Cette protéine insoupçonnée qui nous protège du froid

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Cette protéine insoupçonnée qui nous protège du froid
Cette protéine insoupçonnée qui nous protège du froid

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Bien avant que les pharmaceutiques ne s’essayent au repositionnement des médicaments, la nature faisait déjà la même chose avec les protéines. Cette pratique, qui permet d’utiliser une substance déjà existante pour traiter une nouvelle maladie, est utilisée par l’évolution depuis plusieurs milliards d’années.

Dernier exemple en date: une protéine du cerveau qui régule la connexion entre les neurones (les synapses), et qui s’est reconvertie en capteur de la température ambiante ! Cette étonnante découverte a été publiée le 11 mars 2024 dans la revue Nature Neuroscience par les universités du Michigan et Johns Hopkins (États-Unis).

Des capteurs thermiques pour nous aider à nous adapter à notre environnement

Comme les plantes, qui ont des capteurs pour adapter leur croissance à la température ambiante, les animaux aussi s’adaptent sans cesse aux variations du thermomètre. Des études précédentes avaient déjà mis en évidence chez les humains des capteurs qui détectent les températures tièdes (qui nous invitent à nous y approcher pour nous réchauffer) ou très chaudes (qui au contraire, nous poussent à nous en éloigner pour éviter des brulures). Le même phénomène survient avec le froid: notre corps détecte le frais, qui peut être agréable par une journée estivale, mais aussi le froid extrême, qui peut nous tuer. Les capteurs pour le frais avaient déjà été identifiés (une protéine nommée TRPM8), mais pas encore ceux qui nous éloignent du froid glacial.

En cherchant ce capteur inconnu, les auteurs de l’étude ont pensé à un récepteur de glutamate présent dans les neurones du cerveau, nommé GluK2. Pourquoi ? Car son équivalent dans le nématode Caenorhabditis elegans (qui n’a pas de cerveau) est utilisé pour ressentir le froid. Et parce que, chez les vertébrés, cette protéine n’est pas uniquement présente dans le cerveau. Elle est exprimée aussi près de la moelle épinière, dans une région nommée le ganglion spinal, connu pour abriter des neurones impliqués dans la sensibilité… à la température (entre autres).

Des souris qui n’ont plus peur du froid

Eurêka ! Les souris modifiées génétiquement pour ne plus exprimer GluK2 sont sensibles à tout, sauf au froid extrême. Les chercheurs les ont exposées à des gouttes d’eau froide sur leurs pattes: les souris normales ne bougent pas avec de l’eau à 27 °C, mais éloignent instinctivement leur patte quand elles touchent l’eau fraiche (18 °C). Une réponse encore plus puissante avec de l’eau à 0 °C, qui déclenche un mouvement brusque pour s’éloigner de l’eau, suivi d’un effort pour réchauffer la patte en la bougeant ou la léchant.

Les souris sans la protéine pour détecter le frais (TRPM8) ne réagissent plus au contact de l’eau fraiche, mais s’éloignent de l’eau froide, alors que ceux sans TRPM8 et GluK2 ne réagissent plus à l’eau fraiche ni à l’eau froide.

Les scientifiques ont confirmé le rôle de GluK2 dans la sensation du froid extrême avec un test où les souris sont posées sur une plaque refroidie, ce qui les incite normalement à se lécher les pattes pour les réchauffer. Quand la plaque atteignait 0 °C, les souris sans la protéine du frais, TRPM8, réagissaient normalement, alors que celles sans GluK2 ne se léchaient plus les pattes. C’est-à-dire que même si TRPM8 les aide à détecter quand la température commence à baisser, c’est seulement GluK2 qui leur dit que le froid commence à devenir dangereux. Une perception nommée nociception, qui nous alerte sur un danger potentiel (dans ce cas, le froid) et nous pousse à nous en protéger. Car l’exposition prolongée au froid extrême cause de la douleur, endommage les tissus, et peut devenir létale si le corps finit par trop se refroidir.

Une fonction qui viendrait du passé

Mais comment cela se fait-il qu’une protéine, qui est à l’origine impliquée dans le bon fonctionnement des synapses entre les neurones, soit devenue vitale pour permettre aux vertébrés de mieux adapter leur comportement à leur environnement ? En fait, cette protéine provient d’une famille très ancienne de détecteurs chimiques, présents même dans les bactéries.

Chez les organismes avec neurones, et donc synapses, ces détecteurs se sont spécialisés dans la détection d’ions essentiels à ces connexions neuronales. Mais il est possible que leur rôle était à la base plus large, pour détecter des molécules, et aussi la température. Il est donc possible que cette capacité à sentir le froid ne soit pas une nouvelle fonction de GluK2, mais plutôt une relique de ses ancêtres chez les bactéries et autres organismes sans neurones.

“Une bactérie n’a pas de cerveau, alors pourquoi elle aurait besoin d’une façon de détecter des signaux chimiques venant d’un neurone ? Par contre, elle aurait un grand besoin de pouvoir sentir son environnement, peut-être pour y capter des molécules, mais aussi la température, spécule le neuroscientifique Shawn Xu, auteur de l’étude, dans un communiqué. Donc je pense que la perception de la température pourrait être une fonction ancienne, qui a été gardée lorsque les organismes ont évolué et ont développé des systèmes nerveux complexes.”

Le repositionnement que la nature a fait avec cette protéine aurait donc été dans l’autre sens, d’un capteur de température et molécules à un détecteur spécifique pour les ions des synapses, sans jamais vraiment perdre sa fonction originale.

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