Les affaires très confidentielles d’Ashish Thakkar, l’homme derrière les premiers smartphones « made in Africa »

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Les affaires très confidentielles d’Ashish Thakkar, l’homme derrière les premiers smartphones « made in Africa »
Les affaires très confidentielles d’Ashish Thakkar, l’homme derrière les premiers smartphones « made in Africa »

Africa-PressNiger. Côte à côte, Paul Kagamé et Ashish Thakkar coupent un ruban rouge sous les flashes des journalistes. En ce 7 octobre 2019, en plein cœur de la zone économique spéciale de Kigali, le président rwandais et le fondateur du Groupe Mara inaugurent en grande pompe ce qu’ils présentent comme la première usine « high-tech » de fabrication de smartphones en Afrique.

La nouvelle est largement relayée par les médias internationaux. Car, selon Ashish Thakkar, son concepteur, le Maraphone est le premier smartphone africain. Pas à 100 %, car le système d’exploitation, l’écran et les batteries proviennent de l’étranger, mais plus africain que les autres, puisque les quelque six cents composants de la carte mère seraient assemblés à Kigali. « Un rêve devenu réalité » clame alors Ashish Thakkar, tandis que Paul Kagamé y voit « une nouvelle étape dans le développement d’une industrie de haute technologie au Rwanda ».

Un an et demi plus tard, il est cependant difficile d’estimer le succès des Maraphones. En plus de cette première usine et de deux magasins dans la capitale rwandaise, l’entreprise a ouvert, en Afrique du Sud, une unité de production à Durban (est) et une enseigne dans un centre commercial de Soweto, dans la banlieue de Johannesburg. Les Maraphones sont désormais distribués au Burkina Faso et en Angleterre à travers différents partenaires.

Mais Ashish Thakkar est réticent à communiquer les chiffres de ses ventes. Il se contente d’indiquer que ses téléphones ont été exportés dans 67 pays, tout en affichant un optimisme à toute épreuve. « Cette année, nous devrions dépasser les 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, assure-t-il. Il y a un sentiment anti-Asie qui se développe dans de nombreux pays, ce qui met certaines marques asiatiques en difficulté. Le fait d’être une marque africaine est quelque chose de très positif. »

Ventes modestes

Pourtant, une source proche de l’entreprise évoque des ventes modestes au Rwanda, oscillant entre 75 et 90 téléphones par mois. Tandis qu’en Afrique du Sud, « la marque est assez discrète », note Tecla Mbongue, analyste du cabinet de recherches Omdia et spécialiste du secteur des télécommunications sur le continent.

« Les géants chinois dominent largement dans le secteur entrée de gamme. Tandis que sur les trois modèles que Mara propose, un seul est classé en entrée de gamme avec un prix de vente d’environ 60 dollars »

, explique-t-elle. Ainsi, le « smartphone africain pour les Africains est plutôt devenu un smartphone pour l’Afrique et le reste du monde », reconnaît Ashish Thakkar : c’est en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis que l’entreprise aurait enregistré ses meilleures ventes via son site Internet.

L’entrepreneur de 39 ans est en tout cas connu pour cultiver le secret autour de l’état de ses finances et de ses affaires. Alors qu’il a été longtemps considéré comme le plus jeune milliardaire africain, un surnom qu’il s’est bien gardé de commenter, son divorce en 2016 a finalement révélé une réalité moins glorieuse : selon ses déclarations à la justice, son patrimoine ne s’élevait alors qu’à environ 500 000 euros.

Devant les juges, il a également assuré que le Groupe Mara, qu’il a fondé en 1996 et qui rassemble des entreprises dans le secteur de la finance, de l’immobilier ou encore de la technologie était en réalité détenu par sa mère et sa sœur dans les îles Vierges.

Qu’à cela ne tienne, cet homme d’affaires est devenu un véritable ambassadeur d’une Afrique positive et innovante. Et sa légende bien rodée, forgée à coups de discours dans des conférences, se veut à l’image de la transformation du continent ces trente dernières années. Une success story, selon Ashish Thakkar, qu’il compte bien incarner. En témoigne son livre, intitulé Le Réveil du lion (2015), dans lequel il relate en détail comment sa famille a vécu la dictature et les massacres avant qu’il se retrouve lui-même à la tête d’un conglomérat opérant dans une vingtaine de pays du continent.

« J’ai toujours été étonné que deux des films les plus célèbres sur l’Afrique aient pour sujet des évènements atroces que ma famille a vécu : Le Dernier Roi d’Ecosse et Hotel Rwanda »

, y écrit-il. En 1972, Idi Amin Dada, dictateur sanguinaire en Ouganda, expulse 80 000 Indiens du pays. Les Thakkar, alors commerçants à Kampala, en font partie. Ils partent pour l’Angleterre, où le jeune Ashish verra le jour. Vingt ans plus tard, la famille revient en Afrique, cette fois au Rwanda.

En avril 1994, le génocide des Tutsi éclate. Les Thakkar comptent parmi les quelques centaines de personnes réfugiées dans le célèbre Hôtel des Mille Collines, dans le centre-ville de Kigali. Après avoir été évacués, ils optent finalement pour un retour à Kampala. C’est là que le jeune Ashish quitte l’école à 15 ans et lance sa première entreprise : un petit commerce de composants d’ordinateurs importés de Dubai, l’ancêtre du groupe Mara.

Epopée entrepreneuriale

S’ensuit une véritable épopée entrepreneuriale : Ashish Thakkar part à Dubai où il lance avant ses 18 ans et avec un capital minime une entreprise d’exportation de composants informatiques à destination de l’Afrique. En 2001, l’homme d’affaires commence à se diversifier avec une usine d’emballage à Kampala. Il raconte avoir effectué, seul, une première commande pour Unilever en lisant le mode d’emploi des machines et en travaillant sans s’arrêter une nuit entière. Il part ensuite à la conquête de l’immobilier, puis ouvre des centres d’appels sur le continent.

Autre aventure remarquée : en 2013, il crée avec Bob Diamond, l’ancien président de Barclays, le holding bancaire Atlas Mara, qui ambitionne de se développer dans une quinzaine de pays africains. Le groupe se fait aujourd’hui discret, après avoir perdu la quasi-totalité de sa valeur initiale.

Vingt-six ans après avoir quitté le Rwanda en tant que réfugié, Ashish Thakkar est devenu l’un des plus célèbres hommes d’affaires d’Afrique. « Il est sans aucun doute un commercial remarquable et compétent. Mais l’histoire des débuts de son entreprise telle qu’il la présente est digne d’une œuvre de fiction de Gabriel Garcia Marquez », lâche Aly Khan Satchu, analyste financier kényan. Le businessman peut en tout cas compter sur de puissants alliés. Ashish Thakkar participe ainsi au « comité de conseil présidentiel » de Paul Kagamé.

Le chef de l’Etat rwandais, promoteur acharné du « made in Rwanda », a personnellement fait une donation de 1 500 Maraphones à sa population en décembre 2019 dans le cadre d’une campagne nationale lancée par le plus grand opérateur téléphonique du pays et visant à donner accès aux smartphones à davantage de Rwandais. Il a rapidement été suivi par le ministère de la santé rwandais, qui avait alors promis de fournir des smartphones aux quelque 60 000 soignants communautaires que compte le pays.

« Le modèle économique de Maraphones semble se fonder plus sur le soutien d’institutions que sur des efforts de marketing. Ils ont été également appuyés par le gouvernement sud-africain »

, analyse Arthur Goldstuck, fondateur de World Wide Worx, une société sud-africaine de recherche sur le marché des nouvelles technologies.

En bon VRP du continent, Ashish Thakkar présente ses Maraphones comme un outil de développement de l’Afrique. « Les smartphones sont essentiels pour quiconque veut avoir un véritable impact social sur la vie des gens. Ils permettent l’inclusion financière, l’accès à des services de santé digitaux et à l’éducation. Jusqu’ici l’Afrique était seulement consommatrice de téléphones. Elle ne créait pas de valeur dans ce secteur, ni d’emploi dans cette industrie alors qu’elle représente un marché gigantesque », fait-il valoir.

Prochaine étape de cette entreprise de valorisation du continent : amener dans l’espace les drapeaux des 54 pays africains. L’homme d’affaires a fait savoir depuis un moment déjà qu’il avait réservé l’un des futurs voyages de la compagnie de tourisme spatial Virgin Galactic.

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