Olivier d’Auzon
Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Par-delà le Bosphore, dans le brouhaha maîtrisé des forums économiques, la Turquie s’avance sur la scène africaine avec une méthode silencieuse mais déterminée. Le 17 octobre, à Istanbul, lors du Türkiye-Africa Business and Economic Forum, le ministre de l’Énergie Alparslan Bayraktar a livré bien plus qu’un discours technique: une stratégie de puissance. Sous couvert de coopération énergétique, Ankara esquisse une alliance d’un nouveau type avec le continent africain.
Une diplomatie de l’énergie aux contours géopolitiques
Vingt accords ont déjà été signés avec des pays africains dans les domaines de l’énergie et des mines. Le dernier en date, paraphé avec la Gambie, porte sur des projets conjoints d’hydroélectricité, de solaire et d’éolien. Ces signatures ne sont pas des gestes isolés: elles s’inscrivent dans une stratégie africaine méthodiquement construite depuis deux décennies.
Là où d’autres puissances ont longtemps pratiqué une politique de projection verticale — imposant leurs modèles et leurs normes — Ankara cultive une image de partenaire pragmatique, soucieux de bâtir des relations fondées sur la confiance et la réciprocité. Ce discours, porté avec constance, trouve un écho croissant dans les capitales africaines lassées des rapports de dépendance postcoloniaux.
La Turquie comme modèle de transformation énergétique
Alparslan Bayraktar le rappelle avec habileté: son pays a connu les mêmes fragilités que celles de nombreux États africains — infrastructures déficientes, dépendance aux importations, demande croissante. En vingt ans, la Turquie a pourtant réussi à transformer son secteur énergétique, à attirer plus de 100 milliards de dollars d’investissements et à renforcer son autonomie stratégique.
Ankara propose donc un récit séduisant: celui d’une nation moyenne qui, par la planification et l’investissement, a conquis une place d’acteur énergétique crédible. Ce récit résonne d’autant plus que la transition énergétique mondiale s’accompagne d’une recomposition des rapports de force.
Alparslan Bayraktar insiste sur les réacteurs modulaires, les renouvelables et les réseaux électriques interconnectés — autant de technologies qui peuvent permettre aux États africains de s’émanciper de leur vulnérabilité énergétique.
L’offensive minière turque: L’or et les métaux critiques
Mais derrière cette rhétorique de coopération se déploie une offensive beaucoup plus large. L’énergie n’est qu’un levier. Les mines sont l’autre. Au Niger, deux sociétés publiques turques, MTAIC et ETI Maden, s’apprêtent à lancer la première production d’or issue d’un partenariat bilatéral. Ce projet est présenté comme un modèle: création d’emplois locaux, transferts de savoir-faire, développement durable.
L’enjeu est considérable: l’Afrique détient près de 30 % des réserves mondiales de minerais critiques, mais n’en exploite qu’une infime part dans les chaînes de valeur des énergies propres. Ankara se positionne ici sur un terrain hautement stratégique: celui des ressources indispensables à la transition énergétique mondiale.
L’Afrique, nouvel horizon de l’hydrogène vert
Le solaire africain n’est plus seulement une ressource: c’est une promesse de puissance. Pour Ankara, il ouvre la voie à une coopération structurante autour de l’hydrogène vert. Forte de ses ingénieurs, de ses capacités de financement et de son expérience en planification énergétique, la Turquie veut participer à la transformation de ce potentiel en avantage compétitif global.
Ce discours, émaillé de références à la « vision partagée » et au « développement mutuel », relève aussi d’une habile géopolitique du soft power. Là où la Chine construit des infrastructures et la Russie vend des armes, la Turquie propose une alliance énergétique fondée sur le savoir-faire et la réciprocité.
La bataille feutrée des puissances moyennes
Car derrière l’énergie se joue un autre enjeu: celui des influences. Ankara, puissance de taille intermédiaire mais à l’ambition globale, s’est imposée comme un acteur présent au Sahel, en Afrique de l’Est, en Méditerranée. En entrant dans le champ énergétique et minier africain, elle consolide cette présence, tout en contournant les grandes puissances traditionnelles.
Alparslan Bayraktar parle de « transformation intelligente » et de « flexibilité ». Le sous-texte est limpide: la Turquie n’imposera pas de modèle unique, mais cherchera à s’inscrire dans les stratégies nationales africaines — une posture d’autant plus efficace qu’elle contraste avec les injonctions normatives occidentales.
Une page discrète mais décisive
Le discours d’Istanbul pourrait bien marquer une étape charnière dans les relations Turquie-Afrique. Ankara avance sans fracas, mais avec méthode: accords bilatéraux, partenariats techniques, mobilisation d’entreprises publiques stratégiques, projection d’un récit positif. Dans un continent où la question énergétique est indissociable de la souveraineté politique, cette stratégie pourrait produire des effets profonds.
Pour l’Europe, et notamment pour la France, longtemps ancrée dans des schémas hérités de la Françafrique, l’offensive turque est un signal fort. Elle illustre la montée en puissance de ces « puissances pivots » qui, sans appartenir au club des géants, redessinent silencieusement les équilibres stratégiques.
Dans le grand jeu énergétique africain, la Turquie n’est plus un simple observateur. Elle est désormais un acteur. Et si ce pari se concrétise, ce n’est pas seulement le paysage énergétique africain qui changera — mais l’équilibre même des influences sur le continent.
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