HPI : que dit vraiment la science des champions du QI ?

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HPI : que dit vraiment la science des champions du QI ?
HPI : que dit vraiment la science des champions du QI ?

Africa-Press – Niger. Ne dites plus surdoué, mais HPI, pour haut potentiel intellectuel. Cette nouvelle identification d’une population caractérisée par un quotient intellectuel de plus de 130 points continue pourtant de véhiculer de nombreux stéréotypes qui les décrivent comme hypersensibles, anxieux et rencontrant des difficultés sociales. Car un décalage existe entre la perception si répandue du HPI à problèmes et les données scientifiques. Décryptage.

“Je connaissais déjà mon alphabet à 2 ans et en grande section je savais lire”, raconte le jeune Sébastien, 12 ans et aujourd’hui en classe de cinquième. Comme environ 2 % de la population, Sébastien est identifié haut potentiel intellectuel (HPI) – un terme qui a remplacé “surdoué”, jugé trop stigmatisant par les spécialistes.

“On ne parle pas de diagnostic pour le HPI mais d’identification, car ce n’est pas un trouble “, avertit la docteure en psychologie Catherine Cuche, spécialiste du HPI et coautrice de Tout savoir sur le haut potentiel (Mardaga, 2021). Le HPI ne serait donc pas une source de souffrance en soi, à l’inverse des nombreux stéréotypes qui décrivent ces personnes comme hypersensibles, plus anxieuses voire dépressives et rencontrant des difficultés sociales. Les études scientifiques montrent au contraire que le HPI est plutôt un facteur protecteur. “Contrairement aux idées reçues, le HPI a tendance à diminuer le risque de développer de l’anxiété, un syndrome de stress post-traumatique, ou même la schizophrénie “, énumère Nicolas Gauvrit, enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.

Alors, pourquoi ce décalage entre la perception si répandue du HPI à problèmes et les données scientifiques ? “Dans le cursus de psychologie, moins d’une heure est consacrée au HPI, donc les professionnels se forment essentiellement avec les livres grand public “, regrette le chercheur. Un des best-sellers à avoir lancé le mouvement est Trop intelligent pour être heureux (Odile Jacob, 2008) de la psychologue clinicienne Jeanne Siaud-Facchin. Le haut potentiel y est décrit comme “indissociable de l’extrême sensibilité “, et source de “fragilité psychologique “. Or, “14 études et au moins trois méta-analyses concluent au contraire qu’il y a plutôt moins d’anxiété chez les HPI “, relève Nicolas Gauvrit.

De même, “ceux qui travaillent sur l’hypersensibilité estiment qu’elle concerne 20 % de la population, et qu’il n’y en a pas plus chez les HPI “. Pas plus, mais elle pourrait se manifester différemment. “L’hypersensibilité peut se retrouver chez n’importe qui, mais pour le haut potentiel, sa cognition va en intensifier le ressenti “, nuance le psychiatre Hassan Rahioui, chef de service au centre des troubles du neurodéveloppement chez l’adulte du Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie & neurosciences.

Il ne faut pourtant pas y voir de malice de la part des professionnels à l’origine de ces idées biaisées. Pour Nicolas Gauvrit, ils se sont probablement basés sur leur patientèle qui, par définition, ne compte que des HPI en souffrance. La professeure Laurence Vaivre-Douret, spécialiste de neuropsychologie du développement à l’université Paris Cité, clinicienne à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris et responsable d’une équipe de recherche Inserm, nomme cela “le biais de l’enfant consultant” – un concept tout aussi vrai pour les adultes. “On ne peut pas prendre ceux qui consultent comme une référence de l’enfant HPI ; or, 90 % des études sur le sujet ne se basent que sur cette population “, pointe-t-elle. Pourtant, lorsque des chercheurs font passer un test de QI à plus de 30.000 élèves français entre 2007 et 2012, de nombreux HPI sont découverts parmi les têtes de classe, qui ne montraient aucun problème particulier.

Comment savoir si l’on est HPI ?

Pour réaliser un bilan de qualité, “il faut s’adresser à un psychologue clinicien pour le test de QI, voire un neuropsychologue clinicien qui sera capable de détecter en sus d’éventuels troubles du neurodéveloppement “, affirme Laurence Vaivre-Douret, spécialiste de neuropsychologie du développement à l’université Paris Cité, clinicienne à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris et responsable d’une équipe de recherche Inserm. Elle recommande également de solliciter un psychomotricien DE (diplômé d’État) qui pratique l’évaluation des fonctions neuropsychomotrices (NP-MOT) pour évaluer les troubles moteurs tels que les dyspraxies.

Un développement cérébral différent, visible dès la naissance

Le décalage ressenti par beaucoup de HPI est dû à un développement différent, visible dès la naissance. Une différence innée dont 20 à 80 %, selon les études, est héritée génétiquement. “En IRM, on voit que le cortex préfrontal est un peu plus épais, avec plus de neurones chez les HPI que chez la population de contrôle “, explique Margaux Courrèges, neuropsychologue au GHU Paris psychiatrie & neurosciences. Le cortex préfrontal est la zone du cerveau qui gère la prise de décision consciente et rationnelle. “Les personnes HPI engendrent également plus de connexions neuronales dont la vitesse de conduction est plus rapide, avec notamment à une myélinisation plus précoce “, résume Laurence Vaivre-Douret.

La myéline est une protéine qui gaine les neurones sur leur longueur de façon à conduire efficacement le signal électrique qui leur sert à transmettre l’information. Résultat: les nouveau-nés HPI sont déjà en avance d’un ou deux mois sur le développement psychomoteur (tonus musculaire, poursuite visuelle, etc.) comparés à un enfant typique, d’après des études rétrospectives réalisées à partir de questionnaires et une analyse des dossiers médicaux d’enfants identifiés HPI à l’âge scolaire. Ensuite, le langage se développera également plus tôt, et de façon plus élaborée.

“Leur curiosité et leurs questionnements les sensibilisent également très vite dans les domaines social et affectif, entraînant une empathie et une compréhension de l’autre plus précoces “, observe Laurence Vaivre-Douret. Mais ce développement rapide ne se traduit pas forcément par des performances homogènes sur tous les plans.

Le très haut potentiel intellectuel (THPI)

0,13 % de la population serait THPI, avec un QI dépassant 145. “Ils sont très rares, mais ils existent” , confirme Margaux Courrèges, neuropsychologue au GHU Paris psychiatrie & neurosciences. En raison de cette rareté, il est compliqué de démontrer si ce très haut QI s’accompagne de facteurs de vulnérabilité supplémentaires par rapport au HPI. “Il se peut que certaines caractéristiques baissent sur l’adaptation sociale et le bien-être pour les très hauts QI” , avance cependant Nicolas Gauvrit, enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.

Un fonctionnement cognitif atypique pas si rare

Chez l’adulte comme chez l’enfant, un profil HPI est caractérisé par un QI global de 130 ou plus (100 étant le score moyen de la population de référence). On le dit hétérogène en cas d’écart de 29,5 points ou plus entre les indices évalués – par exemple, 115 points en mémoire de travail et 147 en compréhension verbale. Difficile dans ce cas de savoir s’il est pertinent de qualifier l’ensemble en fonction du QI moyen. Pour cette raison, Catherine Cuche préfère parler de “zones de haute potentialité “. “Un HPI peut se retrouver à l’écart de la norme sur certains critères, et proche dans d’autres “, résume-t-elle. D’où l’importance de détailler les indices évalués sans s’en tenir au seul score global lorsqu’on réalise un test de QI, avec une interprétation personnalisée et remettant en contexte la souffrance, la gêne ou le questionnement à l’origine de la consultation.

Lorsque l’hétérogénéité du QI est très marquée, elle peut cependant faire indirectement, plus tard, le lit de troubles anxieux, dépressifs ou de l’attachement, c’est-à-dire des difficultés relationnelles générées par la sensation de décalage avec son entourage et une mauvaise estime de soi. “Certes, le HPI n’est pas un diagnostic, mais du point de vue clinique c’est une différence qui peut occasionner une intense souffrance “, avance Hassan Rahioui. Cette difficulté à gérer un fonctionnement cognitif atypique pourrait concerner du monde, car si 2 % des gens ont un QI global au-dessus de 130, plus de 8 % obtiendraient ce résultat sur un seul des indices mesurés par le test, estime Margaux Courrèges. Cela étant, il faut se garder d’associer systématiquement le profil hétérogène à des difficultés psychologiques. “Rien ne montre qu’un profil homogène serait forcément plus favorable à l’individu en matière de réussite, de motivation ou d’estime de soi “, affirme Catherine Cuche.

L’hétérogénéité, un indicateur potentiel de trouble associé

En revanche, chez l’adulte comme chez l’enfant, un profil hétérogène doit toujours inciter le clinicien à envisager le diagnostic d’autres troubles indépendants du HPI qui en altéreraient les performances. “Nos études montrent que l’hétérogénéité est un indicateur potentiel de trouble associé, comme le TDAH [trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité] , l’autisme ou les troubles dys “, affirme Laurence Vaivre-Douret. Ainsi, contrairement aux idées reçues, l’autisme sans déficience intellectuelle, autrefois dit Asperger, n’est pas forcément lié à un HPI, bien qu’il puisse lui être associé.

L’autisme a comme principaux signes des difficultés sociales et de communication, et des comportements et intérêts répétitifs. Le TDAH est caractérisé par une dérégulation de l’attention, et donc des difficultés de concentration, de l’impulsivité et de l’agitation physique ou mentale que le HPI peut masquer par ses capacités verbales et sa mémoire accrues. Mais cette compensation se fait souvent au prix de beaucoup d’énergie, d’une perte d’estime de soi ou encore d’anxiété. “Chez l’enfant, cela peut se traduire par des 10-12 ans non dépistés en péril scolaire, dont près de la moitié font une dépression “, précise Laurence Vaivre-Douret.

Sébastien fait partie des HPI souffrant de troubles. Testé par Laurence Vaivre-Douret vers l’âge de 10 ans alors qu’il est en grande détresse psychologique, il se révèle être un HPI “multidys”, souffrant d’une dyspraxie visuospatiale (qui affecte sa capacité à se repérer et à s’organiser), et de dyslexie, dysgraphie et dysorthographie (respectivement des difficultés à lire, à écrire manuellement et à maîtriser l’orthographe). Grand lecteur et bon à l’école, Sébastien a dû passer des tests poussés pour révéler sa dyslexie masquée par le HPI. L’écriture en revanche lui pose problème. “Ça me faisait mal à la main, j’arrivais mal à tracer mes lettres “, se souvient-il. C’est le bilan psychomoteur qui révèle un trouble moteur avéré du côté gauche, celui de la main avec laquelle il écrit.

“C’est malheureux de voir ces enfants mal perçus à cause d’un déficit important. ” Une analyse que confirme l’expérience de Sébastien. “On me disait que j’étais fainéant, que je le faisais exprès, j’étais harcelé. ” Sur les recommandations de Laurence Vaivre-Douret, Sébastien saute une classe et adopte des mesures adaptées. “Maintenant, j’ai un ordinateur et des photocopies des cours. Je n’ai quasiment plus à écrire, c’est plus rapide et plus facile, se réjouit-il. Je suis moins fatigué, je dors mieux parce que je suis moins stressé, et je n’ai plus mal à la main. ” Ni surhumaines ni malades, les personnes avec un HPI “ont de hautes capacités mentales d’adaptation qui leur permettent de progresser rapidement, ce qui est un atout “, conclut Laurence Vaivre-Douret. Encore faut-il voir au-delà de leur QI, qui peut masquer des troubles ou anomalies nécessitant soins et attention.

Audrey Fleurot joue-t-elle une HPI scientifiquement crédible ?

C’est un succès renouvelé qu’a rencontré la 4e saison de la série HPI en 2024. Mais l’héroïne, Morgane Alvaro, jouée par l’actrice Audrey Fleurot (ci-contre) , est-elle crédible ? “On se représente souvent les HPI comme le personnage de Morgane, quelqu’un de très réfractaire à l’autorité et avec de fortes compétences intellectuelles, mais on mélange tout” , corrige la neuropsychologue Nathalie Golouboff. Être HPI n’est pas lié à des traits de caractère, mais à un fonctionnement cognitif particulier, qui s’exprime différemment en fonction des caractéristiques de l’individu. “Sociables ou pas, facilement en opposition ou adaptables, introvertis ou extravertis, tout est possible chez les HPI.”

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