Africa-Press – Niger. C’est le plus gros investissement public en matière de géo-ingénierie solaire: l’Agence pour la recherche avancée et l’invention (Aria), un organisme britannique public de financement de recherche et développement, a investi en mai dernier environ 52 millions d’euros dans 22 projets différents. Objectif: refroidir la Terre en augmentant de façon artificielle la quantité de rayonnement solaire réfléchie vers l’espace par la planète. Aussi appelée « modification du rayonnement solaire », la géo-ingénierie solaire ne s’attaque pas aux causes du réchauffement climatique, à savoir les émissions de gaz à effet de serre, mais cherche à atténuer, temporairement, ses symptômes (fonte des glaces, fréquence et intensité des phénomènes climatiques extrêmes, etc.).
Première approche: tenter d’imiter le phénomène de refroidissement observé à la suite d’une éruption volcanique explosive. En libérant environ 20 millions de tonnes de dioxyde de soufre dans la stratosphère, l’éruption du mont Pinatubo en 1991, aux Philippines, avait provoqué l’année suivante un pic de refroidissement estimé entre 0,3 et 0,5 °C pendant deux à trois ans. Pour obtenir artificiellement un tel résultat, l’idée est de libérer dans la stratosphère des particules de dioxyde de soufre, de sulfates, de dioxyde de titane ou de carbonate de calcium, avec l’espoir de créer une fine couche qui réfléchirait une fraction de la lumière solaire entrante.
Autre approche: l’éclaircissement des nuages marins. Elle s’inspire de la modification des propriétés des nuages bas marins au contact des émissions provenant des navires. Les aérosols qui s’y trouvent augmentent le nombre de gouttelettes dans les nuages, ce qui les rend plus réfléchissants. Mais cette technologie est « moins mature » que l’injection d’aérosols, selon Peter Irvine, professeur assistant à l’Initiative d’ingénierie des systèmes climatiques de l’université de Chicago (États-Unis). Plus spéculatifs encore: l’éclaircissement des cirrus et la réflexion de la lumière depuis l’espace.
Simples sur le papier, ces techniques sont très complexes à mettre en œuvre. Pour l’injection d’aérosols stratosphériques, une petite expérimentation de l’université Harvard (États-Unis) annulée en 2024 – le projet SCoPEx – envisageait de déployer un ballon stratosphérique relié à une nacelle équipée d’hélices. Mais pour un déploiement à l’échelle planétaire, il faudrait développer des avions capables d’atteindre la stratosphère à l’équateur (à partir de 17 km d’altitude) et de transporter le matériel nécessaire afin de libérer environ 12 millions de tonnes d’aérosols par an.
La géo-ingénierie solaire ne peut se substituer à l’atténuation
Au-delà des problèmes de faisabilité, la géo-ingénierie solaire pourrait-elle sauver le climat? Dans la plupart des scénarios tirés du 6e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), il faudrait agir en continu durant 150 à 300 ans pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, selon une étude publiée en 2023 dans Earth System Dynamics. Et une interruption des pulvérisations d’aérosols, avec des concentrations restées élevées en gaz à effet de serre, provoquerait un « choc terminal », soit un réchauffement global extrêmement rapide, deux à 15 fois plus rapide selon l’ampleur du déploiement.
Conclusion: « La géo-ingénierie solaire ne peut se substituer à l’atténuation. Nous ne pouvons pas en parler de manière responsable sans partir du principe qu’il y aura des actions d’atténuation substantielle à l’avenir « , appuie Ben Kravitz, professeur des sciences de la terre et de l’atmosphère à l’université de l’Indiana à Bloomington (États-Unis). D’autant que les répercussions sur la machine climatique pourraient être importantes. Les régimes de précipitations et la circulation atmosphérique seraient très probablement modifiés, les pluies acides et les particules polluantes dans l’air augmenteraient, sans oublier que le rétablissement de la couche d’ozone serait ralenti, affirment les chercheurs.
« C’est l’argument premier contre un déploiement de ces technologies, et ce quelle que soit l’échelle « , juge Raymond Pierrehumbert, professeur de physique planétaire à l’université d’Oxford (Royaume-Uni), opposé aux expérimentations sur le terrain – huit projets sont connus au total dont cinq financés par Aria -, ajoutant qu’il n’existe aujourd’hui aucun cadre de gouvernance sur le sujet. « Un tel accord de gouvernance internationale semble impossible, vu le système de gouvernance mondiale et la situation géopolitique actuelle. Et quelle instance pourrait garantir un contrôle multilatéral, équitable et efficace? « , s’interroge Aarti Gupta, professeure en gouvernance environnementale internationale à l’université de Wageningue (Pays-Bas), et l’une des initiatrices d’une lettre ouverte contre le déploiement de la géo-ingénierie solaire, signée par près de 600 chercheurs.
« Dans cinq à dix ans, nous en saurons plus sur les risques et bénéfices potentiels de la géo-ingénierie solaire, mais il n’y a aucun moyen d’éliminer totalement les risques, il y aura toujours des compromis à faire « , précise Daniele Visioni, professeur en sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’université Cornell (États-Unis).
Soutenant qu’il est « nécessaire de faire des modélisations climatiques combinées avec des facteurs socio-économiques » pour obtenir des données utiles à la prise de décision, Roland Séférian, climatologue au Centre national de recherches météorologiques, estime toutefois que « le vrai débat pourrait ne plus être les risques et bénéfices de la géo-ingénierie solaire, mais plutôt les dangers de ne rien faire face aux risques d’un déploiement. »
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