Climat : la compensation carbone n’est pas efficace, voici pourquoi

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Climat : la compensation carbone n’est pas efficace, voici pourquoi
Climat : la compensation carbone n’est pas efficace, voici pourquoi

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Un forfait constaté longtemps après que le voleur est parti avec la caisse. C’est un peu l’impression que donne la lecture des résultats de 26 projets de reforestation et de protection des forêts donnant lieu à des “crédits carbone” permettant de compenser les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise ou d’un particulier souhaitant effacer le CO2 généré par un voyage en avion. Les chercheurs de l’université d’Amsterdam (Pays-Bas) et de Cambridge (Royaume-Uni) ont regardé de près l’évolution de ces projets au Pérou, en Bolivie, en République démocratique du Congo, Tanzanie, Zambie et Cambodge et surtout comparé l’évolution de ces placettes forestières avec des zones voisines n’ayant pas bénéficié de ces financements issus d’un marché volontaire sous l’égide de la démarche “réduction des émissions provenant du déboisement ou de la dégradation des forêts” (REDD+ selon l’acronyme anglais).

Les résultats qui viennent d’être publiés dans Science montrent que les calculs de stockage de tonnes de carbone par les arbres faits il y a 20 ans ne se sont révélés exacts nulle part, à l’exception d’un site péruvien. Sur quatre sites, il y a bien eu des espaces préservés mais dans des proportions bien moindres que promises. Au Pérou et en Colombie, 1266 hectares par an ont été réellement sauvés alors que les crédits carbone délivrés portaient sur 3661 hectares au Pérou et 2550 hectares en Colombie. En Afrique, 30 hectares par an ont été sauvés pour 2700 hectares promis. La différence entre l’évaluation d’origine et le résultat, ce sont des sommes d’argent versées en vain par des entreprises ou des particuliers voulant rendre leur consommation d’énergie fossile neutre et qui ont donc été trompés. “Est-ce que vous devez acheter ces compensations carbone bon marché quand vous prenez l’avion ? se demande ainsi Julia Jones, professeur des sciences de la conservation à l’Université de Bangor (Royaume-Uni) qui a écrit un commentaire de l’étude à laquelle elle n’a pas participé. Malheureusement, il n’y a actuellement que peu de preuves que de le faire rend votre voyage neutre en carbone. Si vous voulez contribuer à la lutte contre le changement climatique, peut-être la seule vraie solution est de ne pas prendre l’avion”.

A l’origine, la volonté de donner de la flexibilité aux entreprises dans la gestion de leur bilan carbone

Un forfait constaté longtemps après que le voleur est parti avec la caisse. C’est un peu l’impression que donne la lecture des résultats de 26 projets de reforestation et de protection des forêts donnant lieu à des “crédits carbone” permettant de compenser les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise ou d’un particulier souhaitant effacer le CO2 généré par un voyage en avion. Les chercheurs de l’université d’Amsterdam (Pays-Bas) et de Cambridge (Royaume-Uni) ont regardé de près l’évolution de ces projets au Pérou, en Bolivie, en République démocratique du Congo, Tanzanie, Zambie et Cambodge et surtout comparé l’évolution de ces placettes forestières avec des zones voisines n’ayant pas bénéficié de ces financements issus d’un marché volontaire sous l’égide de la démarche “réduction des émissions provenant du déboisement ou de la dégradation des forêts” (REDD+ selon l’acronyme anglais).

Les résultats qui viennent d’être publiés dans Science montrent que les calculs de stockage de tonnes de carbone par les arbres faits il y a 20 ans ne se sont révélés exacts nulle part, à l’exception d’un site péruvien. Sur quatre sites, il y a bien eu des espaces préservés mais dans des proportions bien moindres que promises. Au Pérou et en Colombie, 1266 hectares par an ont été réellement sauvés alors que les crédits carbone délivrés portaient sur 3661 hectares au Pérou et 2550 hectares en Colombie. En Afrique, 30 hectares par an ont été sauvés pour 2700 hectares promis. La différence entre l’évaluation d’origine et le résultat, ce sont des sommes d’argent versées en vain par des entreprises ou des particuliers voulant rendre leur consommation d’énergie fossile neutre et qui ont donc été trompés. “Est-ce que vous devez acheter ces compensations carbone bon marché quand vous prenez l’avion ? se demande ainsi Julia Jones, professeur des sciences de la conservation à l’Université de Bangor (Royaume-Uni) qui a écrit un commentaire de l’étude à laquelle elle n’a pas participé. Malheureusement, il n’y a actuellement que peu de preuves que de le faire rend votre voyage neutre en carbone. Si vous voulez contribuer à la lutte contre le changement climatique, peut-être la seule vraie solution est de ne pas prendre l’avion”.

A l’origine, la volonté de donner de la flexibilité aux entreprises dans la gestion de leur bilan carbone

Le sentiment d’une escroquerie découverte 20 ans après tient à l’histoire même de la compensation carbone. Il faut remonter au Protocole de Kyoto en 1997 pour trouver la première trace d’un débat autour du rôle des puits de carbone terrestre. “On instaure alors des limites d’émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises des pays développés, rappelle Alain Karsanty, économiste au Cirad. Et pour leur accorder un peu de flexibilité, on leur donne la possibilité d’effacer les tonnes émises au-delà de leur quota par le financement de projets dans les pays en voie de développement”. Il s’agit principalement de construction d’éoliennes et de centrales photovoltaïques, de méthaniseurs, de diffusion de fours solaires pour les ménages, des projets qu’il est relativement facile de vérifier. La Convention onusienne pour le climat se dote cependant de garde-fous contre les effets d’aubaine sur ces “mécanismes de développement propre” (MDP). La principale règle est ainsi celle de “l’additionnalité”. Tout projet MDP doit faire la preuve que les crédits carbone générés appuient des projets qui, sans cet apport financier ou aides spécifiques, n’aurait pu être réalisés. Pas question donc de financer des réalisations rentables. L’examen, 20 ans plus tard, de certains projets comme des éoliennes en Inde, montrent que ce principe a souvent été contourné.

En 2000 lors de la sixième année de négociation sur le climat (COP6) à La Haye (Pays-Bas), les négociateurs s’écharpent sur la possibilité d’adjoindre au MDP les projets de protection et de restauration des forêts. Les réticences ne manquent pas. “L’additionnalité” est difficile à prouver. De plus, il risque d’y avoir des “fuites”. “La crainte, c’était que devant la protection de certaines zones, les agriculteurs locaux ou les investisseurs internationaux aillent convertir la forêt en espace agricole ou en ranch dans d’autres parties du pays, car les moteurs de la déforestation comme la fluctuation des prix mondiaux des produits agricoles qui poussent à défricher, ou la croissance démographique sont toujours présents”, se souvient Alain Karsenty. Autre problème : une partie du CO2 persiste dans l’atmosphère au-delà de plusieurs centaines d’années. Les projets de protection ou de reforestation doivent donc pouvoir donner des garanties sur plusieurs siècles. Ce qui est irréaliste. Toutes ces contraintes expliquent pourquoi moins de 1% des MDP ont été appliqués aux forêts.

L’émergence d’un marché “volontaire”

En 2006, l’idée refait surface dans le secteur privé. Il s’agit de créer un marché volontaire de la compensation carbone. Les entreprises n’ont pas renoncé à leur flexibilité, d’autant que la neutralité carbone de leur activité devient un argument commercial et un enjeu d’image, tandis que l’appétence croît parmi les utilisateurs du transport aérien de s’acheter une conduite. “C’est le retour des indulgences de l’église du Moyen Age où l’on était pardonné de ses péchés quand on mettait la main à la poche”, ironise Alain Karsenty.

De nombreuses craintes techniques sont cependant tombées notamment celles portant sur l’évaluation des tonnes de carbone stockées. L’imagerie satellitaire commence à donner une idée de la biomasse terrestre tant dans son étendue spatiale que dans l’estimation de son volume (arbres ou herbes) à des échelles descendant à quelques dizaines de mètres. “L’inventaire par satellite couplé aux règles de traduction d’un volume de biomasse donné en tonnes de carbone stockées définies par les guides techniques du Giec donnent une estimation réaliste et adoptée partout sur la planète des puits de carbone et de leurs évolutions”, affirme Colas Robert, chef d’unité Utilisation des terres et forêts au CITEPA, l’association en charge du calcul des émissions polluantes en France et Outre-mer.

Il a fallu que le temps passe pour vérifier a posteriori la cohérence des scénarios

Comme l’initiative sort de l’encadrement du Giec et de ses guides méthodologiques et des obligations inhérentes aux négociations multilatérales des COP annuelles, il faut créer un organisme certificateur des nouvelles normes. C’est ainsi que naît Verified Carbon Standard, aujourd’hui VERRA, émanation du Forum mondial de Davos, et du Climate Group où l’on retrouve des fondations philanthropiques et des sociétés comme Starbuck, BP ou l’assureur Allianz. Aujourd’hui, VERRA certifie 65% des crédits carbone émis dans le monde et cette fois-ci, les projets forestiers représentent 45% de l’ensemble contre 1% pour les MDP. Ils pèsent désormais 2,4 milliards de crédits (soit autant de tonnes de CO2, le total des émissions dues à la déforestation étant de 5 milliards de tonnes). Ce sont ces projets qui ont été épinglés par l’étude de Science qui n’intervient qu’aujourd’hui car il a bien fallu que le temps passe pour vérifier l’incohérence des scénarios choisis.

Comment expliquer en effet l’écart entre la promesse et la réalité ? “Les certificats de CO2 sont générés sur la base de la différence entre un scénario de référence, dans le cas d’une absence de protection de la forêt avec les émissions qui n’auraient ainsi pas pu être absorbées, et un scénario prenant en compte le projet de protection de la forêt et les émissions évitées”, explique Colas Robert. Le problème réside donc dans le choix de la trajectoire sans crédit carbone. “Les niveaux de référence consistent, dans certains cas à prolonger dans le futur les tendances actuelles en absence de projet, dans d’autres cas à fabriquer un scénario du niveau de la déforestation future, en fait une prédiction, critique Alain Karsenty. Or, ces scénarios “sans projet” sont invérifiables puisque les projets vont être réalisés”. Si le principe des scénarios prédictifs est de plus en plus contesté, la prolongation des tendances passées ne garantit pas l’additionnalité. Si le projet adopte un niveau de référence aligné sur une période où la déforestation est très forte, rien ne dit que les conditions économiques et politiques du passé resteront inchangées dans l’avenir. Plusieurs projets de compensation carbone au Brésil ayant adopté ces niveaux de référence “historiques” ont été épinglés par des chercheurs, car la période considérée était celle de la première décennie du siècle. Or, les mesures prises par le Président Lula ont conduit à une très forte diminution de la déforestation, partout en Amazonie. Ainsi, les projets carbone n’ont pas réduit la déforestation plus que dans des zones comparables, mais sans projet. Le mérite en revenait plus à la nouvelle réglementation qu’à l’efficacité des crédits carbone.

Des crédits carbone entre Etats

Dans un communiqué en réponse à l’étude, l’organisme certificateur VERRA, mis en cause dans l’étude, estime que le travail scientifique est faussé par la taille de l’échantillon étudié. VERRA revendique 93 projets en cours et 124 en procédure d’homologation. Mais le vérificateur reconnaît que la méthodologie de suivi de l’évolution du couvert forestier doit être améliorée, ce qui fait effectivement l’objet de travaux. Reste que la question de l’indépendance du vérificateur est posée. Celui-ci ne peut en effet appuyer sa pratique que sur les données fournies par le porteur de projet et qu’il ne peut vérifier. Il doit donc croire aveuglement dans la bonne foi de son client. “Il s’agit en effet d’un client puisque le porteur de projet paie le vérificateur, souligne Alain Karsenty. Or, le vérificateur peut être tenté d’être accommodant pour garder sa clientèle. C’est en tout cas un phénomène que l’on constate chez les audits financiers”.

Faut-il dès lors enterrer la compensation carbone ? En l’état actuel, c’est impossible : elle fait partie de l’Accord de Paris qui reconnaît l’existence du marché volontaire mais veut l’encadrer dans des règles plus strictes. Par ailleurs, les ventes de crédits entre Etats peinant à respecter leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre et ceux ayant d’importants puits de carbone à protéger au nom de la lutte contre le changement climatique seront autorisées là encore selon des règles strictes de comptage, le vendeur (un état forestier) ne pouvant aligner dans ses comptes d’émissions de gaz à effet de serre les tonnes accordées à un acheteur (en théorie un état développé). A Dubaï (Emirats arabes unis) en décembre 2023, les négociateurs de la COP28 doivent finaliser les règles de ce jeu. Qui a déjà commencé. En 2020, la Suisse a signé un accord de compensation carbone avec le Ghana, comptant sur l’outil pour remplir son engagement de réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre dès 2030. Hôtes de la COP 28, les Emirats arabes unis ont fait de même avec le Libéria. L’état gazier parmi les plus pollueurs au monde compte ainsi sur la forêt africaine pour compenser ses émissions plutôt que d’envisager de sortir des énergies fossiles qui font sa fortune.

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