro-paléohabitat ou le contexte de dépôt sédimentaire changent et permettent la découverte de nouvelles espèces « , souligne Thierry Tortosa.
Une campagne de fouilles organisée chaque année
Chaque année, au pied de la montagne chère à Cezanne, l’érosion causée par les pluies, les vents et parfois de façon plus dramatique par les feux de forêt, met à nu de nouvelles coquilles. Dès sa découverte, la Sainte-Victoire a attiré les amateurs de fossiles de tout poil. Et d’Aix à Marseille, il n’est pas rare de tomber sur des œufs prélevés – pas très légalement – et jalousement conservés chez les familles du coin.
Les paléontologues, aussi, ont vite compris l’intérêt de l’endroit, qui était à la fin du crétacé « une partie d’une grande île de la taille de Madagascar, connectée à la péninsule Ibérique. Avec un paysage qui ressemblait à une vaste plaine alluviale, bordée de cours d’eau, où les dinosaures venaient pondre génération après génération « , décrit le paléontologue. De nombreuses équipes internationales y ont travaillé et chaque année Thierry Tortosa coordonne une campagne de fouilles scientifiques de trois semaines.
En sus des professionnels, le grand public peut également contribuer à l’étude des coquilles grâce à l’opération « Brossons les œufs » dont la 5e édition a eu lieu fin juin. Plus de 250 volontaires ont répondu présent cette année. Leur mission: explorer une butte fossilifère à l’entrée du champ de tir. Pour ce faire, les participants ont été équipés d’un seau, d’un balai à main et d’un demi-bidon de plastique faisant office de pelle. Les consignes sont claires: brosser délicatement la surface, identifier les fragments de coquilles et appeler un des référents pour qu’il valide la découverte et y accole un numéro qui servira de référence pour les relevés GPS.
Entre 450 et 460 œufs trouvés en une semaine
Lors de notre visite cet été, après plusieurs jours de forte chaleur, le temps, nuageux, est devenu plus clément. Une trentaine de personnes dont plusieurs enfants, réunies par deux ou trois, manient le balai et époussettent le sol. L’ambiance est studieuse mais joyeuse. Très vite, après quelques coups de balai, de nouvelles structures apparaissent. Au début entre petits cailloux, matières végétales et autre débris, on s’y perd un peu. Pas évident pour un œil non expert de distinguer les précieux morceaux de coquilles. Soudain, une exclamation !
C’est un minot qui a découvert un joli fossile: l’ovale d’un œuf, éclaté en dizaines de minuscules fragments, mais dont le dessin est parfaitement reconnaissable. De quoi permettre à ceux qui étaient bredouilles jusqu’ici de mieux cibler ce qu’il faut trouver. Et la demi-journée continue de se dérouler ainsi, émaillée de plusieurs autres découvertes. Finalement, après cette semaine de fouille, ce sont entre 450 et 460 œufs qui ont été retrouvés. Un peu moins que le record de l’an dernier (552) mais la moisson est quand même bonne !
À Roques-Hautes, deux ooespèces principales sont connues – oo- renvoie à une classification propre aux œufs fossiles, faute d’embryon à l’intérieur. La première, Megaloolithus petralta, correspond à des œufs sphériques d’une vingtaine de centimètres de diamètre, à coquille épaisse. Les experts débattent toujours du genre de dinosaure qui en sortait. Peut-être un gros titanosaurien – un géant au long cou – ou un hadrosaure – un dinosaure à bec de canard. « Seul un embryon, dans un œuf ou à l’intérieur d’une femelle en gestation, permettra de faire l’identification. Pour l’instant la seule chose dont on est sûr, c’est qu’on ne sait pas « , plaisante Thierry Tortosa.
L’autre type de coquille est bien plus fin: moins d’un millimètre d’épaisseur, et il est associé à Megaloolithus cf. aureliensis dont les rejetons étaient aussi des herbivores. Enfin, des indices d’une troisième ooespèce (non nommée) à la coquille ultrafine (à peine un quart de millimètre) ont récemment été découverts.
Fort heureusement, la réserve n’abrite pas que des œufs, mais aussi de nombreux ossements qui ont permis d’attester la présence d’au moins trois dinosaures différents. Un herbivore, Rhabdodon priscus, connu grâce à des bouts de patte, une mâchoire et quelques dents. Et deux carnivores identifiés, là encore, avec quelques dents. Les premiers étaient-ils les proies des deux autres? Avec l’extension de son périmètre, de nouvelles fouilles pourraient permettre de mieux connaître ces dinosaures et probablement d’en découvrir d’autres. « C’est sans doute l’affaire de toute une vie de fouilles mais le rôle d’une réserve naturelle n’est pas d’exhumer tout ce qu’on pourrait y trouver, mais au contraire de préserver le patrimoine fossile en place, pour que les générations futures puissent encore l’étudier « , insiste Thierry Tortosa.
Trois différents théropodes identifiés
PRISCUS: Un gros herbivore de 4 à 6 mètres de long et de 1,80 mètre de hauteur. C’est l’un des premiers dinosaures découverts en France. Il a aussi été trouvé en Espagne, en Italie et en Roumanie.
ARCOVENATOR ESCOTAE: C’est un gros carnivore de la famille des abélisauridés, qui compte dans ses rangs parmi les plus grands carnivores ayant vécu. Celui-là devait mesurer plus de 6 mètres de long.
VARIRAPTOR MECHINORUM: Un petit carnivore de moins de 1,5 mètre de long. La plupart des membres de sa famille sont porteurs de plumes mais pour celui-ci, il n’en a pas encore été retrouvé.
Des informations inédites sur la biologie des dinosaures
Car ces œufs ne sont pas seulement une curiosité provençale. Leur densité, leur variété et leur état de conservation pourraient livrer des informations inédites sur la biologie des dinosaures qui peuplaient l’actuel territoire français à la fin du crétacé. Disposition des nids, diversité des coquilles, conditions de ponte: autant d’indices susceptibles d’éclairer leurs stratégies reproductives, leur comportement parental ou leur adaptation aux environnements insulaires. Et peut-être même expliquer les raisons de leur déclin.
Les argiles rouges de la Sainte-Victoire recèlent peut-être les clefs d’un chapitre essentiel de l’histoire des dinosaures en Europe. Et au-dessus, l’aigle de Bonelli, dernier descendant de la lignée des théropodes, veille aujourd’hui sur cet héritage.
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