Africa-Press – Niger. Le temps où l’enfermement dans des asiles était la seule réponse aux troubles psychiatriques est loin. Pourtant, malgré les progrès conjugués ces cinquante dernières années de la psychothérapie et de la pharmacologie avec l’avènement des neuroleptiques, « 60 % des patients touchés par une affection psychiatrique ne répondent toujours pas de manière suffisante à leur traitement « , rappelle la professeure Marion Leboyer, Grand Prix Inserm 2021 et directrice de la fondation FondaMental.
C’est pour relever ce défi médical qu’est apparu ces dernières années le concept de psychiatrie de précision, dont l’objectif est d’asseoir les pratiques sur des connaissances objectives et mesurables. De fait, aujourd’hui, à la différence d’autres spécialités comme l’oncologie ou la cardiologie, le diagnostic psychiatrique repose exclusivement sur l’observation de manifestations subjectives ou de récits (tristesse, anxiété, hallucinations, repli sur soi, hypo- ou hypersomnie, etc. ) et n’a recours à aucun biomarqueur pour orienter le traitement qui demeure généraliste, probabiliste et non ciblé.
Forte des avancées en imagerie cérébrale, biologie moléculaire et intelligence artificielle, la psychiatrie de précision vise ainsi à « définir des tableaux cliniques et biologiques spécifiques, pour proposer des traitements ciblés sur les causes et les mécanismes qui sous-tendent ces maladies « , précise encore Marion Leboyer. C’est dans cette optique que débute cette année le programme de recherche Pro-psy sous la houlette de l’Inserm et du CNRS et sous la direction scientifique de Marion Leboyer.
Doté de 80 millions d’euros sur sept ans, il s’appuiera sur une cohorte de 10.000 patients et de 500 individus témoins pour explorer les nombreux facteurs (génétiques, épigénétiques, environnementaux, etc.) impliqués dans la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie ou encore l’autisme sans retard intellectuel. En tout, 13 projets de recherche ciblés seront ainsi menés dans toute la France. Parmi eux, le suivi et le traitement en temps réel des hallucinations schizophréniques dans le cerveau des patients grâce à l’imagerie, ou encore une caractérisation affinée de la dépression afin d’être en mesure de proposer des traitements ciblés.
Un premier traitement ciblé de la dépression résistante
La dépression recouvre en effet des symptômes hétérogènes liés à des dysfonctionnements cérébraux divers, comme l’ont montré les travaux pionniers du centre consacré à la santé mentale de précision de l’université Stanford (États-Unis). Publiés en 2024 dans Nature Medicine, ils se sont appuyés sur l’IRMf pour observer et quantifier l’activité de six grands circuits cérébraux impliqués dans la régulation des pensées et des émotions chez 801 patients et 137 sujets témoins.
Les mesures, effectuées au repos et dans le cadre de la réalisation de tâches (tâches cognitives ou tâches de reconnaissance d’émotions faciales, etc.), ont mis en évidence six sous-types de dépression. Chacun de ces biotypes était associé à des symptômes propres: par exemple, le biotype avec hyperactivité au repos se manifeste notamment par des ruminations, et le biotype cognitif est associé à des troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives.
Dans un second temps, l’équipe de Stanford est parvenue à déterminer le meilleur traitement pour chacun de ces biotypes parmi différentes options (trois antidépresseurs distincts ou une thérapie cognitivo-comportementale): les résultats se sont traduits chez les patients par une réduction des symptômes corrélée à une modification de l’activité et de la connectivité, mesurée à l’IRM.
C’est aussi de l’université Stanford qu’a émergé le premier traitement ciblé de la dépression résistante aux traitements. Fondé sur la stimulation magnétique transcrânienne (SMT), une technologie mini-invasive capable de modifier l’activité électrique du cerveau, le protocole Saint (Stanford Accelerated Intelligent Neuromodulation Therapy), propose une approche guidée par l’IRM qui consiste à délivrer durant cinq jours consécutifs un certain type d’ondes en des points adaptés aux caractéristiques du cerveau de chaque patient. Il permet d’obtenir une amélioration des symptômes dans neuf cas sur dix.
« L’un des avantages des méthodes de SMT est que l’on peut avoir des résultats très rapides, entre cinq et huit jours, ce qui n’est pas du tout le cas des antidépresseurs qui vont mettre jusqu’à six semaines à agir « , note le psychiatre Charles Laidi, chef de clinique assistant à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. Avec un effet persistant chez plus de la moitié des patients un mois après le traitement, le protocole Saint offre un nouvel espoir à des personnes initialement en échec thérapeutique. D’où son approbation par l’agence sanitaire américaine (FDA). En France, les CHU de Nantes et Besançon évalueront un protocole similaire dans le cadre d’une des études de Propsy. Avec pour objectif de caractériser les biomarqueurs associés à la réponse au traitement, en tenant compte du profil inflammatoire initial des patients.
Car le rôle de l’inflammation est un autre axe de recherche majeur pour la psychiatrie de précision. Des études ont en effet mis en lumière l’origine inflammatoire de certaines pathologies, soulignant combien ces maladies qui affectent le fonctionnement cérébral ne sauraient être totalement dissociées de la santé du reste du corps. « Dans les maladies mentales, 40 % des patients, quelle que soit leur pathologie, ont une inflammation chronique « , précise ainsi Marion Leboyer. Une inflammation qu’il est possible de mesurer dans le sang, en dosant par exemple les protéines messagères de la réponse inflammatoire.
Les interventions sur l’hygiène de vie, un levier efficace
L’inflammation mesurée à l’aide de ces marqueurs est parfois associée à des troubles métaboliques, comme l’a montré la psychiatre néerlandaise Brenda Penninx: près d’un patient dépressif sur trois présenterait ce que la chercheuse nomme « un profil de dépression immunométabolique « . Cette dépression aux symptômes atypiques – elle augmente l’appétit, le poids et le sommeil, quand la dépression typique tend à les réduire – est liée non seulement à l’augmentation des marqueurs de l’inflammation, mais aussi à des anomalies métaboliques comme l’excès de cholestérol, la résistance à l’insuline et l’augmentation du tour de taille (syndrome métabolique).
Chez les patients concernés, les traitements classiques ciblant l’inflammation (anti-inflammatoires, antibiotiques, immunomodulateurs) ont montré qu’ils pouvaient apporter des bénéfices, en complément des antidépresseurs. Et les interventions sur l’hygiène de vie s’avèrent particulièrement efficaces: ainsi, une étude conduite sur 16 semaines par Brenda Penninx, publiée en 2023 dans le Journal of Affective disorders, a montré que la course pratiquée deux fois par semaine réduisait les symptômes dépressifs et l’anxiété dans des proportions comparables aux antidépresseurs, tout en améliorant les marqueurs immunométaboliques (comme le poids, le tour de taille) quand les antidépresseurs les dégradaient (augmentation du cholestérol, des triglycérides et de la CRP).
Un avantage majeur, les maladies cardiovasculaires étant la première cause de décès des personnes qui souffrent de troubles psychiatriques. Parfois, l’inflammation est même directement responsable de la maladie psychiatrique: c’est le cas de la psychose auto-immune, provoquée par le développement d’auto-anticorps dirigés contre les récepteurs du cerveau. « On estime que 10 à 20 % des patients atteints de troubles psychotiques ou de troubles bipolaires pourraient être atteints par une psychose auto-immune « , souligne Marion Leboyer.
Une immunothérapie pour réduire les symptômes
Chez ces patients qui ne répondent pas aux traitements classiques, la prescription d’une immunothérapie permettrait de réduire la fabrication de ces auto-anticorps et donc les symptômes. C’est l’hypothèse testée dans Le projet Tim-depist (Thérapeutique immuno-modulatrice après dépistage spécifique devant des troubles psychiatriques) porté par la fondation FondaMental en partenariat avec le CNRS et neuf centres hospitaliers en France.
Au-delà des stratégies thérapeutiques déployées pour lutter contre l’inflammation chronique et ses effets sur la santé mentale, les recherches visent à mieux comprendre ce qui déclenche et entretient le phénomène inflammatoire délétère. Infections, traumatismes sévères durant l’enfance, pollution, alimentation, prise de stupéfiants, etc., les facteurs environnementaux identifiés sont nombreux et nécessitent d’être affinés.
C’est l’un des objectifs du programme Propsy, qui permettra de croiser données environnementales et données génétiques, en utilisant l’intelligence artificielle afin de comprendre pourquoi, à environnement égal, certains individus sont plus sujets à développer un trouble psychique que d’autres. Des informations essentielles pour permettre, à terme, de mieux soigner, mais aussi de mieux prévenir les troubles mentaux.
L’IRM pour apprendre à contrôler les hallucinations
Détecter automatiquement la survenue d’une hallucination dans le cerveau d’un patient schizophrène, c’est aujourd’hui possible grâce à l’IRM cérébrale. Au CHU de Lille, l’équipe du professeur Renaud Jardri, responsable du Centre de référence des maladies rares à expression psychiatrique, est l’une des rares au monde à savoir le faire. Cette expertise s’appuie sur des travaux qu’elle mène depuis des années en collaboration avec le service de neuroradiologie du professeur Jean-Pierre Pruvo, doté d’une IRM réservée à la recherche.
Pour ce faire, ils ont recours à l’IRM fonctionnelle (IRMf), qui permet de suivre l’activité cérébrale en direct. « Grâce aux données de capture hallucinatoire accumulées depuis de nombreuses années, nous avons pu entraîner des algorithmes d’apprentissage qui nous permettent de détecter un épisode hallucinatoire en temps réel, sans participation active du sujet, avec une précision de 80 à 90 % « , explique Renaud Jardri. Publiés dans la revue Biological Psychiatry en 2022, les travaux de l’équipe lilloise ont marqué un tournant dans la compréhension des mécanismes sous-jacents des hallucinations. Et ouvert la voie au développement d’une stratégie de neurofeedback visant à apprendre au patient à réfréner lui-même ses hallucinations.
Elle sera l’objet de l’étude Unrehal du programme Propsy, qui recrutera, dès l’été 2025, 90 patients souffrant d’hallucinations résistantes pour tester ses bénéfices. Concrètement, elle permet au patient de suivre ce qui se passe dans son cerveau lorsqu’il lutte contre les hallucinations, un peu comme dans un jeu vidéo. Placé dans l’IRM avec un petit miroir sur le ventre lui permettant de voir les informations projetées sur un écran, le patient a pour mission de mettre en œuvre une stratégie apprise pour repousser les hallucinations: des chuchotements pour entrer en concurrence avec une hallucination auditive ; ou de la méditation de pleine conscience pour faire diversion. Ses efforts sont retranscrits visuellement sous la forme d’un point qui, peu à peu, s’étend si la stratégie fonctionne, jusqu’à former un disque lorsque l’hallucination est vaincue.
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